Faire route avec Jésus pour apprendre la joie.
La mi-carême est passée, plus de la moitié du chemin est faite à la suite de Jésus. Nous avons appris avec lui à affronter le mal ; nous avons mieux découvert qui est Jésus et nous avons accepté de l’écouter ; dimanche dernier, il nous invitait à porter du fruit. Aujourd’hui, nous pouvons apprendre ce qu’est la vraie joie. Pour nous faire comprendre la joie, Jésus nous présente une parabole : celle d’un père qui a deux fils. Nous pouvons approcher ce mystère de la joie à partir de chaque personnage.
Commençons par le plus jeune des fils puisque c’est de lui que parle d’abord la parabole. Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. » Nous ne découvrons pas grand-chose de ce fils, si ce n’est que son père devait être riche, que lui-même ne manquait sans doute de rien. Nous découvrons surtout qu’il est aimé de son père au point que celui-ci répond à sa demande : Et le père leur partagea ses biens. Je suis toujours surpris par le sans gêne de ce fils qui demande à son père de se défaire de la moitié de sa fortune pour lui verser, par avance, sa part d’héritage. Ce fils met sa joie dans la possession et la jouissance, par avance, de ce qui ne devait être à lui qu’à la mort de son père. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit dans un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Ce jeune fils profite de la vie : voyage au bout du monde, vie de fête en fête. C’est la représentation la plus communément admise par les auditeurs de la parabole. Il a de l’argent, il en profite, sans se soucier du lendemain, sans se soucier surtout de son père. L’illusion de la joie ; l’illusion du bonheur : faire ce que l’on aime faire. Il a sans nul doute beaucoup d’amis, du moins tant que l’argent coule à flot. Mais vient un événement inattendu, qui va bouleverser sa vie, comme lui-même avait dû bouleverser la vie de son père quand il a demandé sa part d’héritage. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Vous remarquerez que le sort s’acharne toujours au mauvais moment : quand il n’a plus rien. Les amis qu’il avait acquis avec l’argent se sont évaporés ; il n’y a plus que lui, seul, et son ventre qui crie famine et qui va le pousser à réfléchir. Sa joie qui consistait à faire ce qu’il voulait faire n’est plus ; revient alors le souvenir d’une joie ancienne, à laquelle il avait renoncé : la joie de la maison de son père, la joie d’une vie de fils, la joie de ne manquer de rien. Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers. Ecoutez bien ce fils perdu : son ventre lui remet un peu de plomb dans la cervelle à défaut de pouvoir se remplir de nourriture. Sa joie sera de pouvoir être ouvrier chez son père et de manger à sa faim, plutôt que de rester un fils crève-la-faim à l’autre bout du monde. Sitôt réfléchi, sitôt exécuté : il se leva et s’en alla vers son père.
Parlons-en de ce père. Rien n’est vraiment dit de lui, de ce qu’il a pu vivre durant ce temps d’absence, mais tout nous permet de l’imaginer. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser. C’est bien du père que nous parle Jésus. Il nous laisse entendre que ce père, abandonné, a scruté chaque jour le retour de son benjamin. Il faut vraiment aimer quelqu’un pour le laisser partir et scruter son retour quotidiennement. Il faut vraiment aimer quelqu’un pour, l’apercevant de loin, aller sans attendre à sa rencontre, et sans attendre un mot d’explication ou d’excuse, se jeter à son cou et l’embrasser. Pouvons-nous seulement imaginer la joie de ce père qui retrouve ce fils pour lequel il a sacrifié la moitié de sa fortune ? Avait-il imaginé ce retour ? Peut-être. Avait-il échafaudé un discours pour le jour où il se retrouverait face à ce fils ? Qu’importe. Car quoi qu’il ait pu préparer, il ne s’attendait sans doute pas à ce qu’il voyait devant lui, un fils sans doute amaigri, pauvre, à peine reconnaissable. Mais le cœur d’un père ne se trompe pas ; un cœur de père aime, toujours, malgré tout. Le fils n’a pas le temps de dérouler tout ce qu’il avait imaginé. Pas le temps de laisser entendre qu’il trouverait sa joie s’il était embauché comme ouvrier. Le père dit à ses serviteurs : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. La voilà, la vraie joie. Elle jaillit spontanément devant l’inattendu, devant l’inespéré. Ce père pensait devoir faire le deuil de ce fils ; il laisse éclater sa joie avant même que le fils n’ait pu achever d’exprimer tout son remord. Il en refait un homme libre, un fils à part entière (bague au doigt et sandales aux pieds), et il organise une grande fête. Sa joie est contagieuse ; sa joie se doit d’être partagée. Par tous. Par tous ? Pas si sûr…
Souvenez-vous ; ce père avait deux fils. Et c’est de lui que va dépendre désormais la joie de ce père, la joie de cette parabole. Le fils ainé était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. La joie du père se fait entendre hors de la maison. Apprenant l’origine de ce débordement de joie, l’ainé ne semble pas touché, en tous les cas pas comme son père l’aurait espéré. Le fils aîné se mit en colère et il refusait d’entrer. Il refuse la joie de son père. Qu’il soit fâché contre son jeune frère, nous pouvons le comprendre ; qu’il refuse de partager la joie de son père, c’est autre chose. Et nous nous rendons compte que ni le jeune fils, ni le fils aîné, n’ont jamais pleinement mesuré la joie qu’ils avaient d’avoir un tel père. Le benjamin, en partant pour un pays lointain, a voulu s’émanciper de ce père, cherchant sa joie ailleurs que dans sa maison. L’aîné ne s’est jamais considéré comme fils de ce père qui les aime tous deux. La réponse qu’il oppose à l’insistance de son père pour qu’il entre dans sa joie, montre bien qu’il se voit plutôt comme un ouvrier de son père : il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Entendez son vocabulaire : service, ordre, attente d’une récompense. Est-ce là le vocabulaire de quelqu’un qui se sait fils ? Il a vécu ce que le jeune fils s’apprêtait à demander : être un ouvrier de son père. Aucun des fils de ce père ne se considère comme fils. S’il avait demandé un chevreau plutôt que de l’attendre comme une récompense, il l’aurait eu ; il aurait pu faire la fête avec ses amis plus d’une fois. L’exemple du benjamin qui avait reçu sa part de fortune aurait dû l’en convaincre depuis un moment. La joie des deux frères sera de se reconnaître fils du même père ; ce sera la condition à leur réconciliation.
C’est le père qui va remettre la
joie à sa vraie place : Toi, mon
enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait
festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est
revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Il replace l’aîné dans son rôle de fils qu’il
n’a jamais exercé. Il ne dit pas que le jeune fils avait raison de faire ce qu’il
a fait ; il ne dit même pas qu’il ne demandera pas d’explication. Il dit
que là, maintenant, tout de suite, il fallait faire la fête parce que son jeune
fils est revenu à la vie. A ce moment précis, rien d’autre ne compte. Pourquoi priver
le père de sa joie ? Cette joie du père, c’est la joie de Dieu quand l’un
de nous revient vers lui. C’est la joie de Dieu chaque fois que nous célébrons
la réconciliation. C’est la joie de Dieu parce qu’il nous aime. Je vous laisse
imaginer la joie de Dieu quand il nous voit vivre ce temps de carême comme un
temps où nous faisons effort pour nous rapprocher de lui, pour nous rapprocher
des autres, sans jugement, juste parce que nous nous savons aimés,
inconditionnellement, de notre Père qui est aux cieux. Si nous considérions n’être
que des ouvriers au service de Dieu, redécouvrons la joie qu’il y a à être des
fils pour lui. Là est notre vraie joie, parce que là, auprès de lui, est notre
vraie vie. Rien d’autre ne compte. Amen.