La radicalité de l'appel & la liberté humaine.
Il y a quelque chose d’impressionnant, je trouve, dans les récits de vocations que la Bible nous propose régulièrement, parce que ces récits conjuguent à la fois la radicalité de cet appel et la liberté humaine. Dieu appelle qui il veut, et c’est son droit. Et quand il appelle, c’est pour une mission précise, un projet précis que Dieu porte ; et c’est encore son droit, à Dieu, d’avoir des projets. Mais qu’en est-il de l’appelé ? Quels sont ses droits à lui ? Peut-il résister à l’appel de Dieu ? Que devient sa liberté ? Peut-il ne pas accueillir le projet de Dieu sans risquer les foudres divines ? C’est ce que nous découvrons dans les lectures de ce dimanche.
Concentrons-nous sur l’évangile puisqu’il contient tout. Le passage entendu commence avant Pâques, quand Jésus se dirige vers Jérusalem avec ses disciples. Sans doute fatigué par la route, Jésus envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on refusa de le recevoir parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Certains pensent peut-être que nous nous égarons. Le récit de vocation, c’était la première lecture avec le choix d’Elisée pour succéder à Elie. Au sens strict, ils ont raison. Mais l’appel de Dieu n’est pas nécessairement un appel à le servir ministériellement, comme prophète ou comme Apôtre. L’appel premier de Dieu, adressé à tous les hommes, c’est de l’accueillir. C’est notre vocation première. Dans l’Eglise, la vocation baptismale est plus fondamentale d’ailleurs que la vocation ministérielle parce que c’est justement cette première qui nous met en contact avec le Christ. Toutes les autres vocations plus précises vont s’appuyer sur cette première vocation. Nous en sommes bien là quand Jésus veut se rendre dans ce village. La demande d’hospitalité est un appel adressé à ce village qui la refuse. Je comprends la stupeur, voire la colère de Jacques et Jean ; leur réaction est à la hauteur de ce qu’ils pensent de Jésus et de ce refus de l’accueillir : veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? Nous comprenons bien que c’est exagéré, qu’ils ont mal compris la notion de radicalité de l’Evangile ; et Jésus le leur fait bien comprendre puisqu’il les réprimanda. Mais la prochaine fois que nous aurons envie de coller quelqu’un au mur parce qu’il nous aura déplu et énervé, souvenons-nous de cette réprimande ; parce qu’elle vaudra pour nous aussi. Ce que nous apprenons ici est fondamental : on ne risque rien à refuser Jésus dans sa vie ; on ne risque pas d’être dévoré tout cru par un feu tombant du ciel. Il y a le projet de Dieu ; il y a la liberté des hommes. Et ni la toute-puissance de Dieu, ni la toute grandeur de ses projets ne viennent écraser ou supprimer la liberté de l’homme.
La radicalité de l’appel de Dieu ne doit pas écraser l’homme ; nous ne sommes pas des marionnettes entre les doigts de Dieu. Quand on parle de radicalité de l’appel, comprenons que c’est un appel qui s’inscrit à la racine de notre existence pour nous transformer de l’intérieur. Parce qu’un projet de Dieu, librement accueilli, transforme toujours d’abord celui à qui l’appel est adressé. Même quand cet appel le pousse vers les autres, il doit d’abord se laisser saisir et transformer par lui. C’est bien parce que je suis saisi profondément (radicalement) par l’appel du Christ que je peux laisser des choses, abandonner certains rêves. Ma liberté n’est pas supprimée, elle est transformée ; elle me transforme pour me rendre apte à vivre cet appel, que cet appel soit baptismal ou ministériel. Par le baptême, nous dit Paul dans sa lettre aux Galates, le Christ nous a libérés pour que nous soyons libres. C’est bien ce que réalise le baptême pour nous. Quand l’eau coule sur notre front, le péché en nous est vaincu, pardonné : nous sommes libérés, délivrés… vous connaissez la chanson. Le baptême, c’est un appel à la liberté vis-à-vis de toute forme de mal. Nous comprenons alors l’insistance de Paul : Que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. La radicalité de l’appel à suivre le Christ par le baptême ne supprime pas notre liberté ; elle fait grandir cette liberté et la transforme en liberté d’aimer, en liberté pour le service de ceux et celles qui croiseront notre route. Tout appel de Dieu est radical parce qu’il s’adresse à notre liberté ; tout appel de Dieu est radical parce qu’il nous invite à faire grandir notre liberté ; tout appel de Dieu est radical parce qu’il transforme notre liberté en liberté d’aimer et de servir davantage. Et ceci se joue dès l’appel au baptême, puisque celui ou celle qui devient chrétien est appelé à développer cet appel dans un art de vivre conforme. Cet art de vivre est accompli dans l’unique parole que voici : tu aimeras ton prochain comme toi-même. La réponse juste à la radicalité de l’appel est un amour radical pour chacun, possible lorsque nous nous laissons conduire par l’Esprit.
N'ayons
pas peur d’être radical dans notre foi. La racine de notre foi, c’est bien
d’aimer et non d’exclure ; la racine de notre foi, c’est d’écouter Dieu
pour construire avec lui ; la racine de notre foi, c’est d’exercer notre
liberté et non contraindre celle des autres. Cette radicalité de notre foi
s’exprime dans le respect de tous, y compris de ceux qui ne croient pas comme
nous ou qui ne croient pas du tout. La radicalité de notre foi nous oblige à
vivre librement un amour à l’image de l’amour du Christ pour nous. Il n’y a pas
d’autre voie possible que celle de l’amour. Comprenons-le et vivons-le une fois
pour toutes. Amen.