A
mesure que se déroule le temps pascal, nous entrons dans une compréhension
meilleure de cet événement qui a bouleversé et bouleverse toujours le monde.
Rien n’est plus comme avant ; rien ne sera jamais plus comme si Dieu
n’avait pas offert la vie de son Fils sur la croix pour permettre aux hommes de
vivre, libres et heureux ! Si cet événement change le monde effectivement,
comment croire qu’il ne change rien dans ma vie ? Comment croire que
l’irruption de l’amour dans la vie des hommes puisse ne rien changer dans une
vie personnelle ?
Jésus,
au soir de sa mort, au cours du repas
qu’il prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du Cénacle, laisse
à ses disciples une parole que nous ne cesserons jamais ni de comprendre, ni de
vivre. Remarquez que cette parole est donnée en l’absence de Judas,
c’est-à-dire quand celui qui va provoquer le drame et permettre au Mal de
triompher, au moins dans l’immédiat, n’est plus présent. Il y a des paroles que
l’on ne peut pas dire, ni recevoir lorsque le Mal est présent. Il y a des mots
qui ne prennent vraiment leur sens qu’entre gens de bonne composition. Cette
parole, c’est le commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. Vous
aurez compris que la répétition de ce commandement indique à elle seule
l’importance de cette parole et du défi qu’elle représente. Est-ce seulement possible
à vivre ?
S’il
s’agissait juste de nous aimer les uns les autres, sans rien de plus, je crains
fort que cela soit juste impossible. Il y a tant de raisons, toutes meilleures
les unes que les autres, qui nous empêchent d’aimer l’autre. Et la première
raison, c’est souvent l’autre lui-même. Il est tellement différent de moi,
tellement différent de ce que je voudrais qu’il soit, trop ceci et pas assez
cela, qu’il m’est juste impossible de l’aimer. Mais Jésus insiste, et dans son
insistance, il nous donne la clé pour que cet amour humainement impossible
devienne possible. Il ne s’agit pas seulement d’aimer l’autre, mais d’aimer comme lui, Jésus, nous a
aimés ! Tout est dans ce « comme Jésus ». Et l’amour de Jésus est allé jusqu’à la
croix, jusqu’à une vie donnée, offerte dans la violence absolue que représente
la mort de l’innocent. Un tel amour est un don de Dieu. Car c’est bien dans son
union indéfectible à Dieu son Père que Jésus peut ainsi s’offrir en sacrifice
pour la vie de tous les hommes. C’est dans notre attachement au Christ, qui a
donné sa vie pour nous, que nous pouvons trouver la force d’aimer comme lui,
tous et chacun de ceux qu’il met sur notre route. N’imaginons pas réussir à
aimer, ni réussir à nous aimer les uns les autres hors de cette fidélité à
l’amour du Christ pour nous. Seul celui qui se sait aimé passionnément par le Christ peut
aimer passionnément à son tour.
Pour
nous, chrétiens, l’amour n’est pas une option, c’est un incontournable. Il
vérifie notre foi, notre fidélité au Christ Sauveur et à son
enseignement : A ceci, tous
reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les
uns pour les autres. Jean reprendra avec force cette affirmation lorsqu’il
dira dans sa première lettre : celui
qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas, mais qui n’aime pas son frère qu’il
voit, celui-là est un menteur. L’incarnation même de Jésus justifie cette
position puisque qu’en Jésus, vrai homme et vrai Dieu, l’homme et Dieu sont
définitivement liés. Notre foi au Christ ne pourra donc jamais se passer de la
nécessité d’aimer, puisque Jésus a fait de l’amour du frère la mesure étalon de
notre foi.
Quand
l’amour devient difficile, demandons au Christ ressuscité de nous indiquer la
route de l’amour véritable. Demandons au Christ un surcroit d’amour pour que
soit réduit à rien ce qui nous empêche d’aimer. Construisons cette Jérusalem nouvelle dans laquelle la mort ne sera plus, dans laquelle de mer, il n’y en a plus. Avec Pâques,
Dieu a fait toutes choses nouvelles,
à commencer par notre capacité à aimer. Suivons-le, et aimons comme lui. Amen.
(Dessin extrait de la revue L'image de notre paroisse, n° 209, Mai 2004, éd. Marguerite)