Bienvenue sur ce blog !

Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 30 mars 2019

04ème dimanche de Carême C - 31 mars 2019

Qui est Dieu pour nous ?







Qui est Dieu pour nous ? Cette question, pour banale qu’elle semble être, est bien la question que doivent affronter tous les catéchumènes qui demanderont le baptême au cours de la nuit de Pâques. Et nous-mêmes, croyants de longues dates, devons régulièrement reprendre cette interrogation puisque nous aussi, nous serons invités à renouveler la foi de notre baptême au cours de la grande nuit qui nous mènera au matin de Pâques. Il serait quand même dommage de ne répondre que par habitude aux questions qui nous seront posées dans trois semaines. La liturgie de ce dimanche nous apporte un élément de réponse, en affirmant avec force une marque essentielle du Dieu de l’Alliance : notre Dieu est miséricorde, autrement dit, il est un Dieu qui pardonne, toujours et encore par amour.


Qui est Dieu pour nous ? La parabole du fils prodigue répond avec une particulière finesse à cette question, en soulignant la fois la patience de Dieu, sa tendresse pour l’humanité pécheresse et sa capacité à dépasser le mal. Au fils qui revient après une vie de débauche, il ne fait aucun reproche. Au contraire, il lui remet des sandales aux pieds – signe qu’il est un homme libre – un anneau au doigt – lui rendant ainsi toute sa place dans la famille alors qu’il réclamait une place d’ouvrier – et un vêtement de fête – signe de la joie qu’il a, lui le Père, d’accueillir à nouveau son fils, revenu à la vie. Au fils aîné qui se révolte devant l’attitude de ce père qu’il ne comprend pas, il fait une invitation à entrer dans sa joie. Cette parabole est un petit bijou théologique, et vous aurez beau la relire ou la réentendre tous les ans, vous y découvrirez toujours plus combien Dieu aime, combien Dieu pardonne. 


Qui est Dieu pour nous ? Ayant entendu cette parabole, nous serions tentés de dire, peut-être un peu par habitude, que Dieu est celui qui pardonne à ceux qui se tournent vers lui. C’est vrai : mais je crois de plus en plus que Dieu pardonne même déjà avant le retour du fils. Je crois que le fils est pardonné dès le moment de son départ de la maison. Que voulez-vous ? Ce père aime, et il ne saurait tirer un trait sur l’existence de ce fils qui semble perdu, parti avec son héritage. Le retour du fils n’en devient pas pour autant moins nécessaire. Parce que si le Père pardonne dès le départ, il faudra que le fils rentre, revienne vers son père, pour éprouver la joie du pardon. Nous ne pourrons donc jamais faire l’économie du retour vers Dieu, pensant que de toute manière nous sommes pardonnés. Notre retour à Dieu nous permet d’accueillir ce pardon que Dieu offre sans cesse, avec largesse. A quoi cela servirait-il de croire en Dieu qui pardonne, si jamais je ne compte accueillir son pardon dans ma vie ? A quoi cela servirait-il que Dieu soit miséricordieux, si je n’ai pas besoin de sentir cette miséricorde à l’œuvre dans ma propre existence ? Le retour du fils nous permet de vérifier que la miséricorde de Dieu n’est pas une belle idée, mais une vérité à l’œuvre. Nous ne sommes pas dans la catégorie des belles histoires à raconter aux enfants, lorsque nous parlons de la tendresse, de l’amour et de la miséricorde de Dieu pour chacun d’entre nous. Nous sommes dans la réalité de ce que Dieu est vraiment, authentiquement, pour nous.  Dieu ne saurait être Dieu s’il n’était pas miséricorde. 


Qui est Dieu pour nous ? Le développement de notre liturgie de ce dimanche nous apprend aussi que notre Dieu est un Dieu qui se révèle. Nous n’avons pas à chercher Dieu : il se montre à nous. Il est celui qui vient à notre rencontre. Dans la liturgie de l’Eglise, cela est bien manifesté par ce temps de parole où nous lisons les textes sacrés, l’histoire d’amour entre Dieu et son peuple dans le premier testament, mais aussi le don du Fils unique, et les conséquences pour nous d’un tel don dans le second testament. Il y a là, peut-être, la raison majeure de l’obligation dominicale que Benoît XVI avait rappelé en son temps dans son document sur l’eucharistie intitulé Le sacrement de l’amour. Nous sommes invités de manière pressente à participer au repas de l’amour chaque dimanche, justement parce que Dieu s’y révèle tel qu’il est. Beaucoup de nos contemporains pensent qu’il suffit de mener une vie droite et de prier dans le secret de son cœur pour être chrétien. C’est sans nul doute utile et nécessaire, mais c’est aussi absolument insuffisant. Répondre avec fidélité, semaine après semaine, à l’invitation de Dieu lui-même à le rencontrer avec d’autres, me permet de ne pas me tromper sur Dieu, m’évite de me faire de lui une fausse image, basée sur mon unique sentiment. En venant à la messe, j’entends Dieu me dire qui il est pour moi, et le nom de Dieu révélé à Moïse dans les lectures de dimanche dernier, prend alors tout son sens : Je suis qui je suis, disait la voix de Dieu dans le buisson ardent à Moïse. C'est-à-dire, je suis celui que je serai pour toi selon les circonstances de ta vie. Ou encore, je suis celui qui se révèlera à toi selon ce que tu auras besoin de savoir de moi. Nous sentons bien déjà que nous ne possédons pas Dieu, que nous ne connaissons, et que nous ne connaîtrons, jamais tout de lui avant de le rencontrer nous-mêmes, face à face dans la joie du Royaume. Dieu est celui qui est toujours à découvrir. Et si c’est bien du même Dieu que nous parlons tous, malgré nos âges et nos vies différentes, nous en parlons tous différemment, simplement parce que Dieu ne se révèle pas pareillement à des enfants qu’à des ados ou des adultes. Dieu respecte trop chacun de vous pour ne pas vous accompagner dans ce qui fait la particularité de votre vie. 


Qui est Dieu pour nous ? Si nous regardons bien les deux fils de la parabole, nous comprenons vite qu’il est celui qui nous invite à toujours dépasser ce que nous croyons de lui, à ne jamais nous installer dans une image préfabriquée. Dieu est celui qui nous attend sur la route, mais qui se révèle toujours différent. Et si vous croyez avoir mis la main sur lui, assurez-vous bien qu’il ne soit pas déjà ailleurs, vous invitant à avancer plus loin pour le découvrir encore. Le plus jeune fils, au moment où la faim le tenaille, ne voit en son père que celui qui peut le nourrir au prix de sa propre déchéance : Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers. Il n’imagine pas un instant qu’il puisse être pardonné sans dommage, pardonné simplement par amour, sans que le Père ne se venge. Quant au second fils, celui que tout le monde imagine gentil et bien disposé, il ne se rend pas compte qu’il a une relation faussée à son père.  Lorsqu’il s’adresse à lui, il ne lui parle pas comme un fils parle à son père, mais bien comme un ouvrier : Je n’ai jamais transgressé tes ordres ! Il se révèle momentanément incapable de partager la joie de son père, parce que sa relation à lui n’est pas basée sur des liens filiaux. Il ne se sait pas fils jusqu’au bout des ongles ! Il ne se sent plus frère de celui qui est parti dilapider la fortune familiale. Il n’a jamais rien fait d’autre que de travailler pour son père : comment pourrait-il se sentir fils ? Il faut toute la tendresse et tout l’amour du Père pour, peut-être, réussir à lui faire comprendre qu’il est aimé grandement et pareillement. La parabole n’est pas achevée : nous ne savons donc pas si ce deuxième fils a fait lui-aussi son retour vers son Père ! Nous ne pouvons que croire qu’il s’est laissé, lui-aussi, aimer d’un amour inconditionnel. 


Qui est Dieu pour nous ? Je ne peux pas répondre pour vous à cette question. Aucun croyant ne peut faire l’économie d’une bonne réflexion sur cette question, ancrée dans la prière. Notre liturgie nous dira encore que Dieu est bien ce Père miséricordieux que nous pouvons prier avec un cœur d’enfant et un esprit vraiment filial. Elle nous redira que notre Dieu veut notre bonheur et qu’il nous offre sa bénédiction chaque jour. Je peux simplement vous dire qu’il est celui qui vous attend, qui veut faire alliance avec chacun de vous, particulièrement. Je peux aussi vous dire que vous n’aurez jamais fini de le découvrir ; c’est pour cela que je vous encourage à le découvrir encore. Laissez-vous approcher de lui puisqu’il vient à votre rencontre en Jésus Christ ; laissez-le vous parler chaque dimanche dans l’Eucharistie ; laissez-le vous accompagner chaque jour dans votre vie. Prêtez l’oreille de votre cœur ; Dieu vous appelle, Dieu vous attend, Dieu vous envoie. Que ce dimanche vous donne le goût de poursuivre sa découverte, et que ces jours de carême vous permettent une vraie rencontre avec celui qui vous aime et vous relève. Amen.


(Giorgio de Chirico, Le fils prodigue, 1922, Museo del Novecento, Milan)

samedi 23 mars 2019

03ème dimanche de Carême C - 24 mars 2019

Face au Mal, la prière et la conversion.

(En ce troisième dimanche de Carême, dans toutes les églises d'Alsace, sera donnée l'homélie ci-dessous, rédigée par Mgr Luc RAVEL, archevêque de Strasbourg).




L’évangile du jour place le mal au centre. La coïncidence est belle car, vendredi prochain, nous sommes tous invités à une journée de jeûne et de prière pour lutter contre les abus sexuels dans l’Église. Ces abus sont un très grand mal. Ils cassent des vies en morceaux. Le pape François nous a annoncé une « bataille totale contre les abus » dans l’Église. Les termes sont guerriers mais personne ne s’y trompe : nous sommes en état de guerre contre le mal introduit par la perversion de quelques uns. Ne pas s’y intéresser personnellement, c’est traverser le champ de bataille la fleur au fusil. C’est une inconscience grave : « Je voudrais ici réaffirmer clairement : si dans l’Église on détecte même un seul cas d’abus – qui représente déjà en soi une horreur –, un tel cas sera affronté avec la plus grande gravité. Frères et sœurs, dans la colère légitime des personnes, l’Église voit un reflet de la colère de Dieu, trahi et frappé par ces consacrés malhonnêtes. L’écho du cri silencieux des petits, qui au lieu de trouver en eux une paternité et des guides spirituels ont trouvé des bourreaux, fera trembler les cœurs anesthésiés par l’hypocrisie et le pouvoir. Nous avons le devoir d’écouter attentivement ce cri silencieux étouffé » (Pape François, 25 février 2019, Discours de clôture de la rencontre sur les abus sexuels).

Ne pas s’y intéresser, oser dire qu’on en parle trop, c’est mépriser les victimes. Dans l’armée, on parle d’abandon de poste. Collectivement, le diocèse cherche avec vous les bonnes pratiques et nous aboutirons avant la fin de l’année. Rappelons qu’aucun état religieux ne donne une immunité. 

Personnellement, nous avons à nous impliquer tous au niveau de l’écoute, de la prière, de la conversion. Je laisse la question absolument primordiale de l’écoute : chaque chrétien doit devenir  un cœur qui écoute.  Un amour qui prend soin des plus petits et des plus blessés. C’est le but de notre marche diocésaine actuelle. Voyons les deux autres implications personnelles.

1. La prière, le jeûne et l’esprit du mal.

La prière et le jeûne : ce sont les armes du Christ, les armes de lumière qui n’excluent aucune des autres mesures juridiques, pénales et pastorales. Ces « armes spirituelles » n’éliminent pas les autres moyens. Elles les complètent car cette bataille n’est pas seulement à taille humaine. Il y a des causes humaines : troubles moraux, perversions psychiques ou abus de pouvoir. Les crimes se réalisent à travers ces choses terribles qui seront condamnées. Mais il y a plus. Il y a la patte de l’esprit du mal. 

Écoutons encore le pape François : « Frères et sœurs, nous sommes aujourd’hui face à une manifestation du mal, flagrante, agressive et destructrice. Derrière et à l’intérieur de tout cela, il y a l’esprit du mal qui, dans son orgueil et son arrogance, se sent le maître du monde et pense avoir vaincu. (…) Dans ces cas douloureux, je vois la main du mal qui n’épargne même pas l’innocence des petits. (…) Derrière cela se trouve Satan. » (Ibid.)  

La présence de l’esprit du mal ne diminue pas du tout la responsabilité des coupables. Mais le pape nous invite à voir plus loin. Une certaine théologie, douteuse, a esquivé l’existence active de Satan, de l’esprit du mal. Certains ont voulu jeter à la poubelle ce qui leur semblait être des vieilles superstitions, liées aux anges, bons ou mauvais. Il y a peut-être eu, jadis, des excès dans les prédications. Mais nier la réalité n’est pas meilleur : on peut bien cacher le soleil avec sa petite main, il n’en brille pas moins. Il y a donc dans notre monde d’autres forces que celles des hommes. Ces forces s’attaquent directement aux esprits humains. Ainsi, des esprits mauvais, preneurs d’otages du psychisme, terroristes de la pensée, ont courbé l’intelligence et tordu le cœur d’un certain nombre de prêtres. Contre ces esprits, ce n’est point la crainte ou le droit mais la prière et le jeûne qui sont efficaces, « pour nous empêcher de désirer le mal », confirme saint Paul (2ème lecture). 

La pénitence jointe à la prière vise à laisser plus de place au Christ dans notre vie. S’ouvrir ainsi de façon nouvelle au Christ nous pose dans une autre dimension de notre bataille : lutter contre le mal ne suffit pas, il faut aussi avancer dans le bien. 

2. La conversion :

Et c’est notre deuxième implication personnelle : la conversion.

Le propos du Christ dans cet évangile est d’une rare violence. En toile de fond, la mort d’innocents qui ont eu le seul tort d’être sous la tour de Siloé au mauvais moment ! Cette violence verbale dit franchement une chose : nous avons besoin de nous convertir. Tous les chrétiens, et donc tous les prêtres et évêques, ont besoin de se convertir : les bons pour progresser, les mauvais pour changer. Et nous sommes un peu des deux.



Nous devons être convaincus que nous ne sommes pas faits pour rester au même niveau chrétien. Pour redoubler à l’infini la même classe d’école. Pour ronronner dans une foi satisfaite, même pratiquante. Nous sommes faits pour avancer. Or, dans la vie chrétienne, on avance par sauts, par conversions successives. Ne pas le savoir, c’est se condamner à la régression par la force des habitudes : « On a toujours fait comme ça ! »  Nous sommes des non-convertis si nous ne nous considérons pas comme à convertir. Pas un d’entre nous ne devrait se dire converti, même s’il est chrétien depuis quatre-vingt ans.



Or, l’appel à la conversion se reçoit souvent lors d’une occasion brutale : un accident, un passage près de la mort, une forte déception… 





3. Trois occasions de conversion.



Regardons pour l’exemple les trois cas « d’accident » traités par le Christ et qu’il nous présente comme autant d’occasions de conversions.



Les galiléens massacrés disent leur sang mêlé à celui des sacrifices qu’ils offraient. Ce sont les prêtres, massacrés aujourd’hui à cause de quelques uns d’entre eux. Beaucoup le vivent difficilement. Ne leur faut-il pas entendre ce message du sang versé alors qu’ils offrent le sang très pur du Sacrifice ? C’est la conversion qui est demandée à chacun de nos prêtres : suis-je moins pécheur que les prêtres coupables même si je n’ai pas commis les mêmes crimes ? Ne suis-je pas prêtre pour offrir ma vie en même temps que j’offre l’Eucharistie ? Il me revient ce mot de Paul Claudel : « Que les prêtres offrent le Corps du Christ et le leur avec. » Nos réputations salies, nos missions compliquées, nos vies ternies par d’autres : on en pleure, mais après ? Prêtre, convertis-toi en acceptant que ton sang et ta sueur soient mélangés à Celui du Christ, la victime innocente. Prêtre, tu es appelé à la conversion au sacrifice personnel, à la conversion de l’humilité. Elle sera rude mais elle débouchera sur une fécondité prodigieuse.



L’effondrement de la tour de Siloé évoque la chute des stars, ces tours splendides aux yeux des hommes. Pensons à la condamnation des cardinaux parmi les plus brillants : Mac Carrick, Pell… « Celui qui se croit solide qu’il fasse attention de ne pas tomber. » (1 Cor 10, 2ème lecture) En pâtissent tous ceux qui se trouvaient au-dessous. Ceux qui étaient à l’ombre de ces grands. Ceux qui leur vouaient une confiance exorbitante. Ceux-là succombent à l’écroulement de leurs « stars pastorales ». Convertissez-vous ! Une seule tour ne s’effondre jamais : notre Seigneur. À lui, toute confiance, tout honneur et toute gloire ! Le respect profond que je vous invite à avoir pour vos prêtres ne coïncide pas avec cette sorte d’admiration béate qu’on voit assez fréquemment et qui tourne souvent à l’esprit partisan. Nous ne sommes pas des fidèles du père Untel, aussi charismatique soit-il.  Nous sommes les brebis du Seigneur Jésus.



Le figuier stérile nous présente un troisième grand malheur, celui de l’infécondité. C’est moins sanglant, mais ce n’est pas moins mauvais. Un homme sans fécondité est pour Dieu une chose aussi terrible que l’écroulement de la haute tour. C’est peut-être l’infertilité de notre vie chrétienne : nous sommes un beau figuier mais sans fruits. Les fruits, ce sont les hommes qui découvrent le Christ. « Maître, laisse-le encore cette année (...) Peut-être donnera-t-il  du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. » Nous sommes sur cette bonne terre de l’Église. N’épuisons pas le sol pour rien. Portons du fruit, c’est à dire soyons missionnaires. Voilà encore une conversion : passer d’être chrétien avec les croyants  à être missionnaire envers ceux qui ne le sont pas.



Que Dieu nous donne sa grâce pour notre prière et notre conversion. Amen.



+ Luc RAVEL


samedi 16 mars 2019

02ème dimanche de Carême C - 17 mars 2019

Et nous, quand verrons-nous Jésus transfiguré ?




Il y a des moments où je regrette de n’avoir pas vécu à la même époque que Pierre, Jacques et Jean. Et même des moments où je regrette même de n’avoir pas été l’un d’eux. Imaginez : être choisi par Jésus pour vivre un moment unique comme celui de la transfiguration ! Quelle chance ! Comment ne pas sentir sa foi en Jésus être renforcée ? Comment ne pas redescendre de la montagne heureux et fort ? Mais bon, vous comme moi, c’est en 2019 que nous vivons et cet épisode est loin maintenant. Nous en gardons le souvenir par les évangélistes qui ont rapporté ce que ces trois-là leur ont confié plus tard. Alors, sommes-nous définitivement privés de voir la gloire de Dieu de notre vivant ? 

Certains affirmeront : ça va venir, mais plus tard, sous-entendant que cette expérience est unique et ne se fera pour nous que par-delà la mort. Selon eux, nous ne pouvons pas, ici-bas, contempler la gloire de Dieu. S’il est vrai que nous ne connaîtrons Dieu parfaitement que lorsque nous serons appelés à vivre pleinement auprès de lui, il n’est pas vrai de dire ou de croire qu’une expérience comme celle que font Pierre, Jacques et Jean n’est pas pour nous, dès ici et maintenant. Au contraire, il n’y a pas de meilleur moment, ni de meilleur lieu que celui où nous sommes, pour vivre justement la même expérience. 

A chaque eucharistie, en effet, Jésus nous emmène, comme jadis Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, pour prier, c'est-à-dire pour faire une rencontre avec Dieu. L’espace sacré du chœur est ce lieu de la montagne où Dieu se révèle à nous dans sa parole lue et commentée ; il se révèle à nous également dans le pain et le vin de l’Eucharistie où sa gloire se donne en partage pour notre salut. Nous y sommes invités par le Christ, pour prier. Non pas pour faire nos dévotions personnelles, mais pour prier de la prière même de Jésus, la prière de l’Eglise qui s’unit au Christ pour rendre à Dieu la gloire qui lui revient. Au cours de la messe, nous rencontrons Dieu, seul et en Eglise. Quelquefois nous sommes comme Pierre, Jacques et Jean, accablés de sommeil, ne comprenant pas bien ce qui se passe ; mais quelquefois, nous sommes aussi comme Pierre et ses compagnons, résistant pour rester éveillé, et comprenant que quelque chose d’extraordinaire et de grandiose se joue ici. 

Oui, ici et maintenant, nous pouvons contempler la gloire du Christ ; oui, ici et maintenant, nous pouvons rencontrer Dieu lui-même qui nous redit comme jadis : celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! Et lorsque nous prenons à cœur d’écouter cette parole, nous pouvons nous sentir transportés, proches de Dieu lui-même. N’avez-vous jamais eu chaud au cœur en entendant telle parole d’Evangile qui vous rejoignait particulièrement dans votre existence ? N’avez-vous jamais eu l’envie de prolonger ce cœur à cœur avec Dieu alors que tous quittaient l’église pour s’en retourner chez eux ? Je ne dis pas que cela se produit à chaque fois, mais de temps en temps, quand je suis bien disposé, bien attentif, quand je me laisse guider par le Christ lui-même ; alors sa parole me touche, alors sa parole me concerne, alors sa parole me convertit.

Oui, comme je comprends Pierre qui veut prolonger ce moment à contempler la gloire de Dieu ! Comme je comprends son envie de rester là, en dressant des tentes : on est si bien auprès de Dieu. Mais nous le savons, la gloire de Dieu nous est révélée pour que nous en témoignions. Les disciples devaient garder le silence parce que cette expérience ne prendra sa pleine force qu’après Pâques, quand le Ressuscité se manifestera pour raffermir ses disciples. Au moment de la Transfiguration, ils ont un avant-goût de ce que sera la gloire du Christ, après son passage par la croix et son retour vers le Père. Mais nous qui vivons en 2019, nous n’avons pas à nous taire ; au contraire, il nous faut témoigner de ce Jésus, mort et ressuscité pour notre vie, mort et ressuscité pour la vie du monde. Comment ne pas partager ce que nos cœurs croient, ce que nos yeux voient de la gloire du Christ à l’œuvre dans notre monde. Je veux bien admettre qu’en ces temps qui sont les nôtres, où des révélations sordides succèdent à d’autres toutes aussi sordides, nous ayons du mal à contempler cette gloire ; mais je veux admettre aussi que le péché de quelques-uns ne saurait ternir la fidélité des autres, bien plus nombreux. L’Eglise reste sainte quand bien même les pécheurs y seraient les plus nombreux. 

En sortant de cette église, nous ne serons peut-être pas tous transportés par ce qui aura été vécu ici, mais tous, nous pourrons avoir la certitude que Dieu lui-même nous a approchés, qu’il nous a parlés et qu’il nous a nourris. De tous, il a fait des citoyens des cieux appelés à une vie plus grande, plus belle. Puissions-nous ne pas être accablés de sommeil, mais garder au cœur ce que nous aurons vu et entendu, en fidèles ouvriers de l’Evangile. Amen.


(Dessin de Coolus, Le lapin bleu, Blog en lien)



samedi 9 mars 2019

01er dimanche de carême C - 10 mars 2019

Un Carême pour quoi ?





Si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Nous en sommes à peine au premier dimanche du temps de carême que déjà la liturgie nous met en face de ce qui se prépare. Le chemin commence à peine qu’elle nous donne le terme de la route, le but de cette marche au désert : la mort et la résurrection du Christ, et par-delà notre propre salut ! Alors pourquoi devrions-nous nous fatiguer ? D’ailleurs, n’est-ce pas chaque année la même chose ? Le carême de cette année n’est-il pas le même que celui de l’an passé : quarante jours finalement à attendre Pâques ? Quarante jours, c’est tout !

Nous pouvons voir les choses ainsi : quelques semaines d’efforts à faire, qui, si nous ne les faisons pas, ne changeront pas grand-chose. Nous pouvons vivre effectivement ce temps de carême comme n’importe quel temps liturgique : nous allons à la messe le dimanche, nous prions sans doute un peu en semaine. Peut-être mangerons-nous moins de viande ! Après tout, c’est la tradition de faire maigre pendant le carême à cette période de l’année ! Vivrons-nous mieux ? Croirons-nous mieux ? J’en doute. 

Nous pouvons aussi choisir de vivre ce temps avec le Christ. Nous pouvons décider de partir au désert pour le rejoindre. Il nous y attend. Bien sûr, nous n’allons pas aller au bout du monde, ni nous retirer sous les palmiers, dans un océan de sable. Mais nous pouvons faire un voyage intérieur. Nos cœurs ne sont-ils pas quelquefois des déserts arides où rien ne pousse ? Nous pouvons choisir de nous retirer au plus profond de nous, pour mieux nous retrouver, pour mieux rencontrer Dieu, pour mieux y redécouvrir nos frères. Mais ça va changer quoi ?

D’abord, le fait de regarder longuement notre vie, et la relire à la lumière de la Parole de Dieu, permettra de nous retrouver. N’y a-t-il pas des jours où nous pouvons avoir l’impression que l’image que nous renvoie notre miroir n’est pas la nôtre ? Plonger au cœur de notre vie permet de vérifier tout ce dont il faut nous séparer, tout ce qu’il nous faut retrouver. C’est nous donner la chance de renaître, débarrassé de ce qui effraie, enrichi de ce qui fait vraiment vivre. L’homme ne vit pas seulement de pain, nous dit Jésus aujourd’hui. Il y a, en nous, depuis notre baptême, une force de vie que nous n’exploitons pas assez, que nous ignorons souvent. Nous retirer dans notre désert intérieur et nous laisser tenailler par la faim et la soif d’absolu, nous permettra de faire jaillir en nous la source de vie de notre baptême. Mercredi, la liturgie appelait cela : savoir jeûner, autrement dit savoir se détacher de ce qui est superflu pour retrouver le goût de l’essentiel.

Ensuite, le fait de regarder longuement notre vie, d’y découvrir une soif de vivre que nous croyions perdue, nous rapprochera des autres. Car eux-aussi ont soif de vivre ! Eux aussi ont faim d’absolu ! Et nous nous rendons compte que notre désert n’est pas si vide que cela. Il y a du monde qui n’attend que nous. Il y a du monde qui a besoin de nous. Nous avons, chacun, le pouvoir de les aider. Mais comment ? C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte, nous dit Jésus aujourd’hui. Et voilà que notre pouvoir d’aider se transforme en devoir : le devoir de la charité, culte authentique adressé à Dieu par le service du prochain comme en témoignent tant de prophètes. Les autres ne sont pas là pour que nous nous servions d’eux, ou qu’eux se servent de nous, mais pour qu’ensemble nous avancions sur la route que le Christ nous a ouverte. Cette route s’appelle service, attention aux autres, respect. Il y a du bonheur à se mettre volontairement au service des autres. Mercredi, la liturgie appelait cela : faire l’aumône, être charitable. Savoir s’ouvrir aux autres, s’intéresser positivement à eux pour vivre et grandir avec eux.

Enfin, le fait de regarder longuement notre vie, d’y découvrir tous ceux qui la peuplent, nous permettra de rencontrer le Tout Autre, celui qui nous a justement invités à entrer en nous. Il est là, depuis le début, depuis toujours, et il nous attend. Il est à la fois la source qui fait vivre et une part de tous ceux que nous rencontrons. Il est notre familier, notre intime. Il est celui que nous cherchons, sans toujours le savoir. Il est celui qui nous offre sa vie, celui qui nous libère de tout ce qui nous enchaîne, de tout ce qui nous oppresse. Il est celui qui veille sur nous : nous n’avons qu’un mot à dire. Je le défends, car il connaît mon nom, nous dit le psaume de ce jour. Mais il faut que nous en ayons vraiment besoin, que nous reconnaissions notre désir et notre besoin d’être sauvé. Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu, nous dit Jésus aujourd’hui. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas crier vers lui, lorsque nous sommes dans le besoin, au contraire ! Il nous dit simplement de ne pas tenter d’arracher à Dieu une aide qu’il ne peut nous donner. Son désir, c’est de nous sauver ; pas de jouer au magicien. La vraie prière, ce n’est pas celle qui soumet Dieu à nos caprices ; c’est celle qui change notre cœur, qui nous transforme de l’intérieur, qui nous met en présence de Dieu. Mercredi, la liturgie appelait cela : prier le Père qui est présent dans le secret. Savoir entrer en relation intime et vraie avec celui qui nous donne la vie, sans cesse. 

Ce n’est peut-être pas un hasard si, à quatre jours d’intervalle, la liturgie nous propose de manières différentes, ces trois chemins de perfection : le jeûne, la charité et la prière. Nous sommes provoqués à emprunter ces chemins durant ce temps que nous avons ouvert mercredi. Ils nous sont proposés comme un moyen d’unifier notre vie pour avancer mieux et plus librement vers le matin de la Pâque. Comment pourrions-nous passer la croix si nous restions pleins de nous, coupés des autres, coupés de Dieu ? Comment pourrions-nous croire du fond du cœur en ce Ressuscité qui nous sauve, si nous refusons aujourd’hui de le rejoindre au cœur de nos déserts où déjà il nous attend pour libérer nos vies ? Amen.



mardi 5 mars 2019

Mercredi des Cendres - 06 mars 2019

Et toi, quand tu pries…







Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée.
Cet ordre du Christ nous est redonné chaque année au moment de l’entrée en Carême. La prière, avec la charité et le jeûne, fait partie des trois piliers du Carême, des trois voies à suivre pour nous rapprocher du Christ, pour manifester notre désir de le suivre de manière renouvelée. C’est sur l’axe de la prière plus précisément que je voudrais vous engager à vivre ce temps, sans rien négliger des deux autres bien sûr.

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée.
Nous comprenons bien qu’il s’agit là d’une invitation à une proximité avec Dieu, à une intimité avec lui qui ne peut se faire dehors, sur la grande place. La prière est affaire de relation personnelle. Prier Dieu nécessite un lieu propice, un temps propice, et un nécessaire silence. N’oublions pas que dans la prière, Dieu nous parle. Il nous faut donc nous donner les moyens de l’écouter. « Je l’avise et il m’avise » selon le mot rapporté par le curé d’Ars. L’on comprend bien Jésus et on le suit sur la route de la prière lorsque, refermant sur nous la porte de notre chambre, nous le prions dans le secret, sans que personne n’en soit témoin, sans que personne ne nous entende. Le Carême peut véritablement être pour chacun l’occasion de renouer le fil de ce dialogue intime avec Dieu, si d’aventure nous en avions perdu le chemin ou si nos rendez-vous se sont espacés pour cause de multiples occupations.

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée.
L’invitation du Christ à nous retirer dans le secret disqualifie-t-elle alors tout rassemblement ? Supprime-t-elle la nécessité ou l’obligation du rassemblement dominical ? Jésus ayant dit « retire-toi dans ta pièce la plus retirée» et non pas « va à l’église », faut-il en déduire que je peux prier chez moi, tout seul et que cela suffit ? Je ne crois pas que nous puissions tirer pareille conclusion. D’abord à cause de la pratique de Jésus lui-même. Lorsque les évangélistes nous parlent de sa prière, ils nous le montrent certes entrain de prier, la nuit le plus souvent, seul, à l’écart. Mais ils nous le montrent aussi allant à la synagogue, ou montant au Temple de Jérusalem pour les fêtes de la Pâque.

La pratique des premiers chrétiens, ceux qui ont connus Jésus, nous interdit aussi pareille conclusion, car trop hâtive. Lorsque nous lisons les Actes des Apôtres, nous voyons les croyants en Christ fréquenter les synagogues et le Temple jusqu’à ce qu’ils en soient exclus par ceux qui les considèrent dangereux pour leur foi. Et dès lors, les chrétiens continuent de se réunir dans des maisons particulières pour l’Eucharistie au jour du Seigneur (le dimanche) par fidélité à l’ordre du Christ lui-même, pour célébrer ensemble sa mort et sa résurrection. Il y a des prières qui nécessitent la présence de la communauté ; il y a nécessairement le temps du rassemblement qui nous tourne, avec nos frères, vers Dieu. 

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée.
L’ordre du Christ n’annule pas le besoin de se retrouver pour célébrer ensemble. La nécessaire prière personnelle, relation intime avec Dieu, ne s’oppose pas et n’annule pas la nécessaire prière communautaire. Lorsque les chrétiens se rassemblent, ils se retirent bien dans leur chambre commune qu’est le bâtiment église pour ne faire qu’un corps, une voix s’élevant vers le Père de toute éternité. Ce que Jésus semble condamner, c’est la publicité faite à la prière, y compris personnelle, et non la nécessité de se rassembler pour célébrer ensemble, avec les frères, notre foi. L’on peut dire que l’église est notre chambre commune, dans laquelle nous nous retirons pour prier Dieu, pour lui rendre grâce de ce qu’il nous donne de vivre. Malgré le nombre de participants, nous pouvons dire que nous nous retrouvons tous dans l’intimité du Père pour l’écouter nous parler, nous qui formons l’unique Corps du Christ, pour recevoir de lui ce qu’il veut nous donner encore et repartir vers le monde, vers les autres, vers la sphère publique, forts de ce que nous avons vécu ensemble, dans l’unité. Lorsque nous sommes rassemblés comme ce soir, nous ne sommes pas d’abord quelques individus venus chacun pour lui-même ; nous nous rassemblons d’abord pour manifester cette Eglise du Christ qui se tourne vers son Dieu pour proclamer sa gloire et sa louange. Si nous venons d’horizons divers, si nos histoires sont particulières, notre prière se fait unanime. Elle est la prière de l’Eglise une qui s’adresse à son unique Dieu. Bien que plusieurs, nous nous retrouvons dans l’intimité de cette chambre haute où Dieu nous parle au secret de nos cœurs. Même si nous étions dix milles à célébrer, il y aurait toujours un secret du cœur où Dieu viendrait nous parler, il y aurait toujours cet endroit au plus profond de nous où Dieu lui-même nous rejoint.  

Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans la pièce la plus retirée.
Prière personnelle et prière en Eglise ne s’opposent pas. Elles sont les deux temps d’un même mouvement qui nous introduit dans l’intimité du Père. Ce temps du Carême qui s’ouvre, peut être l’occasion pour chacun de les redécouvrir et de les revivre. Ces deux prières sont comme les deux pieds sur lesquelles nous marchons pour parvenir au Dieu vivant et vrai. Sur le chemin vers Pâques, nous aurons besoin de temps en tête à tête avec Dieu dans le secret de notre chambre personnelle. Sur le chemin vers Pâques, nous aurons aussi besoin de temps commun pour nous rendre compte que nous ne sommes pas seuls à suivre le Christ, que l’Eglise se construit toujours encore et que nous en faisons bien partie. Ce que nous aurons découvert de Dieu dans l’intimité de notre relation personnelle, nous le confronterons à notre foi lorsque nous nous retrouverons dans l’intimité d’une église, faisant corps avec les autres croyants en Christ. Le carême peut être un temps pendant lequel, solitairement et communautairement, nous venons près de la source entendre Dieu nous parler et nous confier à lui les uns les autres. Ce serait assurément une belle manière de monter vers Pâques. Nous pouvons en prendre la route dès ce soir. Amen.


samedi 2 mars 2019

08ème dimanche ordinaire C - 03 mars 2019

Que notre cœur demeure en Dieu !





            A trois jours de l’entrée en Carême, il me faut bien reconnaître que les lectures de ce dimanche nous entraînent déjà à vivre ce temps particulier de l’Eglise. Que ce soit la lecture du livre de Ben Sirac le Sage, ou Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, ou encore Jésus dans ce passage de l’évangile de Luc, tout nous tourne déjà vers l’intérieur de nous, vers notre cœur. Tout se joue là, dans cet organe que nous avons consacré à l’amour, mais que la bible consacre à tout autre chose. Jésus nous le fait comprendre quand il affirme que ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. 

            Jésus se situe ainsi parfaitement dans la ligne de Ben Sirac qui prévient : Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger. Que pourrons-nous juger alors ? Ce qu’il y a dans son cœur ! Car, pour l’homme biblique, le cœur n’est pas d’abord le siège des sentiments, mais des décisions. Oui, l’homme qui se laisse façonner par la Parole de Dieu réfléchit avec son cœur. C’est encore Ben Sirac le Sage qui nous le rappelle dans un autre passage de son livre, au chapitre 17 : Aux humains, [Dieu a donné] un cœur pour réfléchir. Cela peut paraître surprenant à l’homme moderne qui a assigné cette tâche au cerveau, quand il accepte que ce ne soit pas un organe situé bien plus bas qui réfléchisse pour lui. Le projet de Dieu était bien que l’homme utilise son cœur pour réfléchir et donc pour décider aussi. Autrement dit, c’est au plus intime de lui que l’homme doit prendre les grandes décisions de sa vie. Et il peut le faire là, parce que dans le projet de Dieu, c’est aussi là que Dieu parle en cœur à cœur avec l’homme. C’est là que l’homme connaît Dieu. Il nous faut ici convoquer le prophète Jérémie qui affirme au chapitre 31 de son livre : Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Nous qui accueillons par l’Eucharistie le Christ Sauveur au cœur même de notre vie, nous qui croyons qu’en Jésus venu en notre chair, Dieu a établi sa demeure en nous, nous devrions mieux que d’autres comprendre cette approche du cœur de l’homme comme lieu de nos décisions.

            En effet, si Dieu habite en nous, comme l’affirme Jérémie, alors notre cœur est à lui, notre cœur est le siège de sa demeure. Toutes nos décisions, prises là où Dieu habite en nous, devraient donc être marquées du sceau de sa parole, et rien de mauvais ne devrait sortir de notre bouche. Jésus a bien raison d’affirmer alors que l’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon. Forcément, puisque Dieu y demeure. En même temps, Jésus nous dit que l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais, parce qu’il n’a pas laissé à Dieu la place qui lui revient. Chasse Dieu de ta vie, et ton cœur sera rempli par le Mal, parce que les bons sentiments que tu peux y mettre, s’ils ne sont pas défendus par Dieu, ne tiendront pas quand viendront les temps difficiles ou l’adversité. Ils cèderont le pas au Mal qui s’installera là. Plus rien de bon ne pourra sortir de toi. Le temps du Carême qui approche va être l’occasion de replonger dans notre cœur et de vérifier qui y habite : l’esprit de Dieu ou l’esprit du Mal ?

            Nous comprenons alors mieux et l’importance de revenir sans cesse à la source de notre baptême, et l’importance de l’eucharistie fréquente. Par le baptême, nous devenons fils de Dieu. Dieu nous adopte comme sien, il établit sa demeure en nos vies singulières et uniques. Il restaure en nous son image et sa ressemblance que le péché originel a dégradée. Par l’eucharistie, il vient nous donner le pain des forts, la nourriture qui nous rend capable de résister au Mal, quotidiennement. Il nous faut vivre de la grâce de ces sacrements pour que Dieu puisse prendre toute la place qui lui revient dans notre cœur, et que le Mal n’ait plus de prise sur nous. L’eucharistie fréquente vient comme revigorer notre baptême et redire que nous voulons que Dieu soit le maître et le guide de notre vie. Ce qui est visé, c’est la réalisation en nous de la parole de l’Ecriture que Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il ton aiguillon ? Il nous rappelle ainsi que nous sommes destinés à la vie, à la vie en plénitude qui n’existe qu’en Dieu seul. Nous pouvons faire nôtre alors l’appel de Paul : Frères bien-aimés, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue.

            Dès maintenant, sans perdre de temps, pour vivre dans trois jours un début de Carême efficace, redisons à Dieu notre désir de le voir habiter en nous. Invitons-le chez nous, pour qu’un jour, il puisse nous inviter chez lui. Que notre cœur demeure à Dieu ; que notre cœur demeure en Dieu. Amen.