Il
y a quelque chose de curieux dans le comportement du grand prêtre et de son
conseil : ils sont persuadés d’avoir mis un terme à l’histoire de Jésus en
le clouant sur la croix, et pourtant, ils commencent à avoir peur pour eux :
vous voulez donc faire retomber sur nous
le sang de cet homme ? N’est-ce pas là une affirmation maladroite du
fait que cette histoire, et l’annonce répétée par ses disciples de la résurrection
de Jésus, puissent être vraie ? Sinon pourquoi avoir peur que son sang
retombe sur eux ? Après tout, c’est ce que tout le peuple réclamait à Pilate
lorsque celui-ci voulait relâcher Jésus : que son sang soit sur nous et sur nos enfants, criait la foule
pendant le procès. C’est facile à dire quand on ne s’attend à rien d’autre qu’à
la mort d’un homme : que risque-t-on de lui quand tout est fini ? Mais
si on commence à prendre la résurrection de Jésus au sérieux (ne serait-ce qu’un
peu !), si tout ce que disent les Apôtres est vrai, ne va-t-il pas vouloir
se venger sur nous ? Ceux qui ont condamné Jésus ne risquent-ils pas d’obtenir
finalement ce qu’ils réclamaient alors pour calmer les scrupules du gouverneur ?
Il leur faut étouffer toute cette malheureuse affaire, interdire aux Apôtres de
prêcher le nom de Jésus, quitte à utiliser la force et le fouet pour bien
imprimer le tout dans l’esprit de ces hommes qui dérangent.
Il
y a quelque chose de surprenant dans le comportement de Pierre : hier, il
reniait Jésus, proclamant par trois fois ne pas le connaître, par peur de ce
qui pourrait lui arriver, et le voici qui proclame par trois fois (certes un
peu contraint par question répétée de Jésus : m’aimes-tu ?) le voici
qui proclame donc son amour pour Jésus ; et quelques temps plus tard, s’en
va même annoncer la résurrection et tenir tête à ce grand conseil qu’il
craignait hier encore. Même le fouet ne pourra le faire taire ! Avec
assurance, il rappelle les faits qui ont conduit à la mort de Jésus, et la
puissance de Dieu qui a ressuscité Jésus.
Avec délicatesse, il invite son peuple à la conversion, l’invitant à
reconnaître la nouveauté de l’événement de Pâques. Il prend le contre-pied de
ses adversaires : alors que ceux-ci le condamne pour ses paroles, lui ne
les condamne pas pour leurs actes. Il ne leur verse pas le sang de Jésus à la
figure ; il leur renvoie son amour pour tous les hommes, eux y compris. Nulle
trace de vengeance, nulle trace de haine : juste le désir que les hommes
se convertissent à Dieu et reconnaissent en Jésus leur Sauveur. Aucune contrainte,
aucun fouet pour imprimer la foi en eux !
Il
y a quelque chose de neuf dans le monde après l’événement de Pâques, quelque
chose qui ne se contrôle pas : les hommes changent, les hommes sont transformés :
il y ceux qui s’enferment dans leur refus de croire, comme on enferme un
cadavre dans son tombeau ; ils se replient sur eux, sur leur certitude,
refusant à Dieu d’être vraiment Dieu. C’est finalement l’attitude des membres de
ce grand conseil : ils avaient refusé de croire Jésus de son vivant ;
ils ne vont pas croire en lui maintenant qu’ils l’ont fait mettre à mort. Toute
cette affaire devait cesser avec la mort de Jésus ; elle cessera, dussent-ils
accumuler les injustices envers les Apôtres ! Il y a aussi ceux qui s’ouvrent
à la nouveauté d’un Dieu plus fort que la mort, ceux qui se convertissent à l’amour
et au pardon : ils s’ouvrent à une vie nouvelle, faite de joie et de
liberté. Les Actes des Apôtres sont remplis de ces témoignages d’hommes et de femmes
qui, par milliers, rejoignent le nombre des disciples à la prédication des
Apôtres, réalisent une nouvelle manière de vivre, partageant ce qu’ils ont, se
soutenant les uns les autres. Oui, avec Pâques et l’irruption dans notre vie de
celui que la mort n’a pu vaincre, les hommes changent.
Ce
qui était vrai hier, l’est encore aujourd’hui. Nous célébrons Pâques année
après année ; si nous sommes juste dans le souvenir de cet événement,
comme on serait dans le souvenir de la fin de la grande guerre, rien ne
changera vraiment. Pâques cette année sera comme Pâques de l’an dernier et
probablement comme Pâques de l’an prochain. Mais si nous faisions le choix de
prendre Pâques au sérieux, de croire vraiment que Jésus est sorti de son
tombeau, alors il nous sortirait de nos propres tombeaux, alors nous pourrions
aider à rendre ce monde meilleur. Si nous laissons Jésus être le Ressuscité, y
compris dans notre vie, nous le reconnaîtrions lorsqu’il croise notre vie ;
nous deviendrions capables, avec la force de son Esprit, de changer de vie et
de changer le monde.
Cette
semaine encore, au nom d’une certaine idée de la laïcité, des hommes et des femmes,
pourtant évolués et capables de réflexion, ont réaffirmé que toute cette
histoire de Jésus, finalement, ça devait se terminer, en particulier dans nos
écoles, en demandant la suppression de l’heure d’enseignement religieux. Qu’on
ne nous parle plus de Jésus et qu’on n’en parle plus à nos enfants dans le
cadre de l’école ! Ils ne l’ont pas dit ainsi, mais c’est bien à cela que doit
conduire leur revendication. Autrefois, le grand conseil avait fait donner le
fouet ; aujourd’hui on donne des conférences de presse remplies d’ambiguïté.
Mais le résultat escompté est le même : que cesse l’histoire de Jésus ;
que le monde soit enfin débarrassé de lui, une fois pour toutes. La seule chose
juste qu’ils ont réussi à pointer, c’est la baisse du nombre d’élèves
fréquentant l’enseignement religieux. Et cela nous renvoie, nous chrétiens, à
notre responsabilité, à notre foi pascale. Si Jésus ressuscité est important
pour nous, si nous sommes convaincus que cet événement de Pâques a bouleversé le
monde et le bouleverse encore, si nous croyons que Pâques change les hommes en
mieux, pourquoi refuser cette chance à nos enfants ? Pourquoi les
dispenser de connaître celui en qui nous espérons ? Pourquoi ne pas vouloir
le meilleur pour eux aussi ? Qu’avons-nous à craindre d’une meilleure
compréhension de la religion par nos enfants ? Qu’avons-nous à craindre d’un
meilleur vivre ensemble, résultat certain d’une meilleure connaissance de l’autre
et d’une meilleure connaissance de soi enseignée dans ces cours de religion supposés
si dangereux pour la liberté de conscience, l’égalité et la neutralité selon
ses opposants ? Dans un monde de plus en plus bouleversé et en manque de
repères, pourquoi vouloir encore supprimer celui-là qui peut structurer une
vie, lui donner sens, ouvrir une espérance et permettre de grandir en humanité ?
Pourquoi vouloir éradiquer toute la puissance de Pâques de la vie des hommes ?
J’ai bien une idée de réponse, mais elle n’est pas à la gloire de l’homme !
En ressuscitant, Jésus nous a rendu notre liberté face aux puissances du Mal
qui envahissent notre vie ; vouloir empêcher de le faire connaître, c’est
empêcher l’homme de vivre vraiment libre ; c’est empêcher l’homme de
transformer le monde par la puissance libératrice de l’Evangile.
Si
l’événement de Pâques introduit une nouveauté dans la vie des hommes, nous
devons saisir cette nouveauté et nous laisser transformer par elle. Ne retournons
pas à nos vieux démons révolutionnaires qui, en leur temps ont profondément
divisés notre pays. Ne nous enfermons pas dans le tombeau de nos ignorances
crasses. Avec le Christ, ressuscitons à une vie de foi renouvelée ; avec
le Christ, accueillons la liberté qu’offre cette nouvelle vie débarrassée du Péché,
du Mal et de la Mort. Avec Pierre, osons
affirmer Dieu et le Christ, toujours vivant, toujours agissant pour le bien de
tous, pour la liberté de tous, pour la vie de tous. Amen.
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