Une expression paradoxale ou une réalité ?
(Tableau d'Arcabas)
La croix glorieuse : n’est-ce
pas là une curieuse expression, voire un paradoxe ? Comment un instrument
de torture et de mort peut-il être appelé « glorieux » ?
Aurions-nous perdu le sens de la décence la plus élémentaire ? A vue
seulement humaine, la question se pose effectivement ; mais pour celui qui
croit au Christ, mort et ressuscité, cette expression a du sens, et la croix,
source d’humiliation et de mort dans l’empire romain, devient source de vie
éternelle.
La liturgie de cette fête nous a
fait prier ainsi au début de notre eucharistie : Seigneur Dieu, tu as
voulu qu’en acceptant la croix, ton Fils unique sauve l’humanité ; nous
t’en prions : fais qu’ayant connu dès ici-bas ce mystère, nous obtenions
au ciel les fruits de la rédemption. En une seule phrase tout est dit, tout
devient clair. Et d’abord que c’est un grand mystère ! Pouvons-nous
comprendre que quelqu’un accepte de mourir en croix pour notre
salut ? Quelqu’un qui ne nous a pas connu, comme nous pouvons nous
connaître les uns les autres ! Ne faudrait-il pas, pour comprendre réellement
ce mystère, nous acceptions nous-mêmes de mourir douloureusement pour
des étrangers, pour des gens qui nous auraient reniés, trahis ?
Aurions-nous fait ce que le Christ a accepté de faire pour nous ?
Je n’en suis pas sûr. Mais ce que dont je suis sûr, c’est que le Christ l’a
fait pour moi, pour vous, pour la multitude comme le disent les paroles
de la consécration. Jésus, le Fils unique de Dieu, a accepté la croix
pour nous sauver. Réaliser cela, c’est réaliser aussi combien il nous a
aimés à ce moment-là, et combien il nous aime toujours. Parce que voyant cette
humanité, pour le salut de laquelle il est mort, continuer à se battre, à vivre
loin de lui, à lui rendre si mal l’amour qu’il nous a donné, il n’est jamais
revenu sur son désir de nous sauver. Jamais il ne nous a dit : dis donc,
j’ai accepté la croix pour que tu sois sauvé, et c’est en vivant ainsi que tu
me remercies ? Son amour livré sur la croix nous reste acquis à
jamais ! C’est pour moi un mystère encore plus grand, moi à qui il arrive
de regretter le bien fait. Cet amour livré un jour pour toutes les générations
passées, présentes et à venir, ouvre le ciel à ceux qui croient un tel
amour possible, à ceux qui croient en l’œuvre de salut accomplie par Jésus.
La préface de la fête, au début de
la prière eucharistique, « enfoncera le clou » si j’ose dire, en
chantant l’œuvre que Dieu accomplit par son Fils. Il a permis que, de ce drame
d’un fils livré et mort en croix, la vie surgisse à nouveau là où la mort a
pris naissance. A ceux qui pourraient s’interroger sur ce que Dieu a fait
au moment où son Fils acceptait la croix, la réponse jaillit dans la
prière. Nous rendrons grâce à Dieu aujourd’hui car il a attaché au bois de
la croix le salut du genre humain permettant ainsi par le Christ, que
l’Ennemi, victorieux sur le bois [comprenons de la croix], fût à son
tour vaincu sur le bois. Dieu a laissé faire son amour et a poussé cet
amour jusqu’au bout. Puisque Jésus a accepté la croix, il transformera
la croix en y faisant mourir l’Ennemi avec son Fils. Ainsi quand il rendra
justice à l’amour du Fils pour son peuple en le ressuscitant, le monde sera
délivré de l’Ennemi, définitivement vaincu sur le bois de la croix. Là
où l’Ennemi semblait triompher, l’amour s’est montré plus rusé, plus puissant,
définitivement vainqueur. Aucune manifestation d’amour ne sera jamais plus
définitivement effacée par l’Ennemi. En Jésus, mort et ressuscité, l’Amour est
vainqueur, l’Amour est plus fort. C’est peut-être la grande leçon pour nous de
cette fête de la croix glorieuse. Ce signe de mort, devenu, par l’amour d’un
seul pour tous, signe de vie, nous indique que la vraie vie est dans l’amour
seulement. Celui qui veut vivre vraiment, qu’il commence par aimer simplement.
Alors le Christ pourra le conduire à la gloire de la résurrection
puisqu’il l’a racheté par le bois de la croix qui fait vivre. Nous
vivons tous grâce à la croix du Christ ; nous aimerons tous à cause de la
croix du Christ. Comme il nous a aimés, nous devons aimer ; c’est le
commandement qu’il a laissé à ceux qui se disent ses disciples. Est-il
seulement possible de ne pas répondre à un amour qui s’est livré tout entier,
jusqu’à la mort, pour notre vie ? Est-il seulement possible de ne pas
aimer à notre tour quand nous sommes aimés ainsi ?
A ceux qui s’interrogeraient encore
pour savoir qui est Dieu pour nous aimer ainsi, il n’est donné que le
signe de la croix du Christ. Là réside la preuve que Dieu nous aime. Là réside
la puissance de son amour. Là réside notre vie pour toute éternité. Elle est
glorieuse, la croix qui nous sauve par l’obéissance du Fils et par l’amour de
Dieu. Elle a vaincu la mort, elle nous ouvre les portes de la vie grâce à celui
qui l’a acceptée pour nous dire son amour absolu. Levons les yeux vers elle et
contemplons le prix versé pour notre salut. Amen.