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samedi 13 février 2016

01er dimanche de Carême C - 14 février 2016

L'acte premier de la miséricorde : entrer en combat.






Vous souvenez-vous de la prière d’ouverture de la messe du mercredi des Cendres ? Pas nécessairement mot à mot, mais dans ses grandes lignes ? Elle nous parlait d’entrainement au combat spirituel. Elle laissait clairement entendre que le croyant ne pouvait pas se soustraire à ce combat fondamental. Et aujourd’hui, pour commencer notre première semaine de Carême, la liturgie nous montre Jésus livrant ce combat. Il doit donc y avoir quelque chose de vrai dans l’affirmation de la prière de l’Eglise : nous avons bien un combat spirituel à mener. En ce jubilé de la miséricorde, nous pouvons même dire que ce combat spirituel est l’acte premier, l’acte fondateur de toute miséricorde. 
Regardez notre monde ; les journaux nous étalent page après page le résultat d’une humanité qui semble avoir renoncé à ce combat. Que ce soit en politique, en économie, ou tout simplement dans notre vie ordinaire, c’est bien le Mal qui semble triompher. D’état d’urgence en lois particulières visant à déchoir de leur nationalité ceux que nous n’avons pas su intégrer ou gérer, sans même parler de la difficulté à faire une place en Europe à ces peuples que nous avons condamné à la guerre par souci de profits ou par lâcheté, ce qui triomphe, c’est la peur, le rejet de l’autre, la violence, la méfiance, la stigmatisation… Nos sociétés égoïstes semblent surprises par la violence de la réponse apportée par certains. Au terrorisme intellectuel de certains gouvernants qui nous bercent d’illusions intégrationnistes répond le terrorisme par les armes qui n’a fait que trop de victimes. De jeunes français, en manque de repère et d’espoir, prennent les armes et se retournent contre cette société qui semble les avoir abandonnés et qui, telle les statues représentant la justice, se voile la face devant ses propres errements et ses propres ratés. Plutôt que de vouloir comprendre pour lutter efficacement contre les causes de ces violences soudaines, nous faisons des lois qui vont renforcer ces sentiments de rejet. Quand la violence de lois mal ficelées répond à la violence des armes, c’est plutôt mal parti. 
Le Mal, nous en faisons tous l’expérience dans notre vie. Il y a le Mal que nous faisons et le Mal que l’on nous fait. C’est le même, n’en doutez pas. Nous ne sommes pas plus légitimes que d’autres à faire le Mal. Le Mal est un raté de notre vie, une réponse toujours mauvaise aux pires situations que nous pouvons affronter. Ce Mal, nous devons l’affronter et le vaincre, plutôt que de le répandre en y cédant à notre tour. L’Evangile de ce premier dimanche de Carême nous montre que ce combat est non seulement possible, mais qu’en plus nous pouvons le remporter, sans être des surhommes, sans déployer plus de Mal encore. Mais nous ne pourrons le vaincre qu’en le prenant à sa racine, qui est souvent en nous. 
Regardons bien Jésus. Celui qu’il affronte, c’est l’auteur du Mal, le diviseur, le démon, le diable : qu’importe le nom que vous lui donnez. Ce Mal qu’il affronte, ce sont nos grandes tentations : le pouvoir, la toute-puissance, l’idolâtrie, la mise à l’épreuve de Dieu lui-même. C’est finalement le désir secret qui nous habite tous à un moment ou à un autre de notre vie d’être plus que les autres, de dominer les autres. Jésus ne vainc pas le Mal parce qu’il est le Fils de Dieu ; dans le désert, il ne pose aucun acte de puissance divine. Il fait ce que chacun d’entre nous peut faire : répondre au Mal et le refuser grâce à la vérité que nous procure la Parole de Dieu. Saint Léon le Grand écrit dans un de ses sermons (sermon 39) : Nous voyons le Seigneur vaincre l’ennemi, non pas en usant de sa puissance, mais en s’appuyant sur les enseignements de la Loi. Il honore ainsi l’homme davantage et châtie plus durement son adversaire : ce n’est pas dans sa divinité, mais dans son humanité même, qu’il inflige une défaite à l’ennemi du genre humain. Il a affronté ce combat pour que nous combattions à notre tour ; il a vaincu pour que nous remportions la victoire (…). Pas de foi sans épreuves, pas de lutte sans un adversaire, et sans affrontement, pas de victoire ! Notre vie ici-bas se passe au milieu des embûches et des batailles. Pour ne pas être surpris, il faut veiller et pour vaincre, il faut combattre. 
Si nous voulons vivre ce jubilé de la miséricorde de manière profitable, il nous faudra nécessairement livrer ce combat. Parce que la miséricorde elle-même est un combat à livrer. Et ce combat, nous devons d’abord le livrer contre nous-mêmes, contre ce qui nous tire vers le côté obscur de l’homme, vers sa capacité, vers notre capacité, à faire le Mal. C’est peut-être d’abord à nous-mêmes que nous devons faire miséricorde en luttant contre notre ignorance (c’est là une des œuvres de miséricorde !), en luttant contre nos peurs, en luttant contre cette facilité et cette fascination que nous avons pour le Mal. Le bad boy a un côté plus attirant que le chevalier servant ; c’est regrettable, mais c’est ainsi ! L’interdit est plus séduisant que la loi ; c’est regrettable, mais c’est ainsi ! Même nos péchés semblent être « plus mignons » que la sainteté ; c’est regrettable, mais c’est ainsi ! Oui, le combat spirituel est bien l’acte premier de quiconque veut apprendre la miséricorde, parce que le plus grand Mal n’est jamais celui que l’on subit, mais celui que l’on fait. C’est donc bien en lui-même que tout homme doit lutter d’abord contre le Mal. Et il peut le faire, comme Jésus, avec sa part d’humanité qui le raccroche encore à Dieu et à sa Loi d’amour. Jésus ne fait que citer la Loi divine pour vaincre temporairement son adversaire. Un jour viendra où il le vaincra définitivement. Ce sera paradoxalement au moment même où le Mal sera convaincu d’avoir définitivement gagné, le Fils de Dieu ayant été cloué sur une croix. 
Se faire miséricorde à soi-même, c’est peut-être porter sur soi le regard même de Dieu, qui toujours nous redit son amour pour nous et la valeur que nous avons pour lui. Nous sommes, chacun, unique aux yeux de Dieu ! Regarder humblement sa vie, repérer les zones d’ombre qui la traverse, et oser appeler Dieu à l’aide, voilà pour moi le début de la miséricorde. Si je n’ai pas expérimenté la miséricorde de Dieu à mon égard, comment puis-je apprendre à faire miséricorde à ceux que Dieu place sur ma route ? Au début du Carême, demandons à Dieu cette grâce de savoir nous faire miséricorde. Sachant porter sur nous le regard même de Dieu, nous serons davantage capables de porter sur nos frères et sœurs en humanité ce même regard de Dieu. Nous découvrirons alors en l’autre non un ennemi à abattre, mais un frère à aimer, un frère à aider, un frère à qui manifester la miséricorde de Dieu. Amen.

(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année C, éd. Les Presses d'Ile de France)


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