Une seule ? La meilleure part ?
Il en avait de la chance Abraham,
d’avoir une épouse et un serviteur qui agissent, discrètement, dans l’ombre,
pour qu’il puisse se consacrer à ses visiteurs. Marthe n’a pas la même chance,
elle qui se met aux fourneaux quand Jésus vient se reposer dans la maison
qu’elle partage avec sa sœur et son frère. Si elle avait eu une servante,
assurément, elle serait restée avec sa sœur aux pieds de Jésus. Mais si tel
avait été le cas, nous n’aurions rien su de cette rencontre entre amis. Et
surtout, nous n’aurions pas eu cette répartie de Jésus à l’adresse de Marthe
qui vient se plaindre.
J’ai déjà eu l’occasion de vous
parler de ces deux sœurs. Elles ont la chance d’accueillir Jésus chez
elles ; il est là en ami. Elles sont les sœurs de Lazare à qui Jésus
rendra la vie avant de marcher sur Jérusalem pour y mourir. Mais c’est là l’histoire
d’une autre visite de Jésus. L’histoire de la rencontre qui nous préoccupe
aujourd’hui est bien connu. Et peut-être êtes-vous comme moi, un peu plus
distrait lors de sa proclamation, parce que justement on connaît trop ; on
ne fait donc plus forcément très attention. Et c’est quand on ne fait plus
suffisamment attention, que des détails ou des interprétations de ces détails,
peuvent nous échapper. Ce qui me préoccupe, à écouter cette histoire, c’est la
réponse de Jésus à Marthe quand elle vient se plaindre, et surtout la manière
dont nous la recevons et la comprenons.
La première chose à noter, c’est que
Jésus ne rabroue pas Marthe. Il ne sous-estime pas le travail qu’elle fait en
cuisine pour le recevoir. Ses amis le reçoivent, il en est certainement
heureux. Les deux sœurs se sont réparti le travail : Marie s’occupe de
Jésus pendant que Marthe s’occupe en cuisine. D’autres manières de faire
auraient pu être imaginées. Par exemple, les deux sœurs proposent à Jésus de se
rafraichir un peu et de se reposer de la route pendant qu’elles préparent
ensemble quelque chose à manger, soit avant de l’avoir entendu, soit après
l’avoir entendu. Ou, si Marie s’avérait moins bonne cuisinière que Marthe,
qu’elles commencent comme le rapporte Luc, et qu’à un moment Marie relève
Marthe à la cuisine, quand il s’agit juste de surveiller la cuisson, pour que
Marthe puisse avoir son tête-à-tête avec Jésus. Cela n’a pas été fait ;
pas la peine d’épiloguer. Il nous faut donc prendre la réaction de Marthe et la
réponse de Jésus telles qu’elles nous sont données. Si la réaction de Marthe
semble légitime à beaucoup de lecteurs, la réponse de Jésus leur semble alors
quelquefois difficile à entendre. Que dit-il exactement ? Après lui avoir
fait remarquer qu’elle se donne du souci et s’agite pour bien des choses,
juste pour un ami de passage, il affirme qu’une seule est nécessaire. Et
il parle enfin de la meilleure part. Il nous faut bien comprendre que le
une seule ne renvoie pas à l’une des sœurs (une seule sœur serait
nécessaire !), mais bien à une attitude, une manière d’être avec Jésus. Il
ne dit pas à Marthe qu’elle n’a rien compris, ni qu’elle fait mal. Il lui dit
que, quand il vient les rencontrer, il ne se plaindra pas s’il n’y a qu’un
casse-croûte pour lui. Ce ne sont pas les choses que les sœurs font pour lui
qui lui importent, mais leur manière d’être, l’attitude qu’elles ont
vis-à-vis de lui. Et cela doit nous rassurer ; le plus grand bien, quand
Jésus vient nous visiter, ce n’est pas de nous mettre en quatre pour
l’accueillir, c’est d’accepter de l’écouter. Il vient chez nous parce qu’il a
quelque chose à nous dire, à nous partager. Et être pleinement là, présent à
lui, est cette seule attitude nécessaire.
Quand ceci est compris, nous pouvons
mieux saisir la suite de la réponse de Jésus, celle sur la meilleure part. En
parlant ainsi, Jésus ne renvoie pas Marthe à sa cuisine et ses
casseroles ; il ne lui pas qu’elle ne sert à rien. Il lui dit qu’il existe
une meilleure part, c'est-à-dire un essentiel. Marie l’a découvert en se
mettant aux pieds de Jésus pour l’écouter. Marthe doit encore découvrir cet
essentiel. Et cela nourrit notre propre vie spirituelle. Avec Marthe, nous
pouvons nous interroger : Qu’est-ce qui est essentiel pour nous dans notre
vie avec Jésus ? Où et comment Jésus nous attend-t-il aujourd’hui ?
Il n’y a pas de réponse unique ; elle peut changer selon les circonstances
de notre vie. Nous savons maintenant que la seule attitude nécessaire,
c’est l’écoute. Et quand nous écoutons vraiment Jésus, nous découvrons ce qui
est pour nous, personnellement, l’essentiel à ce moment donné de notre vie.
Tout est utile dans la vie, même savoir préparer des petits plats. Mais tout
n’est pas nécessaire au même moment. Et ce qui est vrai de notre relation avec
Jésus, est vrai aussi de nos relations humaines. Si nous écoutions plus les
autres, peut-être nous les comprendrions mieux ; les comprenant mieux,
nous pourrions mieux les apprécier ; les appréciant mieux, nous pourrions
mieux vivre avec eux ; vivant mieux avec eux, nous serions davantage en
paix.
Et voilà comment la colère d’une
agitée des casseroles vient remettre un peu de bon sens dans notre vie à tous.
Remercions Marthe de permettre à Jésus de nous éclairer tous. Remercions sa
sœur Marie de nous rappeler l’importance de l’écoute. Et avec les deux sœurs,
prenons la résolution d’une vie plus équilibrée, partagée entre l’écoute et
l’action, parce que la Parole de Dieu est toujours dite pour nous mettre en
route, en mouvement à la suite de Jésus. C’est ce à quoi nous invite le
« Allez dans la paix du Christ » à la fin de chaque messe. Ecoutons
tant que nous sommes rassemblés ici ; agissons dès que nous rentrerons
chez nous, sans arrêter pour autant d’écouter. Amen.
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