Je ne sais pas si vous y avez été sensibles comme moi, mais il y a comme une contradiction entre la première lecture et l’évangile de ce dimanche. Une contradiction due à la différence d’attitude entre Dieu et Jésus. Quelque chose semble opposer les deux textes ; quelque chose semble opposer Dieu qui parle dans la première lecture, et Jésus qui parle dans l’évangile. Je m’explique.
Et c’est là que peut apparaître une contradiction avec l’évangile de ce dimanche. Devant le constat fait par les Apôtres (la foule est trop nombreuse, il faut la renvoyer dans les villages alentours pour que ceux qui la composent puissent avoir à manger), devant ce constat donc, Jésus refuse et invite ses Apôtres à donner eux-mêmes à manger à la foule. Là, devant l’urgence, Dieu ne régale plus ! Imaginez la tête des Douze : ils n’ont que cinq pains et deux poissons. Autant dire que cela ne suffira peut-être même pas pour eux et Jésus. Alors que du temps du prophète, Dieu disait : Venez, voilà que Jésus dit : débrouillez-vous ! C’est du moins ce que nous pouvons comprendre à travers ce : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ils étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants ! Vous doublez au moins le nombre de bouches à nourrir. Je laisse les bonnes cuisinières et les bons cuisiniers de l’assemblée me dire comment ils font avec cinq pains et deux poissons. A moins que nous n’ayons mal compris Jésus et mal compris le texte.
Il y a une différence de situation entre l’époque d’Isaïe et l’époque de Jésus. A l’époque d’Isaïe, il fallait repeupler Jérusalem avec le peuple resté fidèle malgré l’exil à Babylone. En invitant son peuple à rentrer dans la ville de David, Dieu invite son peuple à une fidélité renouvelée à l’Alliance éternelle qui avait été oubliée quelques années avant. Quand Jésus paraît, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre, une nouvelle alliance qui commence, une alliance qui s’adresse à tous les hommes et dont les Apôtres (ceux qui sont fidèles) ont à témoigner. C’est bien à eux qu’il reviendra d’aimer et d’inviter les peuples à la table du Seigneur. C’est bien à nous, fidèles baptisés, qu’il revient d’inviter la foule qui a faim et soif ; c’est bien à nous, baptisés, de partager avec eux le vin de l’amour de Jésus et le lait de sa Parole. Nous les avons reçus gratuitement, comme jadis le peuple dont parle Isaïe. L’amour du Christ et l’enseignement divin ne nous ont pas été donnés pour que nous les conservions, mais pour que nous les partagions, dans l’esprit de Jésus. Ces paroles bibliques peuvent nous sembler n’être que peu de choses (cinq pains et deux poissons), mais c’est tout ce que nous avons, avec en plus la grâce de la présence de Jésus et de son lien si particulier à celui que nous appelons Dieu et qu’il appelle son Père. Jésus est la Parole de Dieu à l’œuvre ; en Jésus, est tout l’amour de Dieu pour les hommes à qui il a donné vie. Le peu que nous avons, multiplié par la puissance de vie et d’amour de Jésus, suffira toujours à nourrir les foules affamées de vérité, d’amour, de justice, de liberté. Ce pain-là ne fera jamais défaut tant que nous accueillerons dans notre vie les grâces que Dieu nous accorde.
A nous il dit, comme au temps du prophète Isaïe : Venez acheter et consommer, sans argent et sans rien payer. Ayant bénéficiés des largesses de Dieu, nous sommes invités alors par Jésus, à donner nous-mêmes à manger à ceux qui viennent vers lui sans trop savoir qui il est. Il sera toujours avec nous pour que nos pauvres paroles reflètent la richesse de sa Parole vivante et éternelle, pour que notre pauvre amour reflète l’immense amour de Dieu. Il sera toujours avec nous pour multiplier à l’infini ce que nous voudrons bien partager de son enseignement et de son amour. Il n’y a pas de contradiction entre Isaïe et l’évangile ; il y a continuité, accomplissement à travers nous, dans la puissance du Ressuscité. Ayons confiance en nous ; ayons confiance en la présence éternelle et véritable de Jésus à nos côtés ; et les foules qui viennent vers Jésus pourront encore longtemps être rassasiées. Il ne faut pas plus qu’un peu d’amour et une parole fraternelle pour que les hommes soient rassasiés, du moment que nous présentions cet amour et cette parole à Jésus et que Jésus les offre à son Père. Tout devient possible : osons cet amour, osons cette parole. Amen.
(Tableau de Yvette METZ, collection Les enfants d'Abraham)
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