Premiers ou derniers : dans le royaume, tous pareils !
C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. Ainsi s’énonce la conclusion de la parabole que Jésus nous raconte en ce dimanche. Une parabole aux accents indubitablement politique, puisqu’elle dessine un vivre ensemble peu commun. Et sa conclusion ne manque pas de nous étonner. Pour bien comprendre, il me semble qu’il ne faut pas oublier pourquoi Jésus raconte cette parabole. Il ne nous parle pas d’abord de notre monde, il nous parle du royaume des cieux qui est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Et cela change tout, ou presque !
C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. Souvent, nous pensons que Jésus renverse la table et les valeurs. Nous comprenons alors que les premiers seront les derniers, et que les derniers seront les premiers, ce qui donne, par exemple, quelque chose du genre : tu étais devant la file, tu vas te mettre tout derrière ; tu étais tout derrière dans la file, va te mettre tout devant. Reconnaissons que cela ne nous arrange que lorsque l’on est tout derrière (sauf peut-être à l’église, où l’on aime bien être tout derrière sans que nous sachions trop pourquoi) ! Mais est-ce bien là ce que Jésus nous dit aujourd’hui ? Y aurait-il, dans le royaume des cieux, une prime à la paresse, au dernier de la classe, à celui qui ne fait aucun effort ? Ce n’est pas ce que dit cette parabole. Ce qu’elle nous dit, c’est que le maître traite pareillement les premiers et les derniers embauchés. Il n’enlève rien aux premiers qui ont reçu le salaire promis : il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée, une pièce d’argent. Il ne rajoute rien aux suivants à qui il a promis de donner ce qui est juste, c'est-à-dire un salaire pour leur travail. Et c’est bien ce qui arrive : chacun est payé selon ce qui a été convenu au départ, et que le maître traduit par une pièce d’argent pour tous. Le maître estime juste de donner à tous ce qu’il a promis aux premiers ; c’est son droit ! Dans le royaume des cieux, il n’y a pas de places de première classe ou de quinzième classe… Dans le royaume des cieux, il y a de la place pour tous ceux qui veulent bien travailler à la vigne du maître. Les derniers seront traités comme les premiers, et les premiers comme les derniers.
Certains pensent alors que cela change tout, parce que cela ne correspond pas à notre manière de faire ou de penser. Mais cela n’est pas nouveau. Déjà Isaïe, parlant du rapport entre Dieu et les hommes, rappelait que mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins. Il y a une approche radicalement différente. Là où l’homme fait des différences (parce qu’il faut tenir compte du degré de sympathie, du poids du jour, du temps passé à…), Dieu ne voit que des humains qu’il aime pareillement et qu’il entend accueillir pareillement dans le royaume des cieux. C’est nous qui avons imaginé que Dieu s’en tiendrait à nos représentations, et qu’il était bien mieux que là-bas, on reproduise l’ici-bas. D’autres avaient imaginé au contraire que là-bas serait l’exact contraire d’ici-bas, ce qui pouvait, pensaient-ils, faire accepter les différences jugées inévitables ; cela a donné des prédications du genre : souffrez maintenant, et en silence s’il vous plaît, et vous serez heureux après. On se console comme on peut ! Jésus dit non à ces deux représentations. Le royaume des cieux n’est ni un miroir de notre monde, ni sa copie inversée. Le royaume des cieux est quelque chose de neuf, une nouvelle manière de considérer les relations entre les hommes, une nouvelle manière de considérer les rapports avec Dieu. Dans le royaume des cieux, tu es invité à rejoindre la vigne du Seigneur. Dans le royaume des cieux, Dieu traite chacun avec justice, sans faire de différence entre les hommes. Dans le royaume des cieux, c’est la loi de Dieu qui s’applique, de Dieu qui est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait. Dans le royaume des cieux, la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres. Bref, dans le royaume des cieux, Dieu est chez lui et il y fait comme bon lui semble. A l’oublier, nous risquons d’être déçus et ingrats. Entendons la réponse du maître de la vigne à celui qui se rebiffe : Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?
Puisque nous sommes tous invités à œuvrer
pour le royaume des cieux, oublions nos conventions trop humaines,
entrons dans la manière d’être et de vivre du maître du domaine. Ne
reproduisons pas là-bas ce que nous dénonçons ici-bas. Entrons dans l’unique
manière de vivre qui permet à tout homme de se sentir frère, de se sentir aimé,
de se sentir respecter : celle que Dieu nous indique dans sa parole. Que la
fraternité universelle que l’Evangile de Jésus Christ nous propose ne soit pas
un doux rêve mais notre réalité. Qui a dit que nous ne pouvions pas commencer
ici-bas à vivre comme là-bas ? Le royaume des cieux peut commencer
dès maintenant, puisque le Christ a annoncé qu’il était déjà au milieu de
nous. Il tient à chacun de le vivre déjà. Amen.
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