Ne
nous y trompons pas : ce passage de l’évangile de Matthieu a beau être
fait de bric et de broc, il n’en est pas moins essentiel pour notre progression
dans la foi. Ce texte, sans grande construction littéraire, nous dit des choses
essentielles sur Dieu et sur notre rapport à lui.
La
première des choses qu’il nous affirme, c’est la relation qui unit Jésus à
Dieu. C’est une relation filiale : Dieu est Père, Jésus est son fils. Et ce
lien entre les deux est absolument unique, absolument nouveau. Jésus n’est pas
le Fils de Dieu par analogie (il serait comme le Fils de Dieu) ; non, il
l’est réellement. Et la joie que connaît Jésus vient de là, de ce lien puissant
qui l’unit à son Père. C’est aussi à cause de ce lien unique que Jésus est, et
sera toujours, celui qui proclame la louange de Dieu. Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange.
La
deuxième chose qu’affirme cette collection de paroles de Jésus, c’est que nous
pouvons tous faire l’expérience d’une filiation divine. Nous pouvons tous
reconnaître que Dieu est notre Père. A condition de suivre et d’écouter Jésus.
S’il est celui qui chante sans cesse la louange de Dieu, son Père, il est aussi
celui qui nous le révèle. A travers ces paroles et ses actes, Jésus dit la
paternité de Dieu à tous ; il nous montre comment Dieu est Père pour nous,
comment il prend soin de tous ses enfants ; il nous rappelle que nous
pouvons, en toutes circonstances, compter sur Dieu.
Ceci
étant posé, nous apprenons alors de Jésus une troisième chose importante :
pour entrer dans cette connaissance de la paternité de Dieu, il nous faut être,
non sage et savant, mais tout-petits. Ce
que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.
Cela ne signifie nullement que nous n’avons pas à entrer dans une intelligence
de la foi, ni que nous pourrions nous passer d’approfondir notre connaissance
des choses de Dieu. Cela nous indique juste comment nous devons aborder cette
étude. Avec un cœur humble, disponible, attentif à Dieu, un cœur d’enfant qui a
tout à apprendre, tout à découvrir et qui ne s’enferme pas dans son savoir,
dans la suffisance d’une intelligence visant à écraser les autres. Lorsque le
sage se met à l’écoute de Dieu, avec humilité, il est lui aussi un de ces
tout-petits à qui Dieu se révèle.
Est
tout-petit devant Dieu, est humble devant Dieu, celui qui accueille la Parole
de Dieu et se laisse enseigner par elle. Est tout-petit devant Dieu, celui qui
ne croit pas tout savoir sur Dieu parce qu’il a fait quelques études ou parce
qu’il aurait appris par cœur son catéchisme. Est tout-petit devant Dieu, celui
qui se laisse surprendre par Dieu, qui accepte que Dieu se révèle sans cesse
différent de ce qu’il croit savoir. Est tout-petit devant Dieu, celui qui
accepte qu’un autre, Jésus en l’occurrence, parle mieux de Dieu qu’il ne le
ferait lui-même. Est tout-petit devant Dieu, celui qui accepte d’entrer dans
cette relation filiale, se découvrant ainsi fils de ce Père éternel, frère de
Jésus Christ. Est tout-petit devant Dieu, cela qui comprend qu’il ne saura
jamais tout sur Dieu et qu’il ne le connaîtra vraiment que lorsque Dieu
l’appellera à vivre auprès de lui.
Vous
le savez sans doute, la réforme liturgique issue du Concile a réparti notre
découverte de la Parole de Dieu sur un cycle de trois années liturgiques. Celui
qui, ayant vécu tout un cycle, dirait : voilà, j’ai tout entendu, tout vu ; désormais je sais tout,
serait semblable à ces sages et savants dont parle Jésus et à qui Dieu refuse
la connaissance véritable. Le cycle liturgique n’est pas un cercle que nous
aurions à revivre chaque année. Il est plutôt une spirale sans fin qui nous
fait progresser, d’année en année, dans une connaissance meilleure de Dieu.
Nous n’aurons donc jamais fini de découvrir Dieu et d’entrer dans la
connaissance de son mystère. Même après vingt ans, Noël, Pâques et toutes nos
fêtes et nos dimanches auront toujours une saveur différente, ne serait-ce que
parce que nous avons grandi, nous avons vieilli, et que notre histoire
personnelle vient enrichir notre connaissance de Dieu. Découvrir qui est Dieu
pour moi est l’œuvre d’une vie, parce que je le découvre différent selon l’âge
qui est le mien, et parce que d’année en année, je peux approfondir ce que je
crois savoir déjà.
Demandons
alors au Seigneur la grâce de garder un cœur humble devant lui, un cœur qui se
laisse enseigner, un cœur à qui Jésus peut révéler qui est Dieu et ainsi le
rapprocher du cœur de Dieu. Que la célébration de l’Eucharistie nous permette
de rester tout-petits devant Dieu, en faisant nôtre l’attitude de Jésus
lui-même. Nous pourrons alors redire en vérité ce que la liturgie de ce
dimanche nous fait prier : comblés
d’un si grand bien, nous te supplions, Seigneur ; fais que nous en
retirions des fruits pour notre salut et que jamais nous ne cessions de chanter
ta louange. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)
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