Le pardon comme signe de notre humanité.
Faut-il vraiment insister encore sur l’impérieuse nécessité de pardonner toujours après avoir entendu Ben Sirac le Sage et Jésus ? Quelqu’un n’aurait-il pas vraiment compris que l’enjeu du pardon n’est rien de moins que notre salut, notre vie avec Dieu ? Car, pour le redire une fois de plus, si l’homme ne pardonne pas, Dieu ne le pardonnera pas davantage. Tel que nous aurons été avec les autres, tel sera Dieu avec nous ! Dur, dur, n’est-ce pas ! Nous connaissons dès lors la solution : sois bon avec les autres et Dieu sera bon avec toi. Certains penseront peut-être alors qu’il est plus facile de se débarrasser de Dieu, plutôt que de pardonner toujours et encore. Ne craignant plus Dieu, leur salut ne veut plus rien dire, et donc pas besoin de s’embarrasser de ce fardeau du pardon. Est-ce si sûr ?
Plus je vieillis, plus je me rends compte que le pardon est avant tout une expérience proprement humaine. C’est une ressource offerte à tout homme pour avoir une vie bonne. Que se passe-t-il quand un homme refuse de pardonner ? Il me semble que Ben Sirac est assez clair à ce sujet : il est envahi par la rancune et la colère, empli du désir de vengeance. Si vous avez connu ces sentiments, vous savez que ce sont là des sentiments et des désirs qui nous rongent de l’intérieur, que nous soyons croyants ou non. Pardonner ne devrait pas être vu comme un acte religieux d’abord, mais bien comme un acte profondément humain, qui contribue à notre bien-être personnel. Les récits mythologiques, les contes et légendes des peuples du monde sont remplis d’histoire de haine et de vengeance qui finissent mal à cause de l’incapacité à pardonner. Ne pas pardonner revient à s’enfermer dans le mal qui nous est fait ; c’est se laisser posséder par ce mal. Ne pas pardonner, c’est se refuser à soi-même la chance de pouvoir guérir du mal qui a été fait. La raison première du pardon devrait être le fait de vouloir aller mieux, de ne pas laisser le mal fait par un autre dominer toute notre vie. La parole du pardon, qu’elle soit donnée pour des raisons religieuses ou par humanité, est une parole qui libère celui qui pardonne, et provoque celui qui a fait le mal. Ce n’est jamais une parole innocente, sans conséquence. Qu’y a-t-il de plus puissant que de dire au malfaisant que ses actes et ses paroles n’ont aucune emprise durable sur notre existence, sur l’estime que nous pouvons avoir de nous-mêmes ? Le mal qui nous est fait, en acte ou en parole, vise toujours à nous rabaisser, à nier qui nous sommes. En pardonnant, nous reprenons le contrôle de notre existence. Le mal est toujours désarçonné par le pardon ; là où il pensait pouvoir se déchainer plus encore en réaction à une réponse violente de notre part, il est freiné par un rappel de notre humanité commune. L’animal en nous peut chercher à se venger, mais l’humain en nous se doit de pardonner. Ce n’est pas toujours immédiat ; quelquefois cela prend du temps, des années. Mais envisager le pardon, même à long terme, c’est conserver notre humanité, conserver ce qu’il y a de meilleur en nous. Le désir de vengeance, la soif de colère nous rabaisse au rang de celui qui nous fait du mal en défigurant notre humanité. L’humain, qu’il soit croyant ou non, n’a pas d’autre choix que le pardon s’il ne veut pas se détruire lui-même !
Si l’homme est croyant, l’obligation du pardon se fait plus pressante encore, non pas par peur de la réaction de Dieu à son égard, mais parce qu’il a la chance d’avoir dans sa vie la source de tout pardon. Tout pardon vient de Dieu qui nous aime. Puisqu’il aime l’homme, tous les hommes, en premier, je peux puiser à cette source d’amour et de pardon qui ne se tarit jamais. Et c’est ainsi que je deviens capable de pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois. Dès lors que je crois en Dieu, je sais que Dieu est avec le petit, le faible, le maltraité, l’opprimé. Je sais que je peux compter sur lui pour me donner sa force de pardon et la puissance de son amour. Il n’est pas l’épouvantail dont je dois avoir peur ; il est celui qui m’aide à rester humain en se tenant à mes côtés pour prononcer avec moi la parole de pardon nécessaire. En me rendant capable de pardonner comme lui seul sait pardonner, il me rend plus humain, donc plus conforme à ce qu’il a fait de moi quand il m’a appelé à la vie. Faut-il vraiment redire ici que nous sommes faits à l’image de Dieu ? Le pardon n’est donc pas hors de portée ; il est comme incrémenté en nous. Cela ne le rend pas plus facile, ni plus immédiat ; mais nous savons que la possibilité de pardonner est là, en nous, toujours, parce que nous sommes humains, parce que nous venons de Dieu. La possibilité de pardonner ne doit jamais nous quitter sous peine de perdre notre humanité. Si cela devait arriver, celui qui nous aura fait du mal nous aura réduit à être comme lui, malfaisant, privé d’humanité. Et cela porte un nom : c’est l’enfer !
Croyants en Dieu, reconnaissons la
grandeur de Dieu qui nous aime et nous pardonne. Croyants en Dieu, osons lui
demander la force du pardon et la puissance de son amour quand le mal se
déchaine contre nous. Restons fidèles à ce que nous sommes par le désir de Dieu :
des hommes et des femmes créés à son image, capables d’agir envers les autres
comme lui agit avec nous : avec tendresse et miséricorde, pardonnant
toutes nos offenses. AMEN.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire