L'enseignement du billet à Philémon
Onésime retourne auprès de Philémon avec la lettre de Paul entre ses mains -
Lettrine médiévale -The British Library © Creative Commons
Aurait-il pu faire mieux ? Aurait-il pu faire plus ? Celui dont je parle, c’est Paul, l’Apôtre des nations qui écrit à son ami Philémon au sujet d’Onésime, un esclave en fuite qui lui appartenait. Pourrions-nous faire mieux ? Pourrions-nous faire plus aujourd’hui ? Car enfin, c’est la même question qui se pose pour Paul et pour nous : quel impact avons-nous, ou voulons-nous avoir sur notre société ?
De nombreux commentateurs ont estimé par le passé que Paul aurait dû condamner l’esclavage et militer pour sa suppression, au nom de sa foi. Aurait-il pu le faire ? Non. Il se serait ridiculisé, et aurait ridiculisé la foi chrétienne naissante en essayant de le faire. Ce n’est pas, de sa part, un manque de courage politique, c’est juste du réalisme. Dans un monde où l’esclavage participe au système économique et social non seulement de l’empire romain mais de toutes les sociétés antiques, il n’est pas possible de faire déjà ce que la France ne fera que définitivement au 19ème siècle ! Paul le sait, il connaît trop bien son monde. Mais ce qu’il ne peut faire à un niveau global, il ne renonce pas à le faire à un niveau plus personnel dans un premier temps et au niveau ecclésial dans un second temps. C’est tout l’enjeu de ce petit billet à Philémon. En effet, cet esclave en fuite, il en fait son frère bien-aimé (comprenons bien qu’il l’a baptisé) parce que pour Paul, par le baptême, il n’y a plus d’esclave ou d’homme libre, car tous ne font plus qu’un en Christ (Ga 3, 28). Mais il ne s’arrête pas là ; il va au bout de ce qu’il peut faire. Le « propriétaire » de cet esclave est un chrétien, baptisé par Paul, lui aussi, et qui plus est son ami. Il lui renvoie donc Onésime avec ce petit billet pour qu’à son tour Philémon considère désormais cet homme non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé. Ce sera pour Paul et Philémon, le signe de leur communion. Grâce à Paul, les chrétiens de son temps auront appris que la foi au Christ entraine un changement de comportement, y compris dans les rapports sociaux. Nous ne savons pas l’impact de ce billet et de cette attitude fraternelle, mais je n’ai pas de doute qu’elle a fait des émules au sein de la communauté croyante. Quand tu ne peux pas changer le monde, commence par changer toi ; et peut-être que le monde changera.
Je vous parle de cela, parce que cette semaine, le journal La Croix publiait un article sur la présence des chrétiens dans le monde politique. A l’approche des mouvements de protestation promis pour cette semaine, il interrogeait sur l’engagement des chrétiens dans leur cité. La question vaut pour chacun de nous, que nous ayons prévu de nous lancer dans une carrière politique ou pas. Nous ne vivons pas en vase clos, nous participons à ce monde. Est-ce en voyeur ? en spectateur ? Sommes-nous attentifs à ce que vivent nos contemporains ? Sommes-nous responsables quand il nous est demandé un bulletin de vote ? Il est si facile de démolir, de hurler avec la meute ; mais qui pense à construire encore ? Qui pense encore à cette belle notion de « bien commun » ? D’un côté de l’échiquier politique est refusée une participation légèrement accrue aux finances publiques de ceux qui ont nettement plus que tous les autres et qui ont largement profité des crises sanitaires et sociales. De l’autre côté, on ne parle que de révolte, de renverser la table, voire de violence. Comment construire un vivre ensemble dans ces conditions ? Chrétiens, n’avons-nous pas une voie originale à proposer, faite d’écoute, d’un vrai respect, d’une envie de vivre ensemble sans que les uns aient trop pendant que les autres n’ont même pas le nécessaire pour vivre décemment ? Comme Paul à son époque, nous ne pesons plus bien lourds, mais nous pouvons commencer chez nous, entre voisins, entre frères en Christ. Sommes-nous propriétaires de logements que nous louons ? Avons-nous pensé à faire du loyer social pour réaffirmer que le logement est un droit plutôt que de nous aligner sans cesse sur des loyers élevés ? Sommes-nous patrons d’une entreprise ? Le bien-être de nos employés nous tient-il plus à cœur qu’un chiffre d’affaires très élevé ? Je ne dis pas qu’il faut négliger l’économique ; une entreprise en faillite n’aide personne ! Je dis juste que l’humain doit être notre première attention. Sommes-nous à un poste de responsabilité quelconque ? Ne faisons-nous du bien et ne veillons-nous que sur ceux qui nous apprécient, qui chantent nos louanges, ou savons-nous aussi veiller sur ceux qui ne partagent pas notre point de vue et reconnaître leurs capacités et leurs apports professionnels ?
Dans
son petit billet à Philémon, Paul nous dit clairement que le bien que nous ne
pouvons pas faire au niveau collectif parce que le monde n’est pas prêt, nous
pouvons le faire à un niveau personnel, là où nous avons le pouvoir de changer
les choses. Cela commence dans nos familles, dans notre travail, dans nos
relations avec nos voisins, dans nos communes. Petit pas après petit pas, nous
pouvons insuffler un esprit nouveau, une autre manière de regarder le monde,
une autre manière de considérer les hommes et les femmes de notre temps. Il ne
s’agit pas de refaire le monde chrétien ; il s’agit de montrer au monde
que les chrétiens ont une voie à proposer, qui ne repose ni sur l’humiliation
des adversaires, ni sur la destruction du monde dans lequel nous vivons, mais
sur sa conversion. Cette réalité porte un beau nom qui vient de notre foi et
que le monde politique s’est réapproprié sous la deuxième république mais sans
jamais hélas proposer un moyen de la vivre. Cette réalité porte le beau nom de
Fraternité. Elle seule peut humaniser notre monde ; elle seule peut nous
éviter le chaos ; elle seule peut changer les cœurs ; elle seule peut
permettre aux croyants de vivre une vraie sainteté. Avec le psalmiste, osons le
redire : Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble
et d'être unis ! (Ps 132,1) Amen.