S’ils avaient su jusqu’où Jésus les
emmèneraient dans la réflexion, je doute qu’ils eussent pris le risque de courir
après lui pour lui redemander du pain, vous savez, juste après la
multiplication des pains sur le bord du lac de Tibériade. Cela fait quelques
semaines maintenant que nous assistons à l’enseignement de Jésus sur le pain de
vie. Et plus le temps passe, plus l’incompréhension s’installe et plus
l’opposition grandit. Nous avons entendu le reproche du jour : Comment celui-là peut-il nous donner sa
chair à manger ? Dimanche dernier déjà, nous avions constaté une
impossibilité pour les gens de comprendre Jésus : elle reposait sur le
fait que ses adversaires pensaient connaître Jésus. Ce dimanche, nous
découvrons une deuxième impossibilité fondamentale : elle repose sur le
fait que ce discours de Jésus est tenu avant sa mort et sa résurrection. Or, il
fait tout entier référence à l’événement de Pâques, c’est-à-dire à sa mort et à
sa résurrection. Comment ceux qui s’affrontent avec Jésus pourraient-ils
comprendre un argumentaire qui concerne quelque chose qui n’a pas encore eu
lieu ?
Ecoutons à nouveau l’affirmation de
Jésus au début de notre page d’évangile : le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde.
Notez bien le futur : que je donnerai
et non que je donne maintenant ! Comme le souligne le pape Benoît XVI dans
son livre Jésus de Nazareth, je le
cite : Au-delà de l’acte de
l’incarnation, ce mot suggère son but profond et sa dernière réalisation :
le fait que Jésus se donne jusque dans la mort et dans le mystère de la Croix.
Cela se manifeste encore plus clairement dans le verset 53 où le Seigneur
précise qu’il nous donne son sang à « boire ». Ce mot nous renvoie
clairement à l’Eucharistie, mais ici apparaît surtout le sacrifice qui la
fonde, le sacrifice de Jésus. Pour nous, Jésus verse son sang ; sortant
pour ainsi dire de lui-même, il « s’écoule », il se donne à nous. C’est
donc bien à la lumière de Pâques que nous devons et pouvons comprendre ce long
discours qui nous occupe depuis plusieurs dimanches. Il s’agit d’accepter que
la mort de Jésus sur la Croix ne soit pas un accident de l’Histoire, mais bien
un acte voulu et assumé par Jésus pour que les hommes aient la vie ; pour
que tous les hommes aient la vie, et
pas seulement ceux qui ont vécu à l’époque de Jésus. Il s’agit d’accepter que
ce sacrifice, réalisé une fois pour toute à Jérusalem, quand Ponce Pilate était
gouverneur de Judée, est actualisé, rendu contemporain des hommes et des femmes
qui célèbrent l’Eucharistie. Ce sacrifice de Jésus nous est rendu contemporain
ce matin, et le pain consacré, auquel nous communierons dans un instant, est
bien le Corps du Christ livré, vrai pain descendu du ciel et offert pour notre
salut.
Lorsque nous parlons de
l’Eucharistie, lorsque nous vivons une Eucharistie, il nous faut alors admettre
que ce sacrement est à la fois le mémorial du dernier repas de Jésus et le
mémorial du sacrifice de Jésus sur la Croix. L’autel est à la fois la table
autour de laquelle Dieu rassemble son peuple et l’autel du sacrifice sur lequel
son Fils s’offre en victime pour notre salut. Le pain et le vin consacrés sont
l’aliment donné par Dieu en nourriture, et le Corps livré et le Sang versé de son
Fils sur la Croix. Lorsque nous venons célébrer l’Eucharistie, nous ne nous
rassemblons pas pour le repas hebdomadaire du club des amis de Jésus :
nous venons communier à la vie de Jésus pour qu’elle fasse grandir la nôtre et
la mène à son achèvement. Nous ne venons pas ici parce que nous avons vu de la
lumière ; nous ne venons pas ici parce que nous n’avions rien de mieux à
faire ce matin. Nous venons ici, semaine après semaine, à la rencontre du
Christ qui se livre à nous à la table de la Parole et à la table de
l’Eucharistie. Il se donne tout entier à nous pour que nous soyons tout entier
à lui. La préface que nous entendrons tout à l’heure, celle du Jeudi Saint,
résume admirablement les choses : C’est
lui [Jésus] le prêtre éternel et véritable, qui apprit à ses disciples comment
perpétuer son sacrifice ; il s’est offert à toi en victime pour notre
salut ; il nous a prescrit d’accomplir après lui cette offrande pour
célébrer son mémorial. Quand nous mangeons sa chair immolée pour nous, nous
sommes fortifiés ; quand nous buvons son sang versé pour nous, nous sommes
purifiés. A la question posée par la foule : Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ?, il
nous faut désormais répondre : en se livrant totalement à nous sur la
Croix et en nous offrant le sacrement de l’Eucharistie en mémorial de son
sacrifice. Ici, chaque dimanche, tout est dit ; ici, chaque dimanche, tout
est donné ; ici, chaque dimanche, nous puisons la force et la vie
nécessaire pour la semaine à venir, car Jésus est notre force et notre vie, et
il s’offre toujours encore à nous. Nous ne manquerons jamais de cet aliment du
Salut parce que nous ne manquerons jamais de la présence du Christ, mort et
ressuscité pour notre vie.
Ayant entendu tout cela, ayons ainsi
une plus grande conscience de ce qui se joue chaque dimanche. Ayons de plus en
plus conscience de l’importance de notre présence au rassemblement hebdomadaire
des chrétiens. Certes, nous pouvons penser à Jésus et prier Jésus ailleurs que
dans l’eucharistie. Mais ce n’est qu’au cours de l’Eucharistie que je peux
réellement communier à sa vie, comprendre sa Parole et recevoir de lui le Pain
vivant descendu du ciel. Il n’y a que là, au cœur du sacrement de
l’Eucharistie, que la totalité du Christ nous est donnée ; il n’y a que là
que sa vie peut jaillir en nous en source vivifiante. Accueillons ce don avec
reconnaissance en y participant autant que faire se peut. Amen.
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