La
parabole des vierges sages et des vierges insensées, la parabole du maître qui
part en voyage et qui confie ses biens à ses serviteurs le temps de son absence :
nous sentions bien, ces deux derniers dimanches, que notre foi avait un sens et
que notre espérance n’était pas vaine : le Christ, qui s’en était retourné
chez son Père au moment de l’Ascension ; le Christ, qui avait promis à ses
disciples son retour ; le Christ donc reviendrait un jour. Et nous
contemplerons sa gloire pour toute éternité… du moins si nous sommes appelés
dans son Royaume. Car les deux paraboles citées nous faisaient bien comprendre
qu’il y aurait un tri et que tous n’entreront pas dans la salle du banquet, que certains se retrouveraient dehors, dans les ténèbres, là où il y aura
des pleurs et des grincements de dents. L’évangile de la fête du Christ,
Roi de l’univers, nous avertit une ultime fois : nous n’irons pas tous au
Paradis…
Sans doute aurions-nous aimé un
évangile plus conciliant en cette fin d’année liturgique, un évangile plus
joyeux, plus dynamique, davantage capable de mobiliser nos énergies. Eh bien, c’est
exactement ce que nous avons avec cette parabole que nous devons lire en
entier. Il n’est pas laissé la possibilité d’une lecture brève, qui s’arrêterait
après la parole du Christ adressée à celles et ceux qui connaîtront le bonheur
sans fin. Nous devons entendre, en ce dernier dimanche de l’année liturgique,
ce qui adviendra quand le Christ reviendra. Ce qui adviendra, c’est un jugement
auquel tous les hommes sont soumis, et pas seulement ceux qui auront cru au Christ.
Toutes les nations seront rassemblées
devant lui, dit Jésus à ses disciples. Le jugement concerne tous les hommes ;
et parce qu’il concerne tous les hommes, il ne peut pas seulement reposer sur
la connaissance du petit catéchisme ; parce que le jugement concerne tous
les hommes, il ne peut pas reposer seulement sur le nombre de fonds de culotte
que nous aurons usé sur les bancs d’une église durant notre vie ici-bas. Le critère
du jugement sera le même pour tous ; il mettra à égalité les croyants au Christ
et les non-croyants au Christ. Ce critère sera l’amour que nous aurons su vivre
et partager avec tous, ou du moins avec tous ceux qui auront croisé notre vie. J’avais faim, j’avais soif, j’étais un
étranger, j’étais nu, j’étais malade, j’étais en prison… Voilà les
situations que le Christ glorieux mettra en avant. Elles concernent les grandes
souffrances des hommes et les besoins les plus vitaux des hommes : la
nourriture et la boisson pour vivre, l’accueil de l’autre différent, la
protection de celui qui n’a rien, ainsi que l’attention et l’amitié envers ceux
qui sont isolés du fait de la maladie ou des circonstances de la vie. Elles nous
rappellent ce à quoi chaque homme a droit pour vivre dans la dignité, même s’il
est temporairement écarté de la communauté des hommes. Nul ne devrait mourir de
faim ou de soif, nul ne devrait mourir de froid ou brûlé par le soleil par
manque de vêtement pour se protéger, nul ne devrait mourir dans la rue parce qu’étranger
dans le pays où il réside, nul ne devrait mourir seul parce que malade ou en
prison. L’homme a une dignité que rien ne saurait lui enlever : la dignité
des fils et des filles de Dieu. Comment protégeons-nous cette dignité ? Comment
la valorisons-nous pour chacun ?
Dans le droit fil des évangiles des
deux derniers dimanches, cette parabole nous redit que le salut, ce n’est pas automatique.
Dans le droit fil de la parabole des vierges sages et des vierges insensées,
cette parabole du jugement dernier nous rappelle qu’il nous faut nous préparer
à ce jour. Dans le droit fil de la parabole du maître qui part en voyage après
avoir distribué ses biens, cette parabole entendue aujourd’hui nous redit que l’absence
de mal ne fait pas un bien, et que s’abstenir de faire le bien équivaut à faire
mal. Il n’était pas méchant, le serviteur qui n’avait rien fait du bien confié
et qui l’a rendu en l’état au retour du maître. Ils n’étaient pas forcément
méchants ceux qui se sont retrouvés à la gauche du Christ dans la parabole du
jugement dernier ; ils n’ont juste pas su voir en chaque homme un frère à
aimer, un frère à aider. Ils n’ont juste pas su agir en humains responsables. Le
grand péché contre l’Esprit Saint, seul péché non remis, c’est peut-être la
cécité spirituelle qui nous empêche de reconnaître le Christ en chaque homme
lorsque nous sommes croyants, la cécité du cœur qui nous empêche de reconnaître
en chaque homme quelqu’un qui a besoin de nous si nous sommes justes
humanistes. Ne t’étonne pas d’être laissé de côté au jour du jugement si
toi-même tu laisses de côté ceux qui attendent un geste, un sourire, une
attention. Comme nous le disait déjà les paraboles des derniers dimanches, nous
sommes responsables de notre jugement, nous sommes les commanditaires de la
sentence qui sera prononcée sur nous. Le Christ ne pourra pas rendre lumineuse la
charité que nous n’aurons pas fait exister de notre vivant. Brebis ou bouc, c’est
nous qui décidons, dès maintenant, dès ici-bas.
Ce dernier dimanche de l’année ne
veut pas nous abattre mais nous stimuler spirituellement ; il vient nous
mettre en route, en action pour qu’à travers nous, les hommes connaissent une
vie meilleure dès cette terre. Un peu d’amitié, un peu de respect, un peu de
partage : il n’en faut pas plus pour que les hommes vivent ; il n’en
faut pas plus pour que le salut promis nous ouvre les portes du Royaume. Nous
ne pouvions finir mieux notre année qu’en nous redisant ce qui nous fera vivre
éternellement : l’esprit du Christ largement partagé et vécu avec tous !
Amen.
(Dessin de M. Leiterer)