Il faut avoir une vue d’ensemble sur
l’Evangile de Marc pour comprendre à quel point le passage d’évangile que nous
venons d’entendre est singulier et important. En fait, il est le moment clé de
l’œuvre de Marc, celui vers qui tend toute la première partie et qui déclenche
la seconde. Et nous sommes mis en demeure, tout comme les disciples
aujourd’hui, de dire ce que nous avons compris de Jésus, à ce moment précis de
l’histoire, et invités à entendre ce que Jésus dit de lui et de son avenir.
Si, en rentrant chez vous, vous prenez
votre bible et parcourez l’évangile de Marc en entier, vous verrez que tous les
signes que Jésus a posés jusque là devaient permettre à Pierre de faire sa
profession de foi : Tu es le Christ.
Et si vous vous souvenez du début de l’Evangile de Marc, vous comprendrez
que cette affirmation de Pierre reprend l’affirmation de l’évangéliste faite
dans le titre même de son œuvre : Commencement
de l’Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu. En fait, comme dans
l’excellente série Columbo, nous
savons tout dès le début. Marc dit clairement qui est ce Jésus dont va parler
son œuvre, comme un épisode de Columbo commence toujours par nous montrer le
meurtrier. Le but des épisodes de la série policière est le même que le but de
Marc dans son évangile : faire comprendre à celui qui regarde ou qui lit,
comment on arrive à découvrir par l’expérience, par la déduction, ce qui est
évident dès le départ. Dans la série policière, nous relevons avec l’inspecteur
à l’imperméable tous les indices qui vont finir par pointer du doigt le
coupable, comme dans l’Evangile, nous découvrons avec les Apôtres tous les
indices qui vont mener Pierre à affirmer : Tu es le Christ dans un premier temps, avant de nous le faire
comprendre totalement au pied de la croix et de pouvoir l’affirmer avec le
centurion romain : Vraiment,
celui-ci était Fils de Dieu !
Les mots de Pierre ne lui viennent pas à
la bouche par hasard. Ils s’imposent à lui, après tout ce qu’il a vu et
entendu. Et c’est normal, parce que tout l’évangile de Marc tourne autour de
cette question : Qui est
Jésus ? En lisant cet évangile, le lecteur est provoqué par cette
question à chaque page. Et chaque fois que quelqu’un (même les démons) éclaire
la réponse à la question, Jésus ordonne le silence. Et nous comprenons
aujourd’hui pourquoi ce silence est imposé : parce qu’il n’est pas encore
temps de révéler qui est Jésus. La réponse véritable ne peut pas jaillir après
un enseignement, ni même après un miracle de Jésus. La réponse véritable ne
peut jaillir qu’à la fin de sa vie, au pied de la croix. Observez ce qui se
passe dans l’épisode de ce dimanche : Pierre proclame que Jésus est le Christ ;
et il a raison. Mais quand Jésus annonce pour la première fois sa Passion,
Pierre se mit à lui faire de vifs
reproches. Il n’est pas possible pour lui que le Christ, l’Envoyé de Dieu,
souffrît la Passion ! C’est totalement hors de propos ! Sa réaction
est naturelle. Il n’a pas compris l’ordre de se taire que Jésus a donné sitôt
sa profession de foi posée. Ce que Pierre a affirmé, personne ne peut le
comprendre de manière juste à ce moment précis de l’histoire. Et nous ne devons
pas, dans un premier temps, lire cette page autrement que comme un premier
lecteur qui ne connaît rien à Jésus, ni comprendre plus que ce qu’à compris
Pierre à l’époque. Pour bien méditer cette page, il nous faut oublier, durant
le temps de compréhension du texte, que nous connaissons la fin de l’histoire
de Jésus. Marc nous invite à avancer avec les Douze dans la découverte de
Jésus.
Si nous allons trop vite, nous ne pourrons
pas saisir vraiment ce que Jésus dit quand il
commence à enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup,
qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il
soit tué, et que trois jours après, il ressuscite. Nous le savons parce que
nous vivons après Pâques. Mais pour quelqu’un qui commence à découvrir qui est
Jésus, pour quelqu’un pour qui Pâques ne représente encore rien, les
affirmations de Jésus, à ce moment précis de l’histoire, sont d’une violence et
d’une nouveauté inouïe ! Qui peut sincèrement imaginer à ce moment-là que celui
qui a fait tant de bien, posé tant de miracles et parle aussi bien de Dieu, qui
peut raisonnablement penser qu’il sera mis à mort à cause de cela par ses
adversaires ? Qu’il ait des adversaires, c’est une chose : tout homme
qui a quelques idées a forcément contre lui ceux qui ont les mêmes mais n’ont
pas osé les exprimer, plus ceux qui ont les idées contraires et se sentent mis
en danger, sans compter l’immense majorité de ceux qui sont sans opinion et se
laissent retourner par celui qui crie le plus fort. Mais de là à se faire tuer,
quand même ! Nous vivons dans un monde civilisé, c’est bien connu. En
annonçant pour la première fois sa Passion, Jésus vient nous dire qu’il y a un
horizon plus grand que les miracles qu’il pose et l’enseignement qu’il donne.
Tout cela doit nous mener à accompagner Jésus jusqu’au bout, jusqu’à la croix,
parce que c’est là, et seulement là, que tout prendra sens. Il nous faut
accepter la violence des mots de Jésus et accepter humblement de le suivre pour
ne pas faire de lui le gourou d’un groupe religieux de plus. Si nous voulons
vraiment reconnaître en lui le Sauveur du monde, il nous faudra, comme Pierre
et ses compagnons, entrer dans les
pensées de Dieu, et non rester dans celles
des hommes.
La moitié du chemin est faite puisque nous
sommes au point de bascule : nous avons les premiers éléments pour
comprendre que Jésus est du côté de Dieu, entièrement, définitivement. Avec
Pierre, nous pouvons affirmer au sujet de Jésus qu’il est le Christ. Il nous faut maintenant entrer dans la compréhension de
notre affirmation, et nous ne pourrons pas le faire si nous refusons que Dieu ouvre nos oreilles ; nous ne
pourrons pas le faire si nous gardons Jésus à hauteur d’homme. Il nous faut
accepter toutes les conséquences de notre affirmation et suivre Jésus là où
Dieu lui-même le conduit, même si nous ne comprenons pas tout. Ce n’est pas le
moment de philosopher sur Jésus ; c’est le moment de le suivre encore,
dans la confiance et l’humilité, sûrs que nous n’avons pas encore tout compris
et que Dieu lui-même a encore beaucoup de choses à nous apprendre sur son
dessein de salut. Amen.
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