Pourquoi tant de haine ?
Je dois le reconnaître : j’ai un peu de mal avec cette page d’évangile. Je n’arrive pas à me convaincre que ce sont les auditeurs de Jésus qui sont les plus méchants. Je n’arrive pas davantage à comprendre l’attitude de Jésus, chez lui, dans la synagogue de Nazareth qui l’a vu grandir et franchir les étapes religieuses de sa vie de jeune juif. Cette anecdote rapportée par Luc me laisse un goût amer de « Je t’aime, moi non plus ». En tous les cas, je me dis que c’est un beau gâchis !
Ce que nous avons entendu, c’est la suite immédiate de la page d’Evangile de dimanche dernier. D’ailleurs, le rappel de la finale du texte entendu dimanche dernier nous le fait bien comprendre. Nous sommes toujours dans la synagogue de Nazareth, au moment où Jésus commentait le passage du Livre du prophète Isaïe, en déclarant : ‘Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre’. La nouveauté aujourd’hui, c’est la suite. Luc ajoute que tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : ‘N’est-ce pas là le fils de Joseph ?’ Rien de bien méchant ; on peut même reconnaître dans cette question le fait que Jésus est encore connu dans la ville où il a grandi. Il n’a pas été oublié par ceux qu’il fréquentait avant de commencer sa mission. Mais alors, comment passe-t-on de cette question d’étonnement à cette finale : Tous devinrent furieux, ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. Pourquoi tant de haine subitement alors qu’ils venaient juste de s’étonner des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche ? Je n’ai pas d’explication rationnelle, immédiatement compréhensible par tous !
Je m’interroge alors un peu plus : pourquoi Jésus ne pouvait-il pas répondre simplement à la question qui brûlait toutes les lèvres (N’est-ce pas là le fils de Joseph ?) et qui ne méritait en réponse qu’un : « oui, c’est bien moi ? » Il n’y a pas là de quoi fouetter un chat, encore moins de quoi précipiter quelqu’un d’une colline dans le vide. Mais voilà, en réponse aux interrogations, Jésus dénonce une attitude qui ne convient pas et qu’il prête à ces auditeurs : celle de faire de lui un petit singe savant qui ferait bien de faire chez lui les signes qu’il a fait à Capharnaüm, et dont les Nazaréens ont entendu parler. Sûrement vous allez me dire : ‘Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine’. Est-ce bien cela qu’attendait les habitants de Nazareth ? Et si oui, est-ce si grave, docteur, de vouloir ce que les autres ont eu ? Était-il utile que Jésus rajoute ces rappels de l’histoire du peuple juif au temps d’Elie et d’Elisée, quand Dieu avait envoyé ses prophètes vers des païens pour les secourir, et non vers des gens de son peuple ? Et dans l’affirmative, cela valait-il la colère des auditeurs de Jésus au point de vouloir déjà le tuer ? En quoi ces faits avérés d’une histoire commune peuvent-ils provoquer une telle colère qu’elle les conduirait au meurtre ? Il y a quelque chose qui ne tient pas la route. Alors qu’allons-nous faire ? Nous dire qu’il aurait fallu prêcher sur un des autres textes entendus aujourd’hui, Paul au hasard qui nous parle si bien de l’amour ? N’est-ce pas un peu facile de contourner la difficulté ? Si cette page d’évangile existe, si elle a été retenue au moment de l’établissement du lectionnaire, c’est bien parce que quelqu’un pensait que cela pourrait nourrir notre foi ! En quoi ?
Ce que cette page nous fait d’abord comprendre, c’est qu’il nous faut renoncer à voir en Jésus un magicien qui va faire pour nous des petits tours de passe-passe, guérir nos mamies et papis, nous faire réussir sans efforts de notre part, juste parce que nous lui aurions adressé une prière. Et ce n’est pas parce qu’il a fait quelque chose de bien pour votre voisin que vous détestez, qu’il est tenu de faire quelque chose pour vous. Les paroles de grâce qui sortent de sa bouche doivent nous suffire et nourrir plus sûrement notre foi que tous les signes qu’il peut bien poser.
Elle nous fait comprendre aussi qu’il
y aura des paroles de Jésus qui ne nous plairont
pas toujours. Il n’est venu ni
pour faire ce que nous voudrions, ni pour dire ce que nous aimerions entendre.
Il est venu pour faire la volonté de Dieu et répandre sa Parole. Quelquefois
cela nous plaira ; quelquefois cela nous bousculera, voire nous déplaira. Ce
n’en sera pas moins la Parole de Dieu pour nous. Encore une fois, n’attendons
pas de Dieu qu’il dise ce que nous aimerions entendre. Dieu n’a qu’une Parole,
qu’elle nous plaise ou non ; et c’est à nous de l’accueillir… ou non. Mais
cela, c’est notre histoire !
Elle nous fait comprendre enfin que nous ne pouvons pas mettre la main sur Jésus et disposer de lui. On ne se débarrasse aussi facilement de lui que cela. Jésus ira toujours son chemin au milieu de nous. C’est à nous de nous adapter à lui ; c’est à nous de nous adapter à Dieu et non pas l’inverse. Dieu n’a pas à se convertir à l’homme ; c’est à l’homme de se convertir à Dieu. Et le fait d’être du clan de Jésus, de sa ville, de sa famille, ne change rien à l’histoire. Il ne nous doit pas plus à nous qui sommes chrétiens, qu’il ne doit aux autres qui ne le sont pas !
Avant de suivre davantage Jésus tel
que Luc veut nous le faire découvrir, il fallait entendre cette page pour que
nous nous en souvenions, si d’aventure il y avait, dans la suite, des moments
qui nous plaisent moins, voire qui nous heurtent. Nous allons suivre, avec Luc,
Jésus qui fait ce que le Père attend de lui, dans la puissance de son Esprit. A
nous de nous y adapter ; à nous de nous convertir à ce que l’Esprit veut,
pour notre bien, pour le bien de l’humanité. Amen.