Nous
avions laissé Jésus, ses disciples et
la foule sur une des rives du lac de Tibériade, rassasiés du pain que Jésus venait
de partager entre tous. Jésus s’était retiré
dans la montagne, sachant qu’ils
allaient l’enlever pour faire de lui leur roi. Nous les retrouvons tous sur
l’autre rive, Jésus et la foule poursuivant leur jeu de : vous me cherchez
là, je n’y suis déjà plus. Il a bien raison de se méfier de cette foule qui
court après lui pour de mauvaises raisons. Ce n’est pas le fils de Dieu qu’elle
cherche, mais celui qui lui a donné du pain. En ce sens, elle est bien de son
époque, cette foule, qui d’ordinaire vit sous domination romaine, cette société
même qui promettait du pain et des jeux en échange de sa tranquillité. Elle est
bien de ce monde, tout en étant très proche de ces ancêtres, prompts à se
révolter pour un morceau de pain.
C’est
ce que nous raconte la première lecture entendue. Le peuple que Moïse vient de
sortir d’Egypte, le libérant de la main puissante de Pharaon, vient récriminer
contre lui et contre son frère Aaron. Cela fait un mois et demi qu’ils ont
franchi la mer Rouge et déjà, ils regrettent l’Egypte. Ecoutez-les se plaindre :
Il
aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Egypte, quand nous
étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété !
L’odeur des marmites est plus longue à oublier que les coups des gardes
chiourmes et les travaux forcés. Apparemment ce peuple préfère avoir le ventre
plein en étant esclave, qu’être libre et connaître la faim. Le pire dans l’histoire,
c’est qu’ils en viennent à accuser le libérateur de les avoir menés au désert
pour les y faire périr ! Le Dieu qui a suscité Moïse, le Dieu qui s’est
engagé personnellement pour leur libération, n’aurait d’autre dessein que de
les faire disparaître ! Peut-on être à ce point de mauvaise foi ?
Peut-on à ce point si vite oublier l’engagement de Dieu en faveur de la vie de
ce peuple ? Une difficulté passagère, et revient en mémoire le temps où l’on
mangeait à sa faim, asservi par un peuple étranger. Il a la mémoire sélective,
ce peuple : il a déjà oublié sa récrimination précédente, trois jours
après le franchissement de la mer Rouge quand il manquait d’eau ; il a
déjà oublié que Dieu était intervenu alors, rendant potable l’eau de Mara avant
de le conduire à Elim où coulait douze sources d’eau. Si Dieu avait voulu faire
mourir son peuple, il en avait déjà eu l’occasion. La patience de Moïse et la
patience de Dieu sont mises à rudes épreuves. Mais ni l’un, ni l’autre ne se
découragent. Quand le peuple récrimine, Moïse se tourne vers Dieu et Dieu répond.
A manger, il y aura des cailles et le pain venu du ciel. Ce pain sera quotidien,
donné chaque matin, double ration le sixième jour en prévision du septième
jour, sabbat en l’honneur du Seigneur. A ceux qui doutent, il est rappelé que Dieu
veille sur le peuple qu’il se donne ; il est Dieu de la vie.
La
foule rassasiée par Jésus ne tarde pas à faire le lien entre le pain multiplié
qu’elle a reçue et la manne, pain venu du
ciel, donné par Dieu au désert. Mais Jésus élargit le regard de la foule. Au-delà
du pain reçu, il les invite à découvrir une autre nourriture, la nourriture qui demeure jusque dans la vie
éternelle. A nouveau, comme jadis au désert, la foule peut interroger :
Mann hou ? Qu’est-ce que c’est cette nourriture ? La réponse de Jésus
jaillit, lumineuse : le pain de Dieu,
c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. Et à la foule
qui insiste, cette dernière réponse : Moi,
je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ;
celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Pas sûr qu’ils aient bien
compris. Pas sûr que nous comprenions toujours bien ce que Jésus nous dit ici. Toujours
est-il qu’il se présente bien comme la source de la vie véritable, celui vers
qui il nous faut aller. Comme les pères au désert, nous devons apprendre la
foi, la confiance absolue en Dieu qui nous aime et qui veille sur nous. Comme la
foule autour de Jésus, nous devons élargir notre regard et découvrir que la vraie
faim dont nous devons être rassasiés, c’est la faim de Dieu, et que Jésus est
celui qui nous rassasie. La faim, la soif, les petits soucis que nous pouvons
rencontrer durant notre vie doivent nous apprendre à voir au-delà de ces réalités
terrestres les réalités éternelles. Elles seules doivent occuper notre esprit. C’est
ce à quoi nous invite Paul quand il nous dit : Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre
pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau. Le nécessaire, c’est peut-être de manger ;
mais l’urgent, c’est d’être au Christ qui nous donne tout, et de vivre selon
son enseignement !
Mann
hou ? Qu’est-ce que c’est ? interrogeait jadis le peuple, découvrant
la manne recouvrant le campement. Mann hou ? Qu’est-ce que c’est ? Nous
pouvons pareillement nous interroger sur cette qualité de disciple que nous
devons approfondir pour ne pas être accablés par la faim spirituelle qui
dévaste notre époque. Que la célébration de cette eucharistie nous fasse entrer
toujours plus dans la compréhension de notre foi et la découverte de ce que Dieu
attend de nous ; que le pain partagé nous donne la force de l’accomplir et
nous ouvre au salut éternel. Amen.
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