Après avoir écouté la Parole de Dieu proposée
par l’Eglise en ce 24ème dimanche du temps ordinaire, une question
me vient : Dieu est-il bien raisonnable ? Car enfin, chacun des textes
entendus, nous montre un Dieu qui est tout, sauf raisonnable.
L’extrait du Livre de l’Exode en est un
bon exemple. Moïse s’attarde sur la montagne avec Dieu, et le peuple, déjà, se
détourne de la conduite attendue. C’est l’épisode bien connu du veau d’or qui
entraîne la colère de Dieu, colère légitime s’il en est. Pourtant, est-ce
raisonnable de se mettre en colère, en comptant secrètement sur la bonté de
Moïse, pour l’apaiser ? Parce qu’ils se connaissent bien, ces deux-là,
Moïse et Dieu, à force de discuter ensemble. Moïse sait l’amour de Dieu pour ce
peuple qu’il a fait sortir du pays d’Egypte par [sa] grande force et [sa]
main puissante, et il ne se gêne pas pour le lui rappeler. Et Dieu connaît
son serviteur Moïse et son attachement à ce peuple qu’il a accepté de guider
sous sa conduite. Ce petit jeu : Retiens-moi,
je vais faire un malheur ! n’a
d’autre raison d’être que de nous faire prendre conscience de tout ce que Dieu fait
pour nous. C’est l’occasion pour Moïse de redire les merveilles que Dieu a
faites pour ce peuple à la nuque
raide ; c’est l’occasion pour
Moïse de se situer lui-aussi, avec ce peuple, dans cette Alliance faite par Dieu
avec Abraham, Isaac et Israël. Certes, Dieu pourrait faire surgir
du désert un nouveau peuple après avoir détruit celui-ci ; mais n’y a-t-il
pas plus de grandeur à pardonner et à continuer de travailler le cœur de ce
peuple pour qu’il soit toujours plus acquis à Dieu ? Je ne sais pas si Moïse est plus raisonnable
que Dieu ; mais il est certainement, à ce moment de l’histoire, le plus raisonné.
Et Dieu se rend aux arguments de son serviteur : il renonce au mal qu’il
avait voulu faire à son peuple.
La leçon semble avoir portée. Lorsque nous
relisons Paul dans sa lettre à Timothée, nous constatons l’amour permanent de Dieu
pour les hommes, puisqu’il n’a pas hésité à envoyer le Christ Jésus dans le
monde pour sauver les hommes. Mais est-ce bien raisonnable ? Est-ce
raisonnable de demander le sacrifice du Fils aimant et aimé pour sauver ces
hommes qui, comme le peuple que Moïse conduisait au désert, ont la nuque
raide ? Mesurons-nous, dans le témoignage de Paul, l’immensité de l’amour
de Dieu pour nous, amour manifesté dans la mort et la résurrection de Jésus ?
Cet amour est-il bien raisonnable ? L’amour que Dieu porte à chacun de
nous est-il raisonnable ? Heureusement que non, de notre point de vue, sinon
nous serions encore à attendre un signe du salut. Sauvés, nous le sommes, par
ce fils qui est venu dans le monde faire miséricorde même à ceux
qui sont blasphémateurs, persécuteurs, violents. Il fait miséricorde
même au pire des pécheurs pour donner un exemple à ceux qui devaient croire
en lui. C’est sans doute déraisonnable, mais Dieu ne recule devant rien
pour nous sauver.
Relisons alors les paraboles entendues
dans l’évangile de Luc. Il est complètement déraisonnable celui qui
laisse, dans le désert, ses quatre-vingt-dix-neuf brebis pour s’en aller
chercher l’unique qui s’était perdue. Elles seraient à l’abri de la bergerie,
je ne dis pas ; je pourrais comprendre. Mais les laisser, en plein désert,
à la merci des bêtes sauvages, pour une qui n’a pas pu suivre, cela me semble déraisonnable.
Et pourtant, c’est la conduite de Dieu à notre égard, chaque fois que nous nous
éloignons du troupeau. Il vient nous rechercher, il vient nous prendre sur ces
épaules, il n’a de cesse de nous retrouver. Il est déraisonnable aussi ce père qui, pour
accéder au souhait de son plus jeune, se défait de la moitié de ses biens,
biens que ce fils s’empresse de dépenser à tort et à travers. Il est tout aussi
déraisonnable lorsqu’il guette quotidiennement le retour de ce fils dépensier. Il
est tout aussi déraisonnable, l’aîné nous le rappelle, lorsqu’il fait tuer le
veau gras pour ce fils revenu. Mais il est tout aussi déraisonnable lorsqu’il
reprend ce fils ainé qui ne comprend rien à son attitude et qui se révèle
incapable de se réjouir avec ce père qui n’aura plus besoin de guetter chaque
jour le retour du prodigue. Et pourtant, s’il ne l’était, déraisonnable, il n’y
aurait pour nous aucun avenir, il n’y aurait pour nous aucune espérance. Car nous
sommes cette brebis perdue, nous sommes ce fils plus jeune qui demande sa part
d’héritage, nous sommes ce fils ainé, sûr de son bon droit à se mettre en
colère contre son frère et contre son père. Et nous sommes tous, comme le
rappelle si bien Paul, le premier des pécheurs à qui il est fait miséricorde.
Si Dieu n’était pas déraisonnable, nous ne
serions pas sauvés. Si Dieu n’était pas déraisonnable, nous n’aurions pas d’autre
alternative que d’être éternellement parfaits. Mais si Dieu est déraisonnable
dans sa capacité à nous aimer, ne devenons pas déraisonnables à notre
tour. L’immense amour de Dieu pour nous n’est pas un blanc-seing pour
persévérer dans le mal. Entrons en chemin de conversion, apprenons de l’amour
de Dieu à grandir dans cette sainteté et cette vie éternelle qu’il nous offre
par la mort et la résurrection de Jésus. A l’amour déraisonnable de Dieu,
répondons par une vie raisonnée, une vie à la mesure de cet amour. Nous contribuerons
ainsi à la joie du ciel. Amen.
(Tableau de Sieger KÖDER, le Bon Pasteur)
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