(Homélie donnée à l'occasion de mon jubilé d'argent dans ma paroisse d'origine)
C’est
bien que vous soyez devenus prêtre, l’Eglise en a besoin ; mais mon fils
fera quelque chose de plus intelligent de sa vie. Ces paroles
ont été prononcées il y a vingt-cinq ans, dans cette église, à la fin de ma
première messe. Peut-être portent-elles la responsabilité de ma tendresse
particulière pour le prophète Jérémie, ce prophète à qui Dieu demande toujours
d’être en contradiction avec l’esprit du monde, l’esprit de son temps. En cette
messe d’action de grâce à l’occasion de mon jubilé d’argent, ma première action
de grâce va à cette personne, car elle m’a donné, avec ces mots, le courage d’être
ce que je suis, et de l’être pleinement. Prêtre, je le suis devenu en réponse à
un appel ; prêtre, je le suis resté, conscient de réussir pleinement ma
vie, puisque c’est là que le Christ me voulait. Ce que la liturgie de ce
dimanche ne cesse de proclamer à travers chaque lecture, je l’ai expérimenté
dans ma propre vie. Dieu a été à mes côtés tel un guerrier redoutable. J’ai
cette conscience d’avoir été protégé, porté, désiré et d’être toujours et encore,
malgré mes faiblesses et mes échecs, profondément aimé. Il n’y a pas de plus beau
motif de rendre grâce aujourd’hui, pour moi et pour chacun de nous : nous
sommes tous profondément aimés de Dieu.
Paul
développe la grandeur de l’amour de Dieu pour nous dans l’extrait de la lettre
aux Romains que nous avons entendu. Il est dommage que trop souvent, nous n’entendions
ou ne réagissions qu’à la première partie de l’extrait. Il a donné naissance à
toute la réflexion de l’Eglise sur le péché des origines. Mais ce texte
contient plus que cela, plus grand que cela. Il contient la trace de la grâce
originelle, cette grâce venue du Christ, de son sacrifice consenti pour notre
vie. Nous avons cette certitude que le péché, originel ou actuel, n’aura jamais
le dernier mot. Le dernier mot de l’Histoire sera la grâce que Dieu offre à
tous et à chacun. Le dernier mot de l’Histoire, ce sera un geste d’amour
offert, n’attendant en retour que notre oui, notre accueil libre et consentant
à cet amour. Rien n’a plus d’importance que cela. Rien ne doit davantage être
proclamé que cela. L’amour dont Dieu nous aime, sans que nous ayons fait quoi
que ce soit pour le mériter. Il nous aime simplement parce qu’il est Dieu,
parce que c’est lui, parce que c’est nous. Le jour où cela cessera d’être vrai,
il nous faudra changer de Dieu, ou chercher Dieu à frais nouveaux. Parce que si
Dieu n’est pas Amour, il n’est pas Dieu, il n’est rien, et nous ne serions être
obligés en rien vis-à-vis de lui.
Jésus
ne nous assure-t-il pas lui-même de cet amour de Dieu pour nous lorsqu’il nous
affirme que les cheveux de notre tête sont tous comptés et que
nous valons bien plus qu’une multitude de moineaux ? Oui, nous
avons du prix aux yeux de Dieu ; nous comptons pour lui ! En cette
célébration qui marque aussi la fin de votre année pastorale, voilà une parole
forte, une parole qui donne du prix à ce que vous êtes, à ce que vous vivez que
ce soit en paroisse, en famille, au travail, à l’école. Ce que vous faites, ce
que vous vivez, cela compte pour Dieu. Et cela compte d’autant plus si c’est
marqué du sceau de son amour. Tout ce que nous vivons, tout ce que nous
faisons, si nous le faisons dans la puissance de l’Esprit et la certitude de l’amour
de Dieu pour nous, prend encore plus d’importance parce que cela permet à d’autres,
à ceux qui nous entourent, de sentir quelque chose de cet amour de Dieu tous. Lorsque
nous rendons grâce à Dieu pour une fin d’année pastorale, ou pour vingt-cinq
années de sacerdoce, ayons à cœur de
rendre grâce d’abord pour tout ce que ce temps nous aura permis de vivre en
amour ; rendons grâce pour tout l’amour que Dieu aura déversé sur nous ;
rendons grâce pour tout l’amour de Dieu que nous aurons transmis à d’autres ;
rendons grâce pour tout l’amour de Dieu que d’autres nous aurons permis de vivre.
N’est-ce
pas d’ailleurs le sens de chacune de nos célébrations ? Le mot « eucharistie » signifie bien rendre
grâce, qui est bien plus fort que dire merci. Lorsque le prêtre dit la prière
eucharistique, il la commence par une préface, qui dit le motif pour lequel
nous rendons grâce à Dieu. Et ce motif est toujours lié à ce que Dieu fait pour
nous en Jésus, mort et ressuscité. C’est ainsi pour chaque préface, quel que
soit le temps de l’année, quelle que soit la fête, quel que soit le motif qui
nous rassemble. Nous ne rendons pas grâce pour nous, mais bien pour l’œuvre d’amour,
œuvre de salut, que Dieu fait pour nous en Jésus. Voilà qui doit nous inciter à
la modestie et à l’humilité. Dieu fait infiniment plus pour nous que ce que
toutes nos actions pastorales pourraient bien faire pour lui. D’ailleurs, en vingt-cinq
ans de sacerdoce, j’ai acquis la certitude que je ne peux rien faire pour Dieu.
Je ne peux que me tenir près de lui et accueillir les grâces qu’il veut me
confier jour après jour, comme jadis il a donné la manne, jour après jour, à
chaque jour sa mesure.
Une messe
d’action de grâce, que ce soit pour un jubilé ou pour une fin d’année
pastorale, n’est jamais la fin de quelque chose. C’est une étape, un moment pour
nous asseoir et mesurer le chemin parcouru, pour ensuite mieux repartir, mieux
recommencer à Le suivre, lui qui veille sur nous sans se lasser, lui qui nous
aime sans se décourager. Rendons grâce à Dieu avec ce désir chevillé au cœur de
marcher encore mieux avec lui, de vivre toujours plus par lui, avec lui, et en
lui. Alors il recevra tout honneur et toute gloire pour les siècles des
siècles. Amen.
(Photo prise pendant la messe de Jubilé)
(Photo prise pendant la messe de Jubilé)