Donne à ton serviteur un cœur attentif
pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal. Combien d’entre nous aurait formulé cette demande en
réponse à cette question : Demande-moi
ce que tu veux et je te le donnerai ? La réponse appartient à chacun
de nous, tant il est vrai que chacun définit comme important pour lui des
choses diverses et variées. Mais reconnaissons-le : de la part d’un enfant
(car Salomon n’est alors qu’un enfant), la réponse donnée surprend. Elle nous
place cependant au cœur de toutes les lectures entendues en ce jour. Qu’est-ce
qui est vraiment important pour toi ?
L’auteur
du livre des rois donne des réponses humaines à cette question : une
longue vie, beaucoup d’argent, la mort ou tout au moins l’éloignement de
l’ennemi (c’est-à-dire de celui qui ne correspond pas à ce que je veux, qui ne
me convient pas, qui ne pense pas comme moi). Nous pourrions rallonger la liste
à l’envie. Il est vrai que les besoins humains sont nombreux. A celui qui crève
de faim, lui reprochera-t-on d’oser demander une assiette pleine chaque
jour ? A celui qui est sans travail et qui a charge de famille, lui
fera-t-on grief d’avoir osé demander de quoi assurer une vie digne aux
siens ? A celui qui est véritablement opprimé, dont les droits
fondamentaux sont bafoués, lui interdira-t-on de demander une vie plus juste,
voire la mort de l’oppresseur ? Chaque homme sensé reconnaîtra en ces
demandes des besoins légitimes et moraux, et nous aurions tort de les classer
trop vite dans la catégorie : ne correspond pas à ce que nous avons en
stock, ou évangéliquement inacceptable. L’Evangile ne demande pas aux gens de
se contenter de ce qu’ils ont, de la situation dans laquelle ils sont et d’en
remercier Dieu en attendant un jour meilleur ; l’Evangile veut nous
inviter à aller plus loin, à regarder plus loin. Ce plus loin, cet ailleurs,
n’est pas un idéal mais un présent vécu différemment. C’est la réalisation, dès
maintenant, du Royaume de Dieu, ce Royaume où il n’y aura plus de gens tristes, malades ou malheureux. Ce Royaume
peut devenir réalité dès aujourd’hui si nous savons discerner, être attentif au
vrai projet de Dieu pour tous les hommes.
Le
projet de Dieu pour chaque homme, Paul nous le rappelle en ces simples
mots : faire de nous ses fils. Chaque homme, chaque femme est appelé à
devenir un autre Christ, quelqu’un d’entièrement tendu vers la réalisation de
ce Royaume, quelqu’un dont la volonté et l’action ne font plus qu’un avec la
volonté d’amour de Dieu. Appelés à nous décentrer de nous–mêmes, nous devenons
capable de penser aussi aux autres, à ceux qui n’ont pas la même chance que
nous ; et nous pouvons nous engager à améliorer l’ordinaire de toute
l’humanité. Salomon avait tout pour lui ; il aurait pu demander plus pour
lui ; mais sa prière l’a orienté vers ce peuple qui lui est confié à la
mort de son père David et dont il a désormais la charge. C’est à ce peuple
qu’il veut penser, c’est au bonheur de ces gens qu’il veut travailler. C’est
une question de choix ; c’est une question de vie ! A quoi cela
sert-il d’être riche, en bonne santé et sans ennemi si je suis seul et
malheureux ?
Pour
Matthieu, le bonheur véritable n’existe que dans la découverte du Royaume de
Dieu. Ce Royaume ne s’achète pas, même si l’évangéliste nous montre des hommes
qui laissent tout ce qu’ils ont pour l’acquérir. Ce qui compte dans ces
paraboles, ce ne sont pas les efforts faits pour obtenir le trésor recherché,
mais la joie que procure la
découverte de ce trésor. Devant cette joie immense, rien n’a plus de valeur,
rien ne vaut d’être conservé. Tout doit être fait pour profiter longtemps de
cette joie. Le Royaume se présente à chacun de nous sous une forme différente.
Il est tellement divers qu’une seule réalité ne suffit pas à l’expliquer. A chacun
de le découvrir, de le discerner au cœur de sa vie ; à chacun de savoir si
la joie qu’il procure est supérieur à ce que nous possédons déjà.
Qu’est-ce
qui compte le plus pour toi ? Que veux-tu que je fasse pour toi ? Des
questions qui nous renvoient d’abord à notre vie, à notre manière de la
concevoir. Pour le chrétien, la vie, c’est le Christ et sa Parole d’amour et de
liberté, et ce sont les frères que le Christ lui donne. Savons-nous toujours,
comme Salomon, comme Paul, leur donner la priorité au prix d’un dépassement de
nous-mêmes ? Osons demander à Dieu
de faire de nous de véritables disciples, de ceux qui ont découvert la beauté
du Royaume et veulent le partager aux autres. Avec le psalmiste, nous pourrons
redire cette prière : Mon partage, Seigneur,
je l’ai dit, c’est d’observer tes paroles. Mon bonheur, c’est la loi de ta
bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, In Mille dimanches et fêtes, Année A, éd. Les Presses d'Ile de France)