Est-ce
le contrecoup de son échec à Nazareth ? Sommes-nous témoins d’un moment de
déprime ou de découragement de la part de Jésus ? Lorsque nous le
retrouvons avec ses disciples en ce dimanche, c’est pour assister à un événement
étrange : Jésus envoie ses disciples en mission.
C’est
étrange, parce que nous sommes bien toujours avant Pâques. Ils ne savent pas
encore que Jésus est plus fort que la mort ; ils ne savent pas encore
qu’il est près de son Père ; ils n’ont pas encore reçu la force de
l'Esprit Saint. Et pourtant, sans autre formation que ces quelques temps de
compagnonnage avec Jésus et des recommandations plutôt austères, les voici
envoyés en mission, pour faire ce que Jésus seul a fait jusqu’ici : proclamer qu’il fallait se convertir,
expulser beaucoup de démons, faire des onctions d’huile à de nombreux malades
et les guérir ! En clair, c’est Jésus à la puissance Douze ! Un
petit stage de formation en somme, pendant que Jésus fait on ne sait trop
quoi !
Il les envoie deux
par deux. Pour
une première fois, c’est plutôt rassurant. Les disciples ne sont pas livrés à
eux-mêmes ; ils auront un compagnon de route. Se sont-ils choisis ou
est-ce Jésus qui a fait les équipes ? Ce n’est pas dit. Nous savons juste
qu’ils sont par deux. Cela permet de se soutenir, de ne pas se décourager,
d’avoir quelqu’un sur qui s’appuyer. Etre deux oblige aussi à un vrai
témoignage : les voilà en somme forcés de vivre entre eux ce qu’ils
prêchent ; quel groupe, quel couple n’expérimente pas cette obligation de
conversion au quotidien. Celui qui est seul fait ce qu’il veut ; ceux qui
vivent ensemble ou travaillent ensemble, doivent s’entendre pour réussir. Ce
n’est donc pas innocent si Jésus les envoie
deux par deux. Pour réussir, ils doivent déjà se supporter !
Il
les envoie comme des pauvres sur les routes de son pays. Ils ne peuvent prendre
qu’un bâton ; pas de pain, pas de
sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. Pas même de linge de
rechange ! Pauvres de tout, les disciples ne seront riches que de la
parole qu’ils auront à transmettre. Il n’y a rien qui pourra les distraire de
leur mission. Il n’y aura rien non plus pour faciliter la conversion : pas
de bling-bling, juste une parole que les personnes rencontrées accueilleront ou
pas. Aucun artifice, aucun moyen de pression. Les hommes ne doivent pas se
convertir parce que les Apôtres seraient riches, ou bien habillés, ou utilisant
les dernières technologies à la mode pour convertir : non, rien qu’une parole
et des signes posés.
La
seule concession, c’est le bâton. Ils ont l’air de petits Moïse, jetés sur les
routes, un bâton à la main. A moins qu’ils ne ressemblent au peuple de l’Exode,
qui a quitté l’Egypte en hâte, la ceinture aux reins, le bâton à la main, pour
aller là où Dieu lui-même les guiderait. Le bâton, c’est le symbole de la
marche nécessaire et jamais achevée pour aller à la rencontre de Dieu. Les
disciples de Jésus, à l’exemple du peuple dont ils sont issus, sont des hommes
en marche, en pèlerinage sur la terre des vivants. Le bâton facilite la marche sur les routes
escarpées et permet d’écarter le danger. Nous ne savons pas combien de temps
ils sont partis ; nous savons juste qu’ils ont accompli ce que Jésus leur
a demandé ; et ils semblent avoir plutôt réussi.
Il
y a encore une recommandation : la précision donnée par Jésus sur la conduite à
tenir selon qu’ils sont accueillis ou pas. Les disciples ne doivent s’arrêter
que là où ils sont accueillis ! Si,
dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et
secouez la poussière de vos pieds. Les disciples ne doivent pas se fatiguer
à évangéliser ceux qui ne veulent pas les recevoir. On ne discute même pas
semble-t-il ! On va vers les périphéries tant que les périphéries veulent
vous entendre. Si la parole des disciples ne trouve pas d’écho, il faut partir
ailleurs. Comprenons cela comme le signe d’un respect envers ceux qui ne
veulent pas se bouger. L’appel à la conversion est adressé à tous, mais il
n’est accueilli que par quelques-uns. Cela devrait nous décomplexer aujourd’hui
et nous enseigner surtout quand il nous semble que nous prêchons trop souvent
dans le désert. N’est-ce pas aujourd’hui, les gens ne veulent plus de
Jésus ; cela ne les intéresse plus. Et alors ? Ils ont le droit, le
droit de refuser Jésus, le droit de ne pas répondre à son appel, le droit
d’aller vers leur perte. Même Jésus ne sauvera pas tout le monde ;
pourquoi voudrions-nous réussir mieux que lui ? Le salut est certes offert
à tous ; mais tous ont-ils le désir d’être sauvé ? Jésus, par sa
recommandation aux disciples, semble dire : essayez partout, mais ne vous
mettez pas la rate au court-bouillon si vous n’êtes pas entendus ! Restez
chez ceux qui vous accueillent ; quittez ceux qui ne veulent pas de
vous ! Et laissez-leur même la poussière qui s’est collée à vos pieds en
allant chez eux. En agissant ainsi, dans les deux cas, vous respecterez vos
auditeurs.
A
l’heure où tous les diocèses mettent au point des stratégies missionnaires,
renforcées par des outils d’évangélisation, l’évangile de ce dimanche semble
nous dire qu’il faut juste se mettre en route au nom du Christ, redire son
message, poser des gestes de fraternité et respecter celui que nous
rencontrons. Oserons-nous miser sur cette simplicité ? Oserons-nous nous
encombrer de rien si ce n’est le Christ pour aller à la rencontre de nos
frères ? Si cela a fonctionné pour les disciples, pourquoi cela ne
serait-il plus efficace aujourd’hui ? Osons la simplicité
évangélique ; risquons une parole d’éternité et laissons l’Esprit faire le
reste. Il ne nous revient pas de convertir, mais seulement d’annoncer, de
témoigner et de vivre. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)
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