Ceux qui ne vont à la messe que le
dimanche, n’entendront du Livre de Jonas que le court extrait que nous avons eu
en première lecture. Et s’ils ne font pas l’effort de lire le livre en entier
(quatre petits chapitres), ils ne comprendront rien à l’histoire telle que nous
l’avons entendu, ou plutôt ils ne la comprendront que de travers. Car en lisant
le livre en entier, nous découvrons que Jonas n’est pas le modèle du prophète
qui annonce la Parole avec joie aussitôt celle-ci transmise.
Tout commence quand Dieu se décide à
intervenir pour Ninive. De ce qui est dit de la ville, nous comprenons qu’elle
est tout entière plongée dans le mal, et que Dieu ne la supporte plus. Il
interpelle donc Jonas qui a mission de dire aux Ninivites que leur méchanceté est montée jusqu’à Dieu. Il
doit les inviter à la conversion. Contrairement à ce que peut faire croire la
traduction liturgique, Jonas ne se lève pas immédiatement pour aller
à Ninive. Cela il ne le fera que la
seconde fois, lorsque la parole du
Seigneur fut adressée de nouveau à
Jonas. La première fois, il fuit ; il s’embarque sur un navire pensant
échapper à Dieu et à sa mission. Pourquoi fuit-il ? Parce qu’il sait la
bonté de Dieu et son désir de salut pour tous les hommes. C’est là la marque
principale du prophète que ce petit livre tient à souligner. Le lecteur
attentif du livre de Jonas comprend ce qu’est l’expérience prophétique. Jonas
lui-même confesse cette expérience lorsque la ville s’est convertie et que Dieu
est revenu de sa décision de la punir. Je
savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein
de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal. Celui que
Dieu choisit pour annoncer sa parole, hier comme aujourd’hui, est
nécessairement convaincu de la bonté et de la miséricorde de Dieu. N’est-ce pas
ce que nous rappelait le pape François quand il a proclamé un Jubilé de la
miséricorde ? Ne voulait-il pas nous faire redécouvrir à tous cette
qualité première de Dieu ? Quand bien même Dieu aurait des motifs de
colère contre nous, sa miséricorde est plus grande encore et sans limite. Je
n’imagine pas qu’un prédicateur ou une catéchiste puisse proclamer l’évangile
sans en être convaincu. Quiconque veut parler de Dieu doit savoir (et être
convaincu lui-même) que Dieu aime tous les hommes et qu’il veut leur salut à
tous, quels que soient leur tempérament, leur caractère, leur origine, leur
couleur de peau, leur croyance, ou le nombre d’actes mauvais qu’ils aient pu
commettre. Le Dieu de l’Evangile est le Dieu du Salut. Il suffit que la Parole
de Dieu soit proclamée pour qu’elle puisse agir, même malgré celui qui
l’annonce. Et même si le prophète, comme Jonas, n’annonce pas exactement ce que
Dieu demande, la Parole peut atteindre son but. Jonas dit : encore quarante jours et Ninive sera
détruite, et le peuple comprend qu’il doit se convertir alors même que
Jonas n’avait pas proclamé cette possibilité.
Cette histoire de Jonas nous interroge
alors sur notre rapport à l’Evangile, cette Bonne Nouvelle que Jésus a
proclamée et que ses disciples doivent continuer à annoncer. L’Evangile que
nous lisons est-il encore Bonne Nouvelle pour nous ? Ou est-ce juste un
beau texte historique, un écrit de sagesse à côté d’autres écrits de
sagesse ? Pour ne prendre qu’un exemple que je connais pour y travailler
en ce moment (l’Enseignement catholique), que signifie le mot Evangile pour les
parents qui inscrivent leurs enfants dans une école catholique ? Car
enfin, nombre de projets éducatifs se disent référés aux valeurs de l’Evangile. Nous sommes bien d’accord :
cela ne veut absolument rien dire si pour nous, chrétiens, l’Evangile n’est pas
le moteur de notre vie, ce qui lui donne véritablement sens et qui oriente
toutes nos actions. L’Evangile n’a de valeur que s’il est reconnu comme une
Parole efficace, comme la présence agissante de Jésus dans notre vie.
L’Evangile n’est Bonne Nouvelle que s’il ouvre ma vie à la bonté et à la
miséricorde de Dieu pour que ma vie puisse devenir pour d’autres signe de cette
bonté et de cette miséricorde. L’Evangile ne doit pas être proclamé pour faire
peur aux gens, mais pour les amener à vivre plus grand, à vivre mieux. Ce n’est
pas la même chose de dire : Ninive
sera détruite que de dire : la
méchanceté de Ninive est parvenue jusqu’à Dieu ! La première formule
sonne comme une condamnation, la seconde laisse un champ de possible : si
ma méchanceté est parvenue jusqu’à Dieu, combien plus ma conversion lui
parviendra-t-elle ! Nous avons tous une responsabilité particulière
concernant la réception de l’Evangile comme Bonne Nouvelle pour tous les
peuples. Nous devons nous battre contre toute tentative de réduire la Parole de
Dieu à des préceptes moraux, des condamnations, des fatwas réduisant la
miséricorde de Dieu, annulant son amour, défigurant son visage. L’Evangile sera
Bonne Nouvelle tant que celui qui l’entend comprendra qu’il est aimé infiniment
et gratuitement par Dieu, quelle qu'ait été sa vie jusqu’à présent. L’Evangile
ne réduit pas notre vie à nos actes manqués ; il agrandit notre vie à la
mesure de l’amour de Dieu pour nous.
Jonas savait tout cela, mais il ne voulait
pas que ce qui était bonne nouvelle pour lui le soit aussi pour Ninive. Il
aurait bien aimé que cette ville soit détruite. Nous ne sommes pas différents
de lui : quelles sont les Ninivites que nous aimerions voir
détruits ? Quels sont ceux à qui nous ne ferons pas entendre la Bonne
Nouvelle du Salut de peur qu’ils ne se convertissent et soient sauvés avec
nous ? La leçon que Dieu donne à Jonas à la fin du livre vaut pour nous
aussi : nous savons nous soucier pour des petites choses ; combien
plus Dieu se soucie-t-il des hommes qu’il a créés. Nous ne sommes pas
propriétaires de l’Evangile ; nous n’en sommes que les dépositaires. Nous
devons l’accueillir et le transmettre, fidèlement. Convertissons-nous donc et croyons
à l’Evangile pour que d’autres puissent se convertir et y croire, pour la
plus grande gloire de Dieu et le salut du monde. Amen.
(Gustave Doré, Jonas exhorte les Ninivites, in Gustave Doré - La Bible, éd. SACELP, 1983 )
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