Ce
dimanche ne serait-il pas un de ces dimanches où il aurait mieux valu rester
couché plutôt que de venir à l’église ?
Parce que si c’est pour entendre ça, et s’en prendre plein la figure,
non merci ! Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait ! Si encore il n’y avait que cette
phrase ; mais non, juste avant, c’était laisse-toi faire : on te frappe, tends l’autre joue ; on
veut ta tunique, laisse aussi ton manteau ; ne riposte pas au
méchant ; aime ton ennemi ! N’en jetez plus, la coupe est pleine. Comment voulez-vous qu’un prédicateur s’en
sorte ? Ou il vous dit : ben oui, c’est comme ça ; et tout le
monde part en courant. Ou il vous dit : ben ce n’est pas vraiment à
prendre au pied de la lettre, vous savez, c’est un vieux texte… et personne n’y
croira vraiment. Alors on fait comment ?
Peut-être
qu’en prenant un peu de hauteur, non pas pour ignorer ou pour dévier, mais pour
voir autrement, on peut comprendre mieux. La hauteur, en ce dimanche, c’est
Paul qui nous la donne dans sa première lettre aux Corinthiens. N’oubliez pas que vous êtes le temple de
Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous. C’est bien de cette
hauteur-là qu’il faut entendre les affirmations de Jésus, de cette hauteur qui
nous rappelle que non seulement nous sommes disciples du Christ, mais que nous
portons le Christ en nous. Nous le représentons. Quand nous agissons, c’est son
Esprit qui habite en nous qui nous fait agir. Dans l’adversité, dans les
moments de grandes tensions, quand la violence se déchaine, c’est lui que nous
devons laisser agir en nous. Il ne s’agit pas de se laisser dépouiller, battre
comme plâtre ou que sais-je encore par faiblesse, par peur ou par lâcheté.
Il s’agit d’agir à la manière du Christ en toute chose. Lorsqu’il a été
confronté à l’injustice et à sa propre mort, il n’y est pas allé de gaité de
cœur. Il n’a pas encouragé les soldats qui le couronnaient d’épines, le
flagellaient ou lui plantaient des clous dans la chair : allez encore un,
n’hésitez pas ; même pas mal ! Mais il a prié pour ses bourreaux, il
est resté fidèle à sa mission jusqu’au bout.
Si
l’Esprit de Dieu habite en nous, peut-être trouverons-nous en lui la force
d’être fidèles au Christ et à son enseignement en évitant de rejoindre les
rangs de ceux qui font le mal, les rangs de ceux qui permettent que le mal se
propage même si, dans les apparences, c’est pour une bonne cause (se défendre,
défendre ses biens). Temple de Dieu, nous ne pouvons pas faire comme si nous
ne savions pas ce que Dieu attend de nous. Temple de Dieu, nous ne pouvons pas
vivre comme si Dieu n’existait pas. Temple de Dieu, nous ne pouvons pas vivre
et croire que Dieu ne veut pas le meilleur pour nous. Temple de Dieu, nous ne
pouvons pas vivre et croire que son Amour ne transforme pas notre amour et ne
concerne pas toutes nos relations humaines, même les plus difficiles. Temple de
Dieu, nous ne pouvons pas croire qu’il nous livrerait sans force et sans
défense à l’Ennemi. Ne nous a-t-il pas assuré qu’il serait avec nous, tous les
jours, en toutes circonstances ? Résister au Mal sans commettre le Mal à
notre tour, ne pas céder au méchant, c’est croire que Dieu peut, à travers
nous, construire un monde nouveau, un monde dans lequel, peu à peu, dès
maintenant, le Mal n’a plus sa place. Pour quelle autre raison Dieu aurait-il
choisi d’habiter en nous si ce n’est pas pour nous inviter à vivre mieux, à
vivre libérés de toute forme de Mal ?
Nous
comprenons peut-être mieux alors la prière de l’Eglise en ce dimanche qui nous
a fait prier ainsi au début de notre eucharistie : Accorde-nous, Dieu tout-puissant, de conformer à ta volonté nos paroles
et nos actes dans une inlassable recherche des biens spirituels. Puisque
l’Esprit de Dieu habite en nous, nous pouvons nous ajuster, grâce à lui, à ce
que Dieu attend de nous, en toutes choses, en toutes circonstances. Puisque
l’Esprit de Dieu habite en nous, nous devenons capables d’agir comme le Christ
lui-même. Il n’a pas fui le Mal, il l’a affronté dans une souveraine liberté et
l’a vaincu, une fois pour toute. En Jésus, mort et ressuscité, le Mal est
défait, définitivement. En Jésus, mort et ressuscité, la Mort elle-même n’a
plus rien à dire ; elle est morte, sans force, sans prise sur nous.
A
nous qui sommes les disciples du Christ, le Temple de Dieu, ne nous est laissé
que cet exemple de Jésus affrontant le Mal, relevant l’homme, invitant à aimer
toujours, à aimer quiconque croise notre route, fût-il notre ennemi. C’est à
l’amour dont nous sommes capables que les autres sauront que nous sommes
disciples du Christ, que nous le suivons et que nous résistons au Mal. C’est
par la puissance de l’amour que nous vaincrons le Mal à la suite de Jésus
Christ. Entrons en résistance avec pour seule arme l’amour qu’il nous a donné.
Tel est son enseignement ; telle est la voie à suivre pour être
véritablement disciple du Crucifié. Il n'y en a pas d'autre. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, Mille dimanches et fêtes, année A, éd. Les Presses d'Ile de France)