J'ai eu peur ?
Plus nous approchons de la fin de l’année liturgique, plus nous lisons des textes de type apocalyptique, non pour nous faire peur, mais pour nous encourager, nous préparer à ce retour glorieux du Christ, au moment fixé et connu de Dieu seul. La deuxième lecture se situe bien, par quelques versets, dans ce genre littéraire. Et les derniers versets lus aujourd’hui nous invitent bien à la vigilance pour que ce jour ne nous surprenne pas comme un voleur. La parabole racontée par Jésus ne relève pas, me semble-t-il du genre apocalyptique ; pourtant, c’est dans cette histoire curieuse que nous trouvons ces moments que je voudrais méditer avec vous : J’ai eu peur. Quatre mots lourds de conséquence ; quatre mots qui peuvent gâcher une vie, qui peuvent gâcher une vie spirituelle.
J’ai eu peur. Il me faut bien reconnaître qu’il fut un temps – que j’espère terminé – où des prédicateurs s’évertuaient à prêcher la peur de Dieu et de son jugement. Dieu était terrible, éternellement insatisfait, incapable même d’être satisfait par l’homme et son agir. La morale avait pris le dessus sur la foi. Ce n’était plus : Crois, et tu seras sauvé ; mais plutôt, attention à toi, attention à ce que tu fais, attention au jugement de Dieu ! L’amour, qui est le maître-mot de l’Evangile de Jésus Christ avait disparu des radars. Il ne restait que le péché de l’homme, toujours plus sombre, toujours plus grand, au point que les hommes pouvaient légitimement douter du salut de Dieu. Car, voyez-vous, en matière de vie spirituelle, la peur est mauvaise conseillère. Elle engendre des scrupuleux, des anxieux, des hommes et des femmes incapables d’aimer vraiment et Dieu et la vie qu’il leur offre. Elle engendre surtout des hommes et des femmes qui vont finir par tout abandonner, des hommes et des femmes pour qui le salut ne sera plus une priorité, des hommes et des femmes pour qui Dieu ne sera pas un Dieu d’alliance mais de défiance. Ah, certes, quand l’homme a peur, il va à la messe du dimanche, il ne viendrait à l’idée de personne de l’interdire à qui que ce soit. Mais il ne croit pas vraiment, il n’aime pas vraiment Dieu. La peur empêche l’amour véritable. C’est vrai dans la vie spirituelle ; c’est vrai dans la vie quotidienne. Quiconque instaure la peur ne gagne pas l’amour, mais la méfiance. L’homme méfiant devient momentanément docile, mais cela ne dure qu’un temps. La tyrannie de la peur est toujours renversée ; cela peut prendre du temps, mais c’est inéluctable. Ceux qui ont eu peur finissent par faire table rase de tout ce qui inspirait leur peur. C’est ainsi que les églises se sont vidées ; c’est ainsi qu’ont fini, et que finiront encore de nombreuses dictatures, qu’elles soient religieuses, idéologiques ou sanitaires.
J’ai eu peur. S’il est une certitude qui m’habite, c’est bien que Dieu ne peut ni ne doit inspirer la peur. Comment pourrais-je, comme prédicateur, faire comprendre l’amour de Dieu pour tous les hommes, si j’en brosse un portrait effrayant ? Qui peut aimer ce qui inspire la peur ? Pour parler du salut aux hommes, Jésus emploie de nombreuses images : des noces auxquelles nous sommes invités, d’un repas, d’un berger qui prend soin de ses brebis… Pour parler de Dieu, il nous raconte aujourd’hui cette histoire d’un homme qui part en voyage, distribue ses biens à ses serviteurs, à chacun selon ses capacités. Nous comprenons par-là qu’il les connaît, qu’il sait ce dont ils sont capables ; il leur fait confiance ; il les aime aussi, sinon pourquoi leur confierait-il ses biens ? Les deux premiers de la parabole ont bien compris cela et ils vont rendre cet amour et cette confiance. Ils usent de leurs compétences pour faire fructifier le bien qu’ils ont reçu. Le troisième, saisi par la peur, va enterrer le bien confié. Au retour du maître, il rend simplement ce qu’il a reçu, pensant être quitte. Il n’a rien fait de mal ; il n’a rien fait de bien ; il n’a tout simplement rien fait. Et c’est là son tort ! Il s’est laissé gagner par la peur qu’il avait de son maître au lieu de faire confiance, de se faire confiance à lui d’abord. Nous voyons bien que la peur ne libère pas ; la peur ne sauve pas ; la peur enferme ; la peur condamne.
J’ai eu peur. En matière spirituelle, comme en matière ordinaire d’ailleurs, la peur est mauvaise conseillère. Si elle peut empêcher d’agir mal, elle ne pousse pas à agir bien, contrairement à ce que l’on pense ; elle sclérose. Elle empêche de découvrir l’amour dont nous sommes aimés. Pour se sentir aimé de Dieu, il faut ne pas avoir peur de lui. Il faut se laisser approcher de lui. Il faut mettre en lui la confiance qu’il a placé en nous. En ces temps incertains que nous vivons, en ces temps où certains ont joué à nous faire peur, tournons nos cœurs vers le Dieu qui nous aime ; demandons-lui sa bénédiction ; il nous accordera son salut. Amen.
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