Donne-nous
de vivre selon ta grâce ! Cette demande, formulée dans la prière d’ouverture de cette
eucharistie dominicale, nous permet de faire le lien entre ce que Jésus nous
disait dimanche dernier (Vous êtes le sel
de la terre, vous êtes la lumière du monde) et l’enseignement qu’il
poursuit aujourd’hui et que nous entendrons jusqu’à notre entrée en Carême. Il s’agit
pour nous, pendant les trois semaines à venir, de bien comprendre comment nous serons
sel de la terre et lumière du monde,
c’est-à-dire comment nous devons vivre
pour vivre selon la grâce de Dieu,
de manière à ce que Dieu lui-même puisse
venir en nous pour y faire sa demeure.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les
paroles de Jésus sont compliquées ou plutôt qu’elles compliquent tout. Dans l’Evangile
entendu, Jésus relit la Loi jadis donnée à Moïse et la mène à un degré plus
haut de perfection. Ce qui était permis autrefois ne l’est plus. Là où prévalait
encore une certaine dureté, Jésus vient placer un nouveau curseur qui vise à
supprimer toute dureté de cœur. Il va plus loin que la Loi de Moïse, tout en
abolissant pas cette Loi : Je ne
suis pas venu abolir la Loi ou les Prophètes, mais accomplir. Comme l’expliquera
un saint Paul plus tard, la Loi était imparfaite au sens où elle ne permettait
pas d’éviter le péché. Ce que Jésus demande, c’est bien de vivre une perfection
de l’amour. Et cette perfection mène très loin, beaucoup plus loin que la Loi
donnée à Moïse. La relecture que Jésus en fait va plus loin que les interdits
posés dans la Loi.
Là où la Loi disait : Tu ne commettras pas de meurtre, Jésus dit :
Tu ne te mettras pas en colère contre ton
frère, tu n’insulteras pas ton frère, tu ne maudiras pas ton frère. Non seulement
tu ne feras rien de mal par tes actes, mais tu ne feras pas de mal non plus avec
tes mots. Pour lutter contre le Mal, pour lutter contre toute forme de Mal, il
faut une tolérance zéro. Est-ce possible de vivre ainsi ? Pour Jésus, sans
aucun doute, c’est oui ; c’est même la seule manière de vivre qui soit. Le
disciple de Jésus ne peut se satisfaire du Mal et pour lutter contre, il doit d’abord
faire le ménage dans sa propre vie. Les préceptes que Jésus donne ne sont pas
pour le voisin ; ils sont pour nous, pour toi, pour moi. Il les appliquera
lui-même au moment de sa Passion, lorsque, rejeté par tous, abandonné par tous
et condamné par tous, il demandera au Père le pardon pour ses bourreaux !
Seul compte, dans le Royaume que Jésus construit, l’amour pour tous et chacun.
Cet amour doit nous conduire à faire le
premier pas, toujours, même quand c’est l’autre qui a quelque chose contre nous :
Si tu te souviens que ton frère a quelque
chose contre toi, va d’abord te
réconcilier avec ton frère. N’attends pas qu’il regrette, n’attends pas qu’il
demande pardon ; va au-devant de lui et accorde-toi avec lui. Le disciple du Christ, pour être lumière du
monde et sel de la terre, doit nécessairement être un amoureux de la justice,
un amoureux de la réconciliation, un amoureux de la paix. Il doit
nécessairement faire le premier pas, comme le Christ a fait le premier pas de
la réconciliation de l’homme avec Dieu en s’offrant sur la croix. L’amour que
le disciple porte aux autres ne peut pas être moindre que l’amour que le Maître
porte à tout homme et à tous les hommes.
Ce que Jésus dit des relations interpersonnelles devient alors d’autant
plus vrai et exigeant quand les sentiments amoureux s’en mêlent. Jésus passe de
l’interdit de l’adultère à l’interdit de seulement désirer un ou une autre. Il ne
peut y avoir d’engagement personnel qu’avec une seule personne, et pour toute
la vie. J’entends bien l’objection de ceux qui disent : aujourd’hui, cela
n’est plus possible ! Il y a des chantres de l’engagement multiple qui ne
se cachent même plus pour dire que l’engagement envers une seule personne pour
toute la vie, c’est dépassé. Le progrès, ce sont des amours successifs, vécus dans une fidélité
temporelle limitée. L’enseignement de Jésus est sans appel : quand vous dites oui, que ce soit oui ;
quand vous dites non, que ce soit non. Tout ce qui est en plus vient du
Mauvais.
Tel est ce que Jésus attend de nous. Est-ce
difficile ? Oui, certainement. Est-ce impossible ? Non, puisqu’il
nous montre, dans sa propre vie, que cela est possible. Suivre Jésus, c’est
suivre un Maître, non parce qu’il est beau, ou parce que ce qu’il dit est beau.
Suivre Jésus, c’est suivre un Maître qui va changer notre regard sur le monde, notre
regard sur les autres, notre regard sur nous-mêmes. Suivre Jésus, c’est accepter
de se convertir, radicalement. Suivre Jésus, ce n’est pas espérer un monde
meilleur, ni espérer que les autres changent ; suivre Jésus, c’est
construire ce monde meilleur, c’est changer soi-même pour s’accorder à ce
meilleur que Jésus promet et qu’il inaugure par sa venue. En chaque
eucharistie, il nous donne la force pour vivre selon son enseignement. Que celle
qui nous rassemble nous purifie et nous
renouvelle, et nous marcherons, joyeux et confiants, à la suite de Jésus,
notre Maître. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)
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