Il pensait réussir ; il sait désormais comment réussir.
Maître, que dois-je faire pour
avoir en héritage la vie éternelle ? C’est avec cette question qu’un
homme, un docteur de la Loi, veut mettre Jésus à l’épreuve. Et il
pensait réussir. Les Apôtres ont dû bien rire, eux qui cheminent avec Jésus
depuis quelque temps déjà et qui ont entendu Pierre déclarer que leur Maître
est le Christ, le Messie de Dieu. Comme s’il était possible de le piéger
avec une telle question. Autant essayer de piéger le meilleur pâtissier du
monde avec une question sur la recette d’un Saint Honoré ! Ridicule.
Maître, que dois-je faire pour
avoir en héritage la vie éternelle ? Si vous comparez ce récit à celui
de Matthieu ou Marc, vous verrez que, chez Luc, Jésus ne répond pas à la
question directement. Il va forcer son adversaire du jour à répondre. Jésus
lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment
lis-tu ? » Une manière très polie de lui dire : mais toi,
dis-moi non seulement ce que tu lis dans la Loi, mais comment tu le comprends.
Parce que lire la Loi, tout le monde peut le faire ; mais la comprendre
correctement, c’est une autre affaire. Le docteur de la Loi se laisse prendre
au jeu du : toi d’abord, moi après. Et il y va de sa réponse que nous
connaissons tous : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur,
de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton
prochain comme toi-même. Luc nous fait comprendre mieux que les autres que
ce n’est pas là une invention ou une relecture de Jésus. Il n’est pas le
premier à lier l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Un homme vient de le
faire devant Jésus, et celui-ci approuve la réponse de l’homme : Tu as
répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. La réponse est désormais
claire pour toutes les générations à venir, que vous soyez juifs ou disciples
du Christ : l’assurance de la vie éternelle, c’est l’amour de Dieu et du
prochain. C’est un spécialiste de la Loi qui le dit ; c’est Jésus qui le
confirme. La question posée a obtenu une réponse qui satisfait les deux
parties ! L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. Mais elle
rebondit : Lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui
est mon prochain ? ».
Là on commence à parler
sérieusement. Qui est mon prochain ? c'est-à-dire de toutes les
personnes que je rencontre, qui dois-je aimer ? Et donc, qui puis-je ne
pas aimer, parce qu’il ne serait pas mon prochain ? Encore une fois, Jésus
ne répond pas directement. Il raconte une histoire que nous connaissons tous
aujourd’hui, celle du bon Samaritain, mais qui est d’abord l’histoire d’un
homme agressé, dépouillé, laissé pour mort au bord de la route. Celui qui
importe, au début de l’histoire, ce n’est pas le bon Samaritain, mais bien ce
mourant laissé là et que d’autres vont croiser. Comment vont-ils interagir avec
lui ? Un prêtre, puis un lévite vont passer par ce chemin.
Tous deux voient l’homme. Sûrement, ces hommes de Dieu vont faire quelque
chose ! Eh bien non, tous deux passèrent de l’autre côté. Nous comprenons spontanément l’autre côté de
la route ; mais l’autre côté, je peux aussi l’entendre comme : ils
passèrent au mauvais côté. Ils ont fait ce qu’il ne fallait pas
faire : ils ont sciemment ignoré l’homme mourant. Et qu’importe les bonnes
raisons qu’ils auraient pu avoir ; en passant de l’autre côté, ils n’ont
rien fait, ils ont ignoré leur frère dans le besoin. Ils ont fait de la Loi
qu’ils prétendent servir une condamnation pour celui qui est victime, une
condamnation pour celui qui n’a rien fait de mal. Au sordide de l’agression
gratuite, ils ajoutent l’abject du désintérêt. Il est mourant ; qu’il ait
la décence de mourir seul et en silence ; je ne vais pas me mettre en
retard, Dieu m’attend ! Arrive le Samaritain, celui dont Jérusalem a
mauvaise opinion. Il le vit et fut saisi de compassion. Il fait ce qu’il
faut pour soigner cet homme et le mettre à l’abri, à ses propres frais. Et il
s’engage même à revenir prendre de ces nouvelles et régler toute dépense
supplémentaire ! L’histoire n’a rien de compliqué ; c’est celle d’un
homme qui avait besoin d’aide.
Rappelons-nous
maintenant la question qui nous a valu cette histoire : Et qui est mon
prochain ? A la fin de l’histoire, sans doute le docteur de la Loi
espère-t-il une réponse claire. Il n’aura encore une fois qu’une question de la
part de Jésus : Qui a été le prochain de l’homme tombé aux mains des
bandits ? Il faudrait être de mauvaise foi ou complètement stupide
pour ne pas répondre avec le docteur de la Loi : Celui qui a fait
preuve de pitié envers lui. Ceci nous oblige à bien comprendre le
renversement opéré par Jésus. La question n’est plus de savoir qui, de toutes
les personnes que je croise, est mon prochain ; mais bien de savoir de qui
je dois me faire le prochain. De qui dois-je avoir le souci ? De tous ceux
dont tu croises la route. Tu ne peux pas rester indifférent à ceux que Dieu met
sur ta route, et surtout pas de celui qui a besoin de toi. Rien ne peut être
plus important que le service du petit, pas même Dieu, puisque Dieu lui-même,
dans sa Loi, a lié l’amour de Dieu à l’amour du prochain. Aimer le petit, c’est
donc aimer Dieu. S’occuper de l’autre, c’est donc s’occuper de Dieu. Je ne peux
pas dire au pauvre : je ne peux pas m’occuper de toi, Dieu m’attend !
Je ne peux pas dire à l’étranger : je ne peux pas t’accueillir, Dieu m’attend.
Puisque je crois en Jésus, Dieu fait homme, cela signifie qu’en chaque humain
que je croise, c’est Dieu lui-même que je croise. A l’homme qui l’interrogeait,
Jésus répond une dernière fois : Va, et toi aussi, fais de même. C’est
juste limpide ! Il n’y a plus ni de question à poser, ni de question à se
poser.
Tout
avait commencé avec le désir d’un homme de réussir à mettre Jésus dans
l’embarras. Il pensait mettre Jésus à l’épreuve ; sa question s’est
retournée contre lui. Il n’a peut-être pas réussi à mettre Jésus à l’épreuve,
mais désormais il sait : il sait que Jésus n’indique pas une nouvelle
voie, ni une nouvelle Loi. Désormais il sait que Jésus accomplit la Loi et
qu’il lui demande de faire de même. Il pensait réussir à piéger Jésus en
l’interrogeant sur la vie éternelle ; il sait désormais comment réussir sa
vie et son paradis. En mettant l’autre, le petit, au cœur de sa vie et par là,
en mettant vraiment Dieu au cœur de sa vie. Il le sait, et nous le savons.
Allons, et nous aussi, faisons de même ; devenons le prochain de ceux qui
ont besoin de nous. Amen.
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