La peur n'est jamais la solution.
Il y a très longtemps, au début de mon ministère, j’ai entendu une catéchiste dire à un enfant lors d’une journée de récollection : « si tu ne manges pas ta soupe, tu vas faire pleurer Jésus ! » Plus de trente ans après, je pensais que l’utilisation de la peur avait (enfin) disparu, du moins en Eglise. Je me dois de constater qu’il n’en est rien. Pour preuve, cette phrase entendue plus récemment : « il faudrait à nouveau prêcher la peur de l’enfer pour que les gens se convertissent ». Et cette autre phrase, entendue ce vendredi, rapportée dans le cadre de mon travail dans l’enseignement catholique, au sujet d’un prêtre qui fait peur aux gens de son entourage et qui affirme que « faire peur, ça a du bon ! » Relisant alors la première lecture de ce dimanche, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a encore du travail pour expliquer que la peur n’est jamais la solution, ni même un bien.
Dieu, parlant par son prophète Jérémie, est plutôt clair, non ? Je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées. Je les ramènerai dans leur enclos, elles seront fécondes et se multiplieront. Je susciterai pour elles des pasteurs qui les conduiront ; elles ne seront plus apeurées ni effrayées, et aucune ne sera perdue – oracle du Seigneur. Le prophète pouvait-il rapporter plus fidèlement l’intention et les sentiments du Seigneur ? Dieu ne veut pas faire peur ; il viendra au contraire chasser la peur de nos vies ; il viendra nous guider, nous rassembler pour que nous puissions vivre libres. La peur emprisonne ; la peur éloigne de Dieu ; la peur détruit la vie. Le psalmiste, en réponse à la lecture entendue, va dans le même sens quand il nous fait chanter : Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi ; ton bâton me guide et me rassure. Le bâton n’est pas fait pour frapper celui qui veut suivre Dieu, mais pour le défendre contre les forces obscures qui veulent le retenir loin de Dieu. N’agitons pas la peur comme le remède à nos églises vides ; n’agitons pas le bâton comme remède à nos manques de fraternité. Si tant d’hommes et de femmes se sont éloignés de l’Eglise, n’est-ce pas parce qu’elle a trop manié le bâton et la peur à certains moments de son histoire ?
Observez Jésus. Les foules se pressent autour de lui, ses disciples sont revenus de mission, et mentionne l’évangéliste Marc, ceux qui arrivaient et partaient étaient nombreux, et l’on n’avait même pas le temps de manger. Que fait Jésus pour avoir un temps avec ses Apôtres ? Il ne chasse personne, il ne fait peur à personne ; il emmène ses disciples en barque, plus loin, à l’écart. Et quand ils rejoignent la terre ferme, et que les gens, les ayant vus s’éloigner, les ont rejoints, il ne dit pas : Zut ! encore eux… mais il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement. De la tendresse pour ses disciples qu’il emmène ailleurs, pour qu’ils se reposent ; de la compassion pour la foule qui les attend. Rien qui ne fasse peur, rien qui n’indique même seulement un début d’irritation. Jésus n’est pas venu pour nous faire peur, mais pour nous rassurer, nous enseigner, nous sauver.
Paul, dans sa lettre aux Ephésiens, l’a bien compris, quand il explique l’œuvre de Jésus : Vous qui autrefois étiez loin, vous êtes devenus proches par le sang du Christ. C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine (ce qui fait peur) ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse (dont il fallait craindre de ne pas toujours les respecter toutes). A partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix (unité et réconciliation, toutes choses impossibles quand règne la peur) ; en sa personne, il a tué la haine. Et avec la haine, il a tué aussi la peur qui précède toujours la haine et la sert si bien. Nous ne pouvons pas justifier l’utilisation de la peur en Eglise ; nous ne pouvons pas estimer qu’un peu de peur, ça fait du bien. Seul l’amour touchera les cœurs ; seul l’amour convertira les esprits belliqueux ; seul l’amour nous fera vivre libre. Le salut obtenu par la croix du Christ en atteste largement.
Ne revenons pas à nos vieux démons ;
ne jouons pas avec la peur ; ne jouons pas de la peur des autres. C’est la
conversion que nous devons prêcher ; non pas en démontrant ce qu’elle nous
fait éviter, mais en précisant ce qu’elle nous fait gagner. Puisque, par la
Croix, le Christ a tué la haine, c’est bien l’amour que nous devons
vivre et partager, si nous voulons être ses disciples. Tout ce qui contraint l’homme,
tout ce que qui terrifie l’homme, n’est pas de Dieu et ne permet pas d’approcher
Dieu. Tout ce qui s’oppose à l’amour, n’est pas de Dieu et ne permet d’approcher
Dieu. Tout ce que ne mène pas à l’amour, n’est pas de Dieu et ne permet pas d’approcher
Dieu, car Dieu est amour. Pour obtenir le bien, ne prêchons pas le mal. Que
cela soit dit ; que cela soit su ; que cela soit vécu ; et le
monde trouvera auprès du Christ des raisons de vivre, d’espérer et d’aimer à
nouveau. Amen.
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