Quand la
liturgie propose une version longue et une version courte de l’évangile à
proclamer, la sagesse recommande de prendre la version longue, car seule cette
version donne la clé de l’histoire. C’était vrai dimanche dernier avec la
parabole du semeur sorti pour ensemencer son champ ; c’est vrai encore ce
dimanche avec la parabole du bon grain et de l’ivraie. Si nous avions fait
choix de la lecture courte, nous n’aurions entendu ni la parabole de la graine
de moutarde, ni celle du levain, ni surtout l’explication que Jésus donne de la
première parabole.
La parabole du
bon grain et de l’ivraie commence ainsi : le Royaume des cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain
dans son champ. Il n’y a rien qui vous choque dans cette phrase ? Elle
m’a embrouillé l’esprit pendant un temps cette semaine. Comment ce que nous
imaginions être un lieu (Le royaume des cieux) pouvait-il être comparé à un
homme qui sème ? Et qui est cet homme ? Jésus lui-même donne la
réponse plus loin : Celui qui sème,
c’est le Fils de l’homme. Autrement dit, le Royaume des cieux, c’est
Jésus ! Le Royaume n’est pas un endroit à découvrir ou à atteindre par une
perfection de vie, mais un homme à connaître, un homme à écouter, un homme à
suivre ! J’aurais dû le comprendre instinctivement, puisque Jean le
Baptiste, annonçant la venue prochaine du Messie, prophétisait : Le Royaume des cieux est tout proche,
convertissez-vous ! Ces trois paraboles nous parlent donc de Jésus et
de nous, puisque, toujours selon l’explication de Jésus, le champ, c’est le monde. Qu’apprenons-nous alors et de Jésus et de
nous ?
Nous apprenons au
sujet de Jésus, dans la première parabole, qu’il vient semer dans le monde un
grain bon, dont il attend de beaux fruits. Et il sème en plein jour, sans se
cacher, contrairement à l’ennemi qui vient de nuit. Il sème les fils du Royaume, ce qui fait de nous
des hommes « capax Dei », capables de Dieu. C’est lui qui fait
tout : nous n’avons qu’à pousser, qu’à grandir. C’est Jésus qui nous sème,
c’est lui qui nous récoltera, c’est lui qui en attendant prend patience
lorsqu’il constate que l’ennemi a semé les
fils du Mauvais. Ceci nous invite à la réalité : nous ne pouvons rien
faire pour Dieu ; c’est lui qui fait tout pour nous. Cela nous invite
aussi à cette autre réalité : nous avons peut-être en nous une part de
fils du Royaume et une part de fils du Mauvais. Il n’y a pas nécessairement des
bons et des mauvais, des gentils et des méchants, mais au gré de notre
croissance, nous sommes peut-être plus fils du Royaume ou fils du Mauvais selon
les circonstances. Ceci expliquerait bien la patience de Dieu qui toujours
croit en l’homme, qui toujours espère en l’homme et en sa capacité à choisir le
bien, à choisir Dieu.
Nous apprenons
encore au sujet de Jésus, dans la deuxième parabole, celle de la graine de
moutarde, que le Royaume des cieux n’est pas dans la grandeur, mais dans la
petitesse d’une graine de moutarde. C’est
la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse
toutes les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les
oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches. N’est-ce pas ce que
Jésus réalise pour nous sur la croix. A ce moment précis, il n’est plus rien,
il est broyé par la souffrance ; mais c’est là qu’il devient grand, dans
son obéissance jusqu’au bout, jusqu’au don de sa vie. Et la croix sur laquelle
il s’offre est bien l’arbre de vie à l’ombre duquel nous nous réfugions. Cette
parabole nous invite à l’humilité. Si nous sommes fils du Royaume, nous ne
pouvons vivre à notre tour que comme le Fils de l’Homme, donné à tous. Puisons
notre force dans l’exemple du Christ et l’Esprit dans la puissance duquel il
est ressuscité, nous sera donné aussi pour notre vie.
Nous apprenons
encore au sujet de Jésus, dans la troisième parabole, celle du levain dans la
pâte, que le Royaume des cieux n’est pas dans le spectaculaire, mais dans la
discrétion. Un peu de levure, ce n’est rien, c’est invisible, mais cela fait
beaucoup. N’est-ce pas ce à quoi Jésus nous invite après l’Ascension : il
n’est plus là, visible au milieu de nous, mais il agit en nous, à travers nous,
à travers l’Eglise qui sans cesse l’offre au monde, pour que les hommes se
convertissent et vivent. Il est le levain de notre pâte humaine, nous invitant
sans cesse à devenir plus humain, donc plus divin. Cette parabole nous invite
alors à l’espérance : si nous pouvons nous laisser travailler par le levain
tel une pâte, alors les hommes et les
femmes de notre temps, entendant la parole largement semée dans le monde,
peuvent eux-aussi grandir, se convertir et faire le choix du Christ. Nous
pouvons tous faire le choix de nous laisser davantage travailler par l’Esprit
du Christ, par sa Parole, pour que lève en nous le désir toujours plus grand
d’être Un en Christ.
Cela valait la
peine de se prendre un peu la tête sur ces trois paraboles, car devant nous s’ouvre
maintenant un chemin : et il nous faut décider de l’emprunter… ou pas !
Serons-nous des fils du Royaume ? Serons de ceux qui se réfugient à l’ombre
de la croix ? Serons-nous, à la suite du Christ, levain dans la pâte pour
que se lève une humanité nouvelle ? Si nous ne pouvons rien faire pour Dieu,
nous pouvons quelque chose pour nous, nous pouvons faire quelque chose pour l’humain :
faire le choix de Dieu pour que tout homme sente l’importance de cette présence
au cœur de sa vie. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année A, Les Presses d'Ile de France)
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