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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 30 avril 2022

3ème dimanche de Pâques C - 01er mai 2022

 Faire route avec les disciples pour témoigner du Ressuscité.




(Saint Pierre devant le grand prêtre, détail vitrail de la cathédrale de Troyes)


        Ils sont étonnants, non, les Apôtres que Luc nous dépeint dans son second livre. Ils sont étonnants, parce qu’ils sont transformés, profondément. Quand on se souvient de ceux qui étaient enfermés à double tour au soir de Pâques, et qu’on les voit aujourd’hui, rentrant chez eux tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus, on peut avoir quelque peine à croire que ce sont les mêmes. Et pourtant, ce sont bien eux, avec à leur tête Pierre, celui qui avait renié, et qui maintenant proclame que le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus. Ceux qui veulent une preuve de la résurrection de Jésus n’ont qu’à se plonger dans la lecture des Actes des Apôtres pour reconnaître dans leur agir, dans leur art de vivre la présence de Jésus ressuscité. Quand cette expérience de la rencontre vraie avec le Ressuscité est faite, rien n’est plus comme avant dans une vie. Tout est changé, tout est bouleversé. 

            Regardez Pierre et les disciples. Lorsque nous les croisons, dans leur barque entrain de pêcher, ils ont déjà fait cette expérience, cette rencontre avec Jésus ressuscité. Souvenez-vous de l’évangile de dimanche dernier. Les Onze restant ont eu droit à une apparition de Jésus. Le doute n’est plus permis pour eux. Ils ne mesurent sans doute pas encore toutes les conséquences de cet acte inédit de quelqu’un qui était mort et qui maintenant est pleinement, réellement vivant. Mais nous sentons déjà plus de légèreté dans leur vie, le retour de la joie qu’ils avaient complètement perdue après la mort de Jésus. Ils sont bien, là dans leur barque, même s’ils n’ont rien pris. Une sortie entre amis fait toujours du bien. Au petit matin, lorsque quelqu’un les interpelle depuis la rive, ils ne reconnaissent pas Jésus. Mais ils vont obéir à cet homme qui leur dit de relancer le filet. Le résultat ne se fait pas attendre : le filet est débordant. C’est le signe qu’il leur fallait pour reconnaître Jésus qui les attend sur le rivage. La joie du repas qui suit doit être plus grande encore. 

            Ce qui suit le repas n’est pas moins intéressant : une rencontre au sommet, pourrait-on dire : Jésus et Pierre en face-à-face avec une question trois fois posée : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Il fallait bien cela pour faire écho à la question trois fois posée à Pierre au moment de son procès : N’es-tu pas l’un des siens ? Trois affirmations de l’amour de Pierre pour Jésus pour effacer les trois négations de cet amour. Et une invitation pour finir : Suis-moi ! Celui qui avait renié, est refait disciple, avec une conséquence nouvelle. Si avant la passion, suivre Jésus signifiait marcher avec lui, désormais suivre Jésus, c’est le suivre sur le chemin de la passion. Une passion totale pour Dieu, une passion totale pour l’homme, sans oublier cette passion qui fait souffrir et mourir pour celui qu’on aime. Pierre et les autres en font l’expérience plus d’une fois. Mais nous l’avons vu dans les Actes, même le fouet ne peut faire taire ceux qui ont ainsi été transformés par la radicale nouveauté de la résurrection. Quand vous prenez conscience que la vie est plus forte que la mort, rien ne vous fait peur, rien ne vous arrête. 

            Aujourd’hui encore, nous pouvons (et nous devons) choisir de vivre de cette puissance de vie qui est en Jésus, mort et ressuscité. Nous le faisons potentiellement depuis notre baptême qui nous rend apte à vivre comme Jésus, entièrement donnés à Dieu et aux hommes. Mais nous savons aussi qu’il y a des jours où il est plus difficile de déployer cet art de vivre si particulier, cet art de vivre propre à ceux qui croient en Jésus. Nous savons aussi qu’il est difficile de témoigner de lui dans un monde qui ne tient plus Jésus pour véridique. Dans ces moments-là, n’hésitons pas à revenir aux Actes des Apôtres ; n’hésitons pas à suivre à nouveau Pierre et les autres, non seulement pour marcher à la suite du Ressuscité, non seulement pour vivre du ressuscité ; non, suivons-les aussi pour témoigner à nouveau que Jésus, celui qui était mort, est désormais vivant dans la gloire de Dieu. Le Christ n’est pas ressuscité pour nous seuls ; le Christ est ressuscité pour toute l’humanité. Le Christ n’est pas ressuscité pour que nous le gardions bien enfermé dans un tabernacle ; il est ressuscité pour que nous le fassions connaître à tous les hommes répandus à la surface de la terre. Le Christ n’est pas ressuscité pour faire la joie de ceux qui croient en lui ; il est ressuscité pour être la joie de toute l’humanité. Si nous le taisons, comment le monde croira-t-il l’incroyable ? Si nous le taisons, comment le monde se convertira-t-il à l’amour plus fort que tout ? Si nous le taisons, comment le monde vivra-t-il de cette vie qui ne finit pas en Jésus ? Lorsque nous proclamerons notre foi dans un instant, prenons la ferme résolution de marcher à la suite des disciples pour témoigner du Ressuscité. Prenons notre foi au sérieux pour que le monde nous prenne au sérieux. Prenons notre foi au sérieux pour que le monde prenne le Christ vivant au sérieux. Amen.

dimanche 24 avril 2022

 Faire route avec les disciples pour nous attacher au Ressuscité.



(Jésus ressuscité et Thomas, Source internet)




        Si vous avez été attentifs durant notre temps de carême, vous aurez remarqué que nous vous invitions à suivre Jésus qui marchait vers sa Pâque. Maintenant que ce grand passage de la mort vers la Vie est accompli, nous vous invitons à suivre les disciples, premiers témoins de la résurrection, pour entrer avec eux dans cette radicale nouveauté de Jésus, celui qui était mort et que nous proclamons désormais vivant, auprès de Dieu. En ce deuxième dimanche de Pâques, nous voulons suivre les disciples pour nous attacher au Ressuscité. 

            A l’écoute de l’évangile, nous pouvons comprendre que cela ne sera pas simple, parce que cette nouvelle de la résurrection, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a du mal à rentrer dans nos têtes. Les sondages liés aux élections nationales nous ont évité le traditionnel sondage pascal sur ce en quoi croient les chrétiens aujourd’hui et le désastreux constat que nous sommes de moins en moins nombreux à croire en la résurrection. J’en suis personnellement désolé, mais un chrétien qui ne croit plus à la résurrection n’est plus vraiment chrétien. Paul l’affirmait déjà aux chrétiens de Corinthe dans sa première lettre : Si le Christ n'est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu. Contrairement à ce que nous pourrions croire, ce n’est pas plus évident aujourd’hui, après vingt siècles de christianisme, de croire en la résurrection, que cela ne l’était au commencement, au lendemain de Pâques. Voyez les disciples dans l’évangile de Jean de ce dimanche. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, c'est-à-dire au soir de Pâques, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Depuis le matin de ce même jour, différents témoins, à commencer par les femmes de leur groupe, n’ont cessé de rapporter aux disciples la nouvelle d’un tombeau vide, de messagers qui disaient qu’il était vivant, que la mort n’avait pas eu raison de Jésus, et malgré tout, les disciples sont encore enfermés, plongés dans la peur. Pire, alors que ce soir-là ils reçoivent du Ressuscité sa paix et l’Esprit Saint, alors que pendant toute la semaine je les imagine bien ne cesser de raconter à Thomas qu’ils ont vu le Seigneur alors que lui était absent, huit jours plus tard, ils sont encore dans une maison dont les portes étaient verrouillées. Et les prédicateurs osent taxer Thomas seul d’incroyant, de disciple qui a besoin de voir pour croire ? Si les autres y croyaient autant après avoir vu Jésus, reçu sa paix et son Esprit Saint, pourquoi s’enfermer encore ? Non, la foi en la résurrection n’est pas quelque chose de facile à admettre ; cela ne l’a jamais été, cela ne le sera jamais. Et pourtant, ce sont ces disciples, peureux, ayant du mal à croire les femmes qui au petit matin s’étaient rendues au tombeau, ce sont ces disciples que nous devons suivre, c’est par ces disciples que la foi s’est lentement mais sûrement répandue d’abord à Jérusalem, puis dans le vaste monde romain. 

            Les Actes des Apôtres que nous lisons alors chaque année au temps de Pâques, nous permettent heureusement de comprendre ce que vit cette jeune communauté, née des disciples et du don de l’Esprit Saint. Ils nous permettent de comprendre que le témoignage des Apôtres, conjugué par la puissance de l’Esprit Saint, rend crédible ce message concernant Jésus, celui qui était mort, et qui maintenant est vivant. Ce qui frappe, à la lecture de ce livre si particulier mais tellement important, c’est que la foi se répand par la prédication certes, mais aussi par les signes que posent les Apôtres. Ces signes, ce sont bien sûr des guérisons, mais plus fondamentalement, un art de vivre que développent les Apôtres. Nous avons une trace de cela dans cette affirmation : tout le peuple faisait leur éloge. Après ce qui était arrivé à leur Seigneur et Maître, après la peur qui a été la leur et dont l’évangile s’était fait l’écho, voilà qu’ils ont pris leur courage à deux mains et ont montré ce que cela changeait dans une vie d’homme que de s’attacher au Ressuscité, de croire en lui sans même comprendre comment cela a pu se passer. Personne ne s’attache seulement à Jésus par goût du spectaculaire, pour une guérison obtenue. Quand votre médecin vous guérit, vous ne vous mettez pas à marcher derrière lui et à ne jurer plus que par lui. Quand quelqu’un se met à suivre Jésus, c’est parce que Jésus a changé sa vie ; si quelqu’un reste fidèle à sa foi, c’est aussi à cause du témoignage de la communauté à laquelle il appartient, à cause ce que vit cette communauté à laquelle il appartient désormais, puisque personne ne peut être chrétien tout seul. Il y a là, pour nous, pour chacun de nous, une grande responsabilité. 

            Baptisés, nous sommes aujourd’hui disciples du Seigneur ; nous sommes ceux qui peuvent donner le goût ou le dégoût de Jésus. Nous sommes ceux qui, par notre manière de vivre et notre manière de croire, peuvent donner envie de suivre Jésus. Si ce dimanche est appelé dimanche de la miséricorde, c’est d’abord parce que l’Eglise a conscience que c’est bien dans la mort et la résurrection de Jésus que Dieu nous fait miséricorde et nous sauve. C’est son Esprit Saint qui nous donne le courage de le suivre et vivre selon son enseignement. Mais il est aussi dimanche de la miséricorde pour nous rappeler que nous sommes invités à la miséricorde les uns envers les autres. Comment imaginer être sauvés radicalement et gratuitement sans faire miséricorde à notre tour à celles et ceux que Dieu met sur notre route ? La miséricorde, c’est le début de cet art de vivre que nous devons développer pour que ceux qui ne connaissent pas encore le Ressuscité puissent le découvrir et s’attacher à lui à leur tour. Soyons des passeurs du Ressuscité, des passeurs de sa miséricorde. Amen.   

dimanche 17 avril 2022

Saint Jour de Pâques - 17 avril 2022

 Faire route avec les disciples pour croire à l'impossible.




            Les mauvaises langues affirment que la nouvelle de la résurrection de Jésus a d’abord été confiée aux femmes, parce qu’ainsi Dieu aurait la certitude que la nouvelle se répandrait très vite. Les mauvaises langues ont tort de le croire ; il suffit de constater l’entêtement des disciples mâles à systématiquement vérifier les dires des femmes pour s’en convaincre.

            Que ce soit dans l’évangile entendu cette nuit, dans lequel Luc nous disait que les Apôtres jugeaient délirants ces propos, ou dans l’évangile de ce matin où deux disciples, et pas des moindres, vont vérifier ce qui leur a été annoncé (On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé), force est de constater que les hommes ont du mal à croire ce que disent les femmes. Je préviens d’emblée : je n’ai aucune explication à ce phénomène ; je constate, c’est tout. Je reconnais que, la résurrection de Jésus étant une première mondiale, la probabilité pour quiconque en parlerait d’être cru immédiatement et sans délai, est plutôt mince. D’ailleurs Marie Madeleine ne parle pas vraiment de la résurrection ; elle dit juste ce qu’elle a vu ou cru voir : un tombeau vide, et elle rajoute à cela son désarroi de ne pas pouvoir se recueillir devant le corps de Jésus. Personne n’a jamais fait ce qu’a fait Jésus ; personne n’a jamais vaincu la mort avant lui. Marie Madeleine ne peut pas vraiment comprendre, et les disciples peuvent ne pas être simplement crédules. Puisque les choses sont ce qu’elles sont, faisons donc route avec ces deux disciples et essayons de croire à l’impossible.

         Je ne m’attarderai pas sur le fait que le plus jeune court plus vite que le plus vieux. Ce qui m’intéresse, c’est la réaction de chacun devant le même tableau. Le plus jeune, arrivé le premier, n’entre pas, mais en se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat. C’est une constatation ; pour l’instant, il n’en tire aucune conclusion. Arrive le second, Pierre, qui lui entre dans le tombeau. Il ne reste pas sur le seuil du mystère ; il y entre et aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. Ce qui est surprenant, c’est que cet ordre, dans le désordre que constitue l’absence de cadavre, ne le gêne pas. Il ne sait pas quoi en faire, mais cela ne le perturbe pas plus que cela. Vous croyez vraiment que des voleurs de cadavres auraient pris le temps de tout bien ranger ? Il n’y a aucun indice d’un quelconque acte violent ou malveillant. C’est comme si la chambre n’avait jamais servi ! C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi lui voit et croit ce que Pierre voit aussi, mais qu’il ne croit pas ?

Je serai tenté de dire que Pierre est allé trop vite, comme à son habitude. A regarder Pierre de près dans les évangiles, il est toujours celui qui agit trop vite (souvenez-vous de l’oreille de ce pauvre Malcus) ou qui parle trop vite, sans réfléchir (souvenez-vous de l’indignation de Pierre quand Jésus annonce sa mort pour la première fois, ou sa réaction quand Jésus a lavé les pieds de ses disciples). Pierre est entré tout de suite dans le mystère du tombeau vide et il n’a vu que ce que tout un chacun aurait vu en pareille circonstance. L’autre disciple, s’était d’abord penché, sans entrer. Et il a vu ce que Pierre a vu. Mais quand il est enfin entré dans le mystère du tombeau vide, il n’était plus pris par ce qui était donné à voir ; il a pu entrer dans la profondeur de ce mystère ; il a pu comprendre, relier entre eux les signes vus (les linges bien rangés) et les paroles jadis entendues (les annonces de sa mort par Jésus lui-même, trois fois de son vivant) et le contenu des Ecritures (il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts). Pierre est rapide à entrer dans le mystère, mais ce faisant, sa vitesse le handicape ; il ne peut pas dépasser les constatations faites. L’autre disciple, bien que courant plus vite, nous donne une leçon sur les bienfaits de la lenteur : d’abord il se penche, puis il voit les linges, et enfin il entre dans le mystère et il croit.

La foi en la résurrection est un travail de maturation. Il ne faut pas aller trop vite. Pierre entre dans le mystère tout de go, il voit des signes (les linges pliés) qui deviennent sa préoccupation principale, ce qui le rend incapable de les comprendre. L’autre voit les signes (les mêmes linges) en se penchant, puis dans un second temps, il entre dans le mystère. Il peut croire, parce qu’il n’est plus préoccupé par ce qu’il voit de ses yeux de chair. Il peut voir maintenant avec les yeux de l’intelligence, avec les yeux de la foi. L’impossible devient possible. Le corps n’est plus là, non parce qu’il aurait été déplacé voire volé ; le corps n’est plus là parce que celui qui était mort est vivant, aussi incroyable que cela paraisse. Ce qui était annoncé dans les Ecritures est vérité. Ce que Jésus avait annoncé de son vivant est réalité. La mort a été vaincue. Jésus est bien vivant. Et ce qui compte, ce n’est pas comment cela s’est fait ; ce qui compte, c’est que cela est. Point. Avec Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, entrons dans le mystère et croyons désormais que le Christ est ressuscité, alléluia ! Qu’il est vraiment ressuscité, alléluia ! Le reste n’est que littérature. Amen.

samedi 16 avril 2022

Vigiles de Pâques - 16 avril 2022

 Faire route avec les femmes pour annoncer la Bonne Nouvelle.




(Arcabas, Les femmes au tombeau)



        Chaque année, au cours de cette grande nuit, nous est donnée à entendre cette page d’Evangile des femmes se rendant au tombeau à la pointe de l’aurore. Nous venons d’entendre la version de Luc. Ce sont ces femmes qu’il nous faut suivre ce soir pour comprendre et annoncer à notre tour cette grande nouvelle du tombeau vide. Oublions un instant que nous connaissons toute l’histoire, et marchons avec elles pour mieux comprendre ce qui leur arrive. 

            Nous avions laissé ces femmes au pied de la croix. Il ne fait pas de doute pour moi que ce sont les seules femmes du groupe proche des Apôtres à avoir eu ainsi l’idée de se lever de bonne heure pour entourer des soins funéraires prévus le corps mort de Jésus. Elles étaient quelques-unes avec Marie et Jean si l’on en croit Jean dont nous avons entendu hier le récit de la Passion. Elles étaient là jusqu’au bout ; elles ont vu l’emplacement du tombeau. Bien que Jean nous rapporte que Joseph d’Arimathie et Nicodème avaient déjà accompli tous les rites selon la coutume juive d’ensevelir les morts, ces femmes viennent renouveler l’opération. Je pense que cela est d’abord un geste pour elles, pour leur permettre de faire le deuil de leur ami. Elles n’en ont guère eu le temps au soir de sa mort à cause de la préparation de la Pâque juive. Imaginez-vous au milieu de ces femmes, entrez avec elles dans le tombeau de Jésus et voyez avec elles que le corps de Jésus n’est plus là. Il ne fait nul doute que vous serez aussi désemparés qu’elles. De même que vous serez craintifs avec elles lorsqu’apparaissent deux hommes en habit éblouissant. Avec elles, vous ferez un effort de mémoire pour vous souvenir de ce que Jésus avait dit, quand il avait annoncé sa passion. Ces paroles que personne n’avait bien comprises au moment où elles avaient été prononcées pour la première fois, je doute qu’elles soient plus compréhensibles maintenant, dans ce tombeau vide. Mais l’absence du corps et le témoignage de ces deux hommes donnent du poids et un contenu à ces mots. Remarquez la subtilité de Dieu qui envoie deux messagers et non pas un seul. A deux, le témoignage gagne en force et en véracité. Un témoin unique est un témoin nul, selon l’ancien adage latin. 

Mais on en fait quoi de ces deux témoins, de ce tombeau vide et de ces paroles curieuses : Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Remarquez que « vivant » n’est pas un adjectif ici ; Vivant est désormais le nouveau nom de Jésus. Il n’est pas simplement vivant comme vous et moi, il est LE VIVANT. Nous voici renvoyés à une autre parole de Jésus. N’a-t-il pas dit un jour : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ? Encore une phrase que nous avions du mal à comprendre et qui prend sens maintenant, dans ce tombeau vide. La mort n’a pas pu garder en ces liens le Seigneur de la Vie. Ce qui semblait être la victoire de la mort au soir du vendredi lorsque Jésus, mort, fut mis au tombeau, est pour toujours sa défaite totale. Il était mort, c’est vrai, mais pour combattre la mort sur son propre terrain et vaincre d’elle. Il était mort, c’est vrai, mais pour nous offrir une vie sans fin, une vie marquée du sceau de l’éternité, à l’image de la vie même de Dieu. Il était mort, c’est vrai, mais pour mieux nous préparer le chemin vers la Vie en plénitude, par-delà la mort. Désormais, pour tous ceux qui croient en Jésus, mort et ressuscité, la mort n’est plus le dernier mot de leur histoire. Désormais pour tous ceux qui croient en Jésus, mort et ressuscité, la tombe devient le berceau de cette nouvelle vie. 

Cela peut nous sembler délirant, comme les propos de ces femmes, rapportés aux Apôtres, leur semblaient délirants. Ils n’en sont pas moins l’expression de notre foi la plus profonde ; ils n’en sont pas moins l’expression la plus originale de notre foi, ceux qui nous distingueront toujours des autres. Ils resteront ce que nous avons de plus irréductible et de plus sûr. Il fallait que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite ; il fallait cela pour que nous ayons accès à la vie de Dieu. La mort de Jésus est notre chemin de vie. Cette lumineuse nouvelle, il nous faut l’annoncer, comme les femmes, avec le risque majeur de n’être pas crus. Mais qu’importe : c’est là le cœur de notre foi, c’est là la seule Bonne Nouvelle qu’il nous faut transmettre. Christ est ressuscité, alléluia. Il est vraiment ressuscité, alléluia !

vendredi 15 avril 2022

Vendredi Saint - 15 avril 2022

 Faire route avec Jésus jusqu'à la croix.


(Sieger KÖDER, Aux pieds de la croix)



            Durant tout notre Carême, nous avons cherché à faire route avec Jésus, à le suivre là où il voulait nous mener. Et aujourd’hui, voilà que tout semble s’arrêter, de manière cruelle, au pied de la croix. Est-ce pour cela que nous avons suivi Jésus ? Pour le voir pendu à la croix comme un vulgaire criminel ? Si nous prenons le temps de regarder le chemin parcouru, nous y découvrons des indices qui auraient dû nous le faire comprendre. 

            Je veux juste prendre pour exemple l’évangile du deuxième dimanche de Carême qui nous laissait entrevoir, à travers la transfiguration de Jésus, sa gloire éternelle, mais qui nous annonçait aussi son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. A Jérusalem, nous y sommes depuis dimanche ; son départ a lieu aujourd’hui, là, sur le bois de la croix. Il y a un je-ne-sais-quoi de définitif dans cet acte de la crucifixion de Jésus, non parce qu’il signe la mort de Jésus, mais parce que nous sentons bien qu’il y aura désormais un avant et un après. Personne ne tue un innocent sans que cela ne bouleverse la face du monde ! Les adversaires de Jésus ont beau eu préméditer leur crime, cherchant comment pouvoir l’accuser pour s’en débarrasser, il n’en reste pas moins que nous n’étions pas préparé à cela. Et comment comprendre que parmi ceux-là mêmes qu’il avait choisis et appelés, la plupart se sont ou retournés contre lui, ou enfuis loin de lui ? Si les Douze n’ont pas su suivre Jésus jusqu’à la croix, pourquoi y réussirions-nous ? 

            Comme il est difficile de suivre Jésus lorsqu’il marche vers sa mort ! Peut-être est-ce là la raison de la trahison de Judas ? Peut-être qu’il avait compris mieux que les autres quel genre de Messie Jésus voulait être. N’acceptant pas qu’il ne fut que le serviteur souffrant décrit par le prophète, il a voulu le faire réagir, pensant peut-être que devant la perspective de la mort, celui-ci se révélerait ou que Dieu interviendrait. Trahir pour provoquer une réaction qu’il n’espère plus ; trahir pour éviter le pire. Mais Jésus s’est laissé faire ; Judas n’a pas eu la réaction attendue. Jésus a même fait rengainer l’épée tirée trop vite de son fourreau. Ni Judas hier, ni aucun de nous aujourd’hui, ne peut éviter que Jésus réalise sa mission à sa manière. Le projet de salut que Dieu porte pour l’homme se réalisera avec nous et nous y aurons notre part, ou sans nous et nous nous couperons définitivement de la source du salut. 

            Comme il est difficile de suivre Jésus lorsqu’il marche vers sa mort ! Peut-être est-ce là la raison du reniement de Pierre ? Que Jésus veuille mourir, passe encore. Mais qu’il ne m’entraîne pas avec lui. Qu’il me laisse tranquille ; que tous me fichent la paix : Je ne suis pas un de ses disciples. Nous connaissons tous des moments où l’affirmation de notre foi, l’affirmation de notre appartenance à Jésus peut poser difficulté. Nous voudrions alors oublier un instant que nous sommes disciples de Jésus, oublier les exigences à cette dignité. Devant des choix de société, devant des questions éthiques difficiles, dans un monde en perte de repères, nous avons vite fait, pour ne pas passer pour rétrograde, de mettre notre foi en poche, un mouchoir dessus et de rentrer chez nous : non, décidément, je ne suis pas de ses disciples. C’est quand il ne nous reste, après coup, que nos yeux pour pleurer, que nous mesurons pleinement notre lâcheté, notre incapacité à faire confiance à Jésus là où il veut nous emmener avec lui. 

            Comme il est difficile de suivre Jésus lorsqu’il marche vers sa mort ! Pourtant, il y en a qui vont jusqu’au bout. Près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine, ainsi que le disciple que Jésus aimait. Ils ne sont peut-être pas nombreux, mais quel soutien pour celui qui est à l’agonie. Savoir que certains l’ont suivi jusqu’au bout, savoir qu’il n’a pas fait tout ce chemin jusqu’à la croix pour rien, cela peut nous sembler dérisoire, mais quiconque a eu à vivre un moment crucifiant, sait combien la présence d’une ou deux personnes à ses côtés, dans l’adversité la plus intense, est importante et rassurante. Certes, ni Marie, ni Jean ne peuvent grand-chose pour Jésus. Et pourtant, leur présence, là près de la croix, permet à Jésus un dernier geste. S’adressant à sa mère, il dit : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta mère. Celui qui a été abandonné par beaucoup, veille encore sur ceux qui sont restés jusqu’au bout ; il veille à ce qu’ils ne connaissent pas l’abandon à leur tour. Ils les confie les uns aux autres. L’amour envers les hommes dont il avait fait sa marque de fabrique, voilà qu’il l’étend à sa mère et à ce disciple, désespérés, pour qu’ils se réconfortent. S’il convient de reconnaître la naissance de l’Eglise au jour de la Pentecôte par le don de l’Esprit qui envoie les disciples en mission, il convient de reconnaître aussi que la cellule Eglise est conçue là, dans ce don réciproque. L’Eglise sera ce lieu, vivifiée par l’Esprit Saint, où nous nous recevons en frères et sœurs, où nous veillons les uns sur les autres, dans l’amour de ce Fils unique qui nous a aimés jusqu’à la croix. 

            Oui, il est difficile de suivre Jésus jusqu’à la croix ! Mais il n’y a pas d’autre chemin possible. Dans les moments où nous sommes comme Judas, ne nous enfermons pas comme lui dans la trahison : un horizon nous est ouvert par la croix. Dans les moments où nous sommes comme Pierre, entendons le chant du coq qui invite à un nouveau matin. Comme Marie et Jean, recevons de celui qui est en croix l’amour nécessaire pour repartir dans la vie en frères et sœurs de ce Fils unique qui nous aime jusqu’au bout, jusqu’au don total. Amen.

Jeudi Saint - 14 avril 2022

 Faire route avec Jésus sur le chemin du service.


(Sieger KÖDER, Le lavement des pieds)


        C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Cette affirmation de Jésus vient clore le rite du lavement des pieds, ne nous laisse aucune échappatoire : le service sera notre style de vie, le service sera notre marque de fabrique. Pour être bien clair, un chrétien qui ne sert pas est un chrétien qui ne sert à rien. Le service, ce n’est pas « si je veux » ; le service, ce n’est pas « quand je n’aurai rien d’autre à faire ». Le service, c’est ici et maintenant, à chaque instant. 

Ce n’est pas pour rien que le jeudi saint est le jour de la fête du sacerdoce. En célébrant la première messe de l’histoire de l’humanité et en donnant le signe du lavement des pieds au cours du même repas, invitant ses disciples à refaire le premier geste en mémoire de lui et à faire le second comme il a fait pour eux, Jésus lie très clairement les deux à la figure du disciple que Jésus a choisi et appelé à le suivre d’une manière toute particulière. Le premier des serviteurs n’est autre que le pape lui-même, et à sa suite tous ceux qui ont reçu le sacrement de l’ordre. La vie d’un prêtre, quel qu’il soit, est d’abord une vie offerte, une vie de service. Son unique pouvoir est celui de pouvoir servir tout homme qui croise sa route. Ce faisant, il rend présent le Christ, serviteur des hommes à travers le temps et l’Histoire. Quand le prêtre fait ce qu’il est censé faire – servir ses frères dans la charité, c’est le Christ qui sert ces mêmes hommes, dans sa charité, à travers lui. Et ce n’est pas parce que certains ont perverti le sens de cette belle expression qu’il faut renoncer, pour le prêtre, à agir au nom du Christ, unique tête de son peuple. Si le prêtre ne rend plus le Christ présent et agissant au milieu de son peuple, à travers sa propre vie et à travers les sacrements qu’il préside, alors le prêtre ne sert plus à rien. 

Ce que je viens d’énoncer de la figure du prêtre ne doit pas laisser croire que les disciples du Christ non ordonnés sont dispensés du service. Le service n’est pas un caractère ministériel, il est un caractère attaché à notre être chrétien. Si le pape utilise, pour se désigner, l’expression serviteur des serviteurs de Dieu, c’est bien pour rappeler qu’il est le premier, non pas des prêtres, mais de tous les chrétiens qui forment l’Eglise, à servir. Nous sommes tous, par notre baptême, à l’image du Christ, prêtre, prophète et roi. Nous avons tous à imiter le Christ en vertu de notre baptême qui fait de nous tous des autres Christ. La manière de servir ne sera pas identique puisqu’elle sera propre à chaque état de vie ; mais la notion de service est la même pour tous. Et ce service ne concerne pas seulement nos identiques, c'est-à-dire les autres chrétiens catholiques ; le service auquel nous sommes appelés concerne tous les hommes, et particulièrement les petits. Faut-il rappeler ici l’évangile de saint Matthieu au chapitre vingt-cinq (le jugement dernier) : ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Ce qui est visé dans cette page d’évangile, c’est bien le service de celui qui a faim ou soif, le service de celui qui est nu, étranger, malade ou en prison. Et ce service, c’est tout autre chose que de le renvoyer chez lui ! 

Alors oui, suivre le Christ peut sembler difficile quelquefois, exigeant toujours. Les jours saints que nous vivons ne cessent de nous le rappeler. Mais le service de tout homme et de tout l’homme, restera toujours le moyen le meilleur de témoigner de lui, de répandre sa charité et de faire œuvre de salut. Et n’en déplaise à certains de ceux qui veulent gouverner la France, l’Eglise est toujours à sa place quand elle rappelle le primat de la charité qui nous oblige à ne pas laisser l’étranger à nos frontières. L’Eglise est même à sa juste place lorsqu’elle dénonce les velléités de certains à fermer les frontières, à repousser les étrangers, et à persister à les désigner comme responsables de tous les maux qui nous accablent. Au nom du devoir de servir qui lui incombe, un chrétien ne saurait se ranger derrière de telles attitudes, ni soutenir telle manière de penser. A l’exemple de notre Seigneur et Maître, faisons comme il a fait pour nous : servons, sans distinction. Amen.

samedi 9 avril 2022

Dimanche des Rameaux C - 10 avril 2022

 Faire route avec Jésus et reconnaître en lui Celui qui vient au nom du Seigneur.



(Gustave Doré, L'entrée à Jérusalem)




            Armés des seules armes de la prière, du jeûne et de la charité, nous avons choisi, au long de ce carême, de faire route avec Jésus pour mieux le connaître, mieux l’écouter, pour apprendre de lui la joie et le pardon et avec lui, être capables d’affronter le Mal. Cette route de carême nous mène à ce dimanche, à cette semaine si particulière qui nous permettra, presque jour par jour, de revivre avec Jésus les derniers moments de sa vie. en ce dimanche des Rameaux, nous ont été donnés d’entendre deux passages de l’évangile de Luc : l’entrée solennelle du Christ à Jérusalem et les événements qui ont conduit à sa Passion, accomplissement de sa mission, Heure pour laquelle il est entré dans le monde. Forts de tout ce que nous avons découvert durant ces semaines de préparation, nous pouvons encore faire route avec Jésus pour mieux entrer encore dans ce mystère de l’amour qui se donne jusqu’au don de la vie et reconnaître en Jésus Celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Je vous propose trois modèles pour parvenir à cette reconnaissance. 

            Le premier modèle, ce sont d’évidence les disciples de Jésus, pas uniquement les Douze qui d’ordinaire l’accompagnent, mais la foule des disciples, remplie de joie qui disaient : Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! Dans l’évangile, ce ne sont pas tous les habitants de Jérusalem qui acclament le Christ, mais seulement ses disciples, nombreux à Jérusalem pour les fêtes de la Pâque. Comment en sont-ils arrivés à proclamer ainsi que Jésus est le Messie attendu ? En faisant le chemin que nous avons fait durant cinq semaines. Certains d’entre eux l’ont fait depuis plus longtemps, d’autres sont peut-être des disciples récents, mais tous, à la vue des signes, à l’écoute de ses enseignements, ont senti que cet homme-là n’était pas comme les autres, que ce rabbi-là avait un enseignement qui faisait autorité. Nus dirions aujourd’hui qu’il a touché leurs cœurs. Ils ont assemblés les pièces du puzzle, ils ont comparé ce qu’ils ont vu et entendu avec ce que les prophètes avaient annoncé, et ils en ont tiré l’unique conclusion possible. S’il fait parler les muets, marcher les paralysés, voir les aveugles, entendre les sourds et ressusciter les morts, alors il n’y a pas de doute, c’est lui. C’est toujours encore cet itinéraire qui est proposé à ceux qui veulent devenir disciples et prendre au sérieux la Parole de Dieu : venir à la suite de Jésus et voir, comprendre par eux-mêmes ce qui se joue quand Jésus entre dans la vie de quelqu’un. 

            Le deuxième modèle, c’est Paul, qui nous expliquait avec un peu plus de hauteur le mystère de notre salut qui s’accomplit dans ce double mouvement de l’incarnation de Jésus dans notre humanité et de la rédemption offerte par l’offrande de sa vie sur la croix. Dans ce bel hymne aux Philippiens, il condense pour les croyants tout ce qu’il y a à savoir et à retenir sur Jésus : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Voyez la prévenance de Dieu qui offre son Fils ; voyez l’amour de ce Fils qui se défait de sa condition divine pour partager notre condition humaine. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Jésus n’a pas joué à être homme ; notre condition humaine, il l’assume jusqu’au bout, jusqu’à la mort, si abominable soit-elle. Nous avons là la trace de quelqu’un qui a réfléchi longuement au sens de ces événements que nous revivrons cette semaine. C’est un pasteur qui parle, un pasteur qui ne veut pas que ceux qui découvrent le Christ à travers le témoignage des autres, ne soient découragés quand vient le temps de la Passion. Ce que nous allons revivre, ce n’est pas un enchainement malheureux de circonstances malheureuses menant à la mort d’un homme innocent ; ce que nous allons revivre, c’est la force du mystère d’amour du Père qui veut sauver sa création par l’obéissance absolue de son Fils qui se livre pour l’accomplissement plein et entier de ce projet. Quand Dieu sauve l’homme, il ne le fait pas de l’extérieur, mais de l’intérieur même de notre humanité, par ce Fils qu’il a offert aux hommes. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : ‘Jésus Christ est Seigneur’ à la gloire de Dieu le Père. Une invitation à voir au-delà des événements, à entrer dans le projet global de Dieu. Les événements dont nos évangiles se sont faits l’écho, ne sont qu’un moment de ce projet. Nous devons garder confiance au pied de la croix. Nous n’avons pas fait tout ce chemin à la suite du Christ pour le voir mort ; nous n’avons pas fait tout ce chemin pour rien. Nous ne sommes pas devenus chrétiens en vain. 

            Curieusement, c’est le troisième modèle qui, bien que n’ayant pas connaissance de la totalité de ce projet expliqué par Paul, le confirme en le précédant. Ce troisième modèle, c’est celui que la Tradition appelle « le bon larron », et que l’évangile de Luc connaît comme l’un des malfaiteurs suspendus en croix avec Jésus. Nous ne savons pas s’il a entendu parler de Jésus avant d’être arrêté et condamné, mais une chose est sûre : il a fait le même chemin que Jésus, portant lui-aussi sa croix depuis sa cellule jusqu’au Calvaire. Il nous rappelle qu’il est possible aussi de rencontrer le Christ sur le chemin de nos souffrances, sur le chemin de nos égarements, sur le chemin de notre péché. Il nous dit surtout qu’il n’est jamais trop tard pour se convertir et que tant qu’il nous reste un souffle de vie, du plus profond de notre misère, nous pouvons encore crier vers le Christ : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. Et nous goûterons alors, comme lui, la miséricorde infinie de Dieu qui nous répondra : Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. Ce n’est pas juste une parole de consolation pour celui qui affronte la mort ; c’est le rappel de notre destinée : nous sommes faits pour vivre, et pour vivre avec et en Dieu pour toute éternité. 

            Trois modèles, trois itinéraires : celui du disciple qui suit le Christ et en témoigne, celui du disciple qui cherche à réfléchir, à approfondir sa foi et celui de l’homme qui sait qu’il a pu céder au mal, mais qui fait confiance à l’Innocent mis en croix et reconnaît en lui celui qui peut toujours quelque chose pour l’homme, qu’il ait été un disciple convaincu ou un homme perdu, pris dans les filets du mal, pris dans les filets de la souffrance, pris dans les filets de la mort ; il est celui qui confesse en même temps le mal qu'il a fait et l'amour infini de Jésus. Avec ses trois modèles, vivons cette Semaine Sainte et confessons que Jésus est bien Celui qui vient au nom du Seigneur. Amen.

samedi 2 avril 2022

5ème dimanche de Carême C - 03 avril 2022

 Faire route avec Jésus pour apprendre le pardon.



(Gustave Doré, Jésus et la femme adultère)


            Nous voici déjà rendu au dernier dimanche du temps de Carême, le prochain étant le dimanche des Rameaux qui nous introduira à la grande Semaine Sainte, ultime préparation aux fêtes pascales. Ce dernier dimanche nous adresse une invitation singulière ; il nous propose de faire route avec Jésus pour apprendre de lui le pardon, vous savez cette chose si difficile à comprendre et à vivre quelquefois. 

            Quand nous croisons Jésus dans l’évangile de Jean aujourd’hui, nous le croisons seul. Il semble bien que ses disciples ne soient pas là. Il était au mont des Oliviers ; il revient au Temple, dès l’aurore, quand pointe le jour. Et c’est là que des scribes et des pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Voyez déjà la prévenance de Jésus et la délicatesse dont il fera preuve tout au long de cet épisode singulier. Il ne leur fait pas remarquer la fausseté de leur démarche ; il ne les interroge pas sur l’homme qui manque, car après tout, un adultère, c’est comme une valse : ça se danse à deux jusqu’à preuve du contraire. Il les laisse venir, il les écoute, mais il ne répond pas tout de suite. Il se baisse et du doigt, il écrivait sur la terre. Ne nous mettons pas martel en tête pour savoir ce qu’il a écrit. Si d’aventure la femme l’avait lu, elle a dû le taire. Nous pouvons comprendre que, par cette attitude insolite, Jésus veut d’abord inviter ses opposants à la réflexion. Veulent-ils vraiment une réponse à cette mascarade de justice ? Comment peuvent-ils seulement présenter un dossier aussi mal bouclé que celui-là ? La délicatesse de Jésus leur laisse une occasion de se racheter, de reconnaître que tout ceci ne concerne pas tant cette femme, mais bien Jésus qu’ils veulent mettre à l’épreuve. Mais, comme on persistait à l’interroger, Jésus se redressa et leur dit : ‘Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ’. Et Jésus de reprendre ses écrits sur la terre. Autant dire, que celle-là, ils ne l’ont pas vu venir, mais ils ont dû la sentir passer puisque, eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Encore cette délicatesse de Jésus qui leur fait comprendre, sans s’énerver, la bonne attitude à avoir. Qui es-tu pour juger sévèrement ton frère ? 

            Quand ils sont tous partis, et qu’il ne reste là que Jésus et la femme, Jésus se redresse et s’adresse à elle : Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? A la réponse négative de la femme, Jésus reprend : Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. Remarquez encore la délicatesse de Jésus. Il ne gronde pas la femme en mettant le doigt sur le mal qu’elle a fait et lui rappelant la loi qu’elle a oublié. Il lui dit qu’il n’est pas venu condamner, mais inviter à la conversion : Moi non plus, je ne te condamne pas, va et désormais ne pèche plus. Il ne lui dit pas non plus que ce n’est pas grave, ce qu’elle a fait. Il lui enjoint de ne pas recommencer, autrement dit de bien vivre désormais selon cette loi de Dieu. Il remet finalement de l’amour et de la miséricorde là où il n’y avait plus qu’application rigoriste de la loi. Il remet surtout de la justice, là où il n’y avait qu’injustice. Pourquoi chercher à condamner la femme alors que l’homme, tout aussi coupable, échapperait au jugement ? 

Le pardon, c’est cela : mettre de l’amour et de la miséricorde là où il y a du mal et remettre de la justice là où il y a de l’injustice. Le pardon invite à dépasser la faute, à ne pas identifier le pécheur à son péché. Le pardon invite chacun à se souvenir qu’il n’est pas meilleur que les autres et que s’il veut appliquer la rigueur de la loi aux autres, il devra accepter que cette même rigueur s’applique à lui, qui n’est pas davantage sans péché. Le pardon invite à la conversion : l’appel à ne pas recommencer est indissociable du pardon ; il doit être pris au sérieux si nous ne voulons pas nous moquer de celui qui nous pardonne. Le pardon, c’est tout le contraire de : on efface tout et on recommence. Justement, on ne recommence pas, on change, on devient meilleur. Cela est possible parce que nous ne sommes pas condamnés ; cela est possible parce que le pardon nous libère effectivement de notre mal. Par le pardon reçu, n’étant plus identifié au mal que nous commettons, nous pouvons changer, nous pouvons nous convertir, nous pouvons ne pas recommencer. Nous pouvons vivre mieux ! Le pardon donné rend heureux et celui qui le donne et celui qui le reçoit parce que quelque chose de neuf est possible pour les deux. Celui qui pardonne se libère tout autant du mal qui lui a été fait, qu’il libère celui qui lui a fait du mal. Le premier redevient maître de son histoire en pouvant sortir de sa position de victime ; le second peut se reconstruire en étant sorti de sa position de méchant. Par le pardon, l’agresseur et l’agressé retrouvent leur égale dignité humaine. Peut-être est-ce pour cela qu’il est si difficile à donner : parce que, agressé, nié dans ma dignité humaine, je ne veux pas considérer comme humain celui qui m’a fait tant souffrir. 

La délicatesse de Jésus est toute divine ; le seul Juste refuse de condamner. Le seul Juste offre le pardon qui ne peut venir que de Dieu. Le seul Juste anticipe déjà ce qu’il réalisera par la croix : le salut de l’homme, sa libération de tout mal, la proclamation du pardon accordé par Dieu à ceux qui se convertissent, à ceux qui marchent avec Jésus pour abandonner toute forme de mal. Accueillons cette leçon ; accueillons surtout le pardon qui nous est offert par le Christ. Quand, au cœur de la nuit pascale, le célébrant nous interrogera sur notre volonté de renoncer au Mal, nous pourrons répondre en vérité : J’y renonce. Amen.