On mangera et il en restera. Cette affirmation
du Seigneur donnée par le prophète Elisée traduit tout l’amour de Dieu pour son
peuple, sa grande bonté et sa générosité sans limite. C’est cette même
générosité, cette même bonté, ce même amour qui sont à l’œuvre en Jésus, des
siècles plus tard, lorsqu’il nourrit une foule immense avec seulement cinq pains et deux poissons. Un signe
donné pour que le peuple comprenne que Dieu ne saurait ignorer ceux qui se
tournent vers lui. Au-delà du signe que Jésus
avait accompli, ce qui me frappe dans l’évangile de ce dimanche, c’est la
faim de ce peuple qui se presse par milliers autour de Jésus.
Même
si nous avons changé d’évangéliste, passant de Marc à Jean, le contexte reste
le même. Souvenez-vous : dimanche dernier, Jésus avait invité ses
disciples à l’écart à leur retour de mission. Déjà les foules se pressaient, au
point qu’ils n’avaient même pas le temps
de manger. Jésus avait embarqué avec les siens pour traverser le lac, mais
la foule, comprenant leur intention, [courut]
là-bas, sur l’autre rive et [arriva] avant
eux. Peut-on souligner davantage la faim de cette foule d’une parole vraie ?
Peut-on faire mieux pour dire l’impact de Jésus sur ces hommes et ces femmes
qui courent après lui ? C’est de cette foule qu’il voulait éloigner ses
disciples ; c’est cette foule qui les rattrape ; c’est cette foule
qui en oublie jusqu’à l’essentiel (un casse-croûte pour la route) pour être
avec Jésus. Il y a un lien fort entre cette foule et Jésus, et ce ne sont pas
seulement les signes qu’il opère qui peuvent expliquer cela. Je pense qu’il y a
plus ; il y a quelque chose de vital qui semble les attacher ainsi à la
personne de Jésus.
A
force de courir d’une rive du lac à l’autre, à force de ne plus prendre le
temps de rentrer chez eux, il semble normal, au bout d’un moment que la faim se
fasse sentir. Il y a là environ cinq
mille hommes, et seulement cinq pains
d’orge et deux poissons. André a bien raison d’interroger : qu’est-ce que cela pour tant de monde ?
Et pourtant, nous l’avons entendu, non seulement chacun mange à sa faim, mais
il reste encore de quoi remplir douze paniers à la fin du repas. Comment ne pas
entendre en écho la parole rapportée par le prophète Elisée : on mangera et il en restera ? Au
temps de Jésus comme au temps d’Elisée, quand Dieu donne, il donne avec
largesse, il donne au-delà du raisonnable. Dieu n’est pas radin en amour ;
il ne donne pas sous condition. Il donne ce qu’il faut et même plus. La foule n’est
pas dupe : à la vue du signe que Jésus
avait accompli, les gens disaient : « c’est vraiment lui le prophète
annoncé, celui qui vient dans le monde. Les journées passées à courir après
Jésus sont ici récompensées et reconnues comme un temps de grâce, un temps de
rencontre avec celui que Dieu envoie.
Chaque fois
que j’entends cette page d’évangile, je ne peux empêcher une pointe d’envie de monter
en moi : comme j’aurais aimé être de cette foule. Comme j’aurais aimé
courir à la suite de Jésus pour l’écouter, le voir et goûter à ce pain partagé.
Je me souviens alors que je peux encore le faire aujourd’hui. Je peux me
presser autour de Jésus ; je peux le suivre ; je peux l’entendre me
parler comme il a parlé à ces foules ; je peux même goûter ce pain partagé
jadis sur la montagne. Il me suffit de venir à l’eucharistie. Ici, je rencontre
Jésus ; ici Jésus me parle ; ici Jésus partage encore le pain. Mais ma
faim de lui est-elle aussi grande que la faim de cette foule qui se pressait
autrefois ? Irai-je courir de l’autre côté du lac pour cette rencontre ou
est-ce que j’attends tranquillement qu’il vienne de ce côté-ci ? Mon lien
à Jésus est-il traditionnel ? culturel ? personnel ? vital ?
Est-ce que je rends grâce à Dieu comme la foule pour ce signe fondamental de
notre foi ou est-ce que je considère cela comme normal ? Si je ne sais
plus lire les signes que Dieu pose, comment pourrais-je rendre grâce à Dieu ?
Comment pourrais-je me réjouir de ce que Dieu intervient encore dans la vie des
hommes, dans ma vie ?
Nous l’avons
vu : quand la foule a faim, Jésus la nourrit ; mais il ne la nourrit
pas seulement de pain, il la nourrit aussi de sa parole. Elle a faim des deux,
la foule. Et moi, quelle est ma faim aujourd’hui ? Quel est mon désir de Jésus
et comment le creuser encore ? Avec l’Eglise, nous pouvons redire cette
prière qui a ouvert notre eucharistie : elle nous permet de confesser la
sollicitude de Dieu qui donne plus que ce dont nous avons besoin en même temps
que notre faim de lui et notre confiance en lui. Tu protèges, Seigneur, ceux qui comptent sur toi ; sans toi, rien
n’est fort et rien n’est saint. Multiplie pour nous tes gestes de miséricorde
afin que, sous ta conduite, en faisant un bon usage des biens qui passent, nous
puissions déjà nous attacher à ceux qui demeurent. Que cette prière de l'Eglise devienne authentiquement nôtre. Amen.