L’histoire que je vous raconte se passe sur la place d’une très grande ville. Beaucoup de monde passe sur cette place. C’est bruyant, agité… Les gens vont et viennent sans cesse.
Dans un coin de la place se tient une mendiante. Elle tend la main. Chaque jour, un poète se promène sur la place avec son amie. Son amie parfois regarde la mendiante, mais la mendiante ne lève jamais les yeux. Jamais un regard pour ceux qui lui donnent une petite pièce en passant. Jamais elle ne dit merci. Jamais elle ne sourit. Elle ne fait que tendre la main, toujours au même endroit. Tous les jours, le poète passe sans rien donner. Son amie dépose souvent une pièce dans la main tendue. Un jour, elle demande : « Pourquoi ne donnes-tu rien ? » Le poète répond : « Elle a peut-être besoin d’autre chose ? »
C’est une question que je me pose souvent face à la pauvreté : peut-être ont-ils besoin d’autre chose qu’une petite pièce ? Peut-être faut-il envisager une autre manière d’aider, d’être charitable envers celles et ceux qui sont dans le besoin. D’ailleurs, il y a des gens qui ne manquent pas d’argent et qui pourtant sont pauvres : pauvres de relations humaines vraies, pauvres d’amitié. Ils ont besoin d’autre chose.
Nous-mêmes, nous ne sommes pas fondamentalement pauvres ; nous ne sommes pas non plus excessivement riches. Mais, à regarder notre vie, quelquefois, n’avons-nous pas besoin d’autre chose que ce que nous avons, besoin d’autre chose que ce que nous proposent celles et ceux que nous rencontrons quotidiennement et qui nous donnent régulièrement la même pièce : même sourire jour après jour, même conversation, même ennui… Reconnaissons-le, pour pouvoir aller plus loin : quelquefois nous sommes comme cette mendiante, mendiant quelque chose que personne ne semble vouloir, ne semble pouvoir nous donner.
Mais revenons à notre histoire : le lendemain, le poète apporte une fleur, la dépose dans la main ouverte de la mendiante et veut continuer son chemin. C’est alors qu’il se passe quelque chose qui ne s’était jamais passé. La mendiante lève les yeux. Elle le regarde. Puis elle se met péniblement debout, prend la main de l’homme, y dépose un baiser et part avec la fleur.
Ce que vit cette femme, nous pouvons le vivre nous aussi, lorsque nous voyons passer dans notre vie le Christ. Il est celui qui nous apporte autre chose : il est celui qui nous fait vivre autrement. Saint Jean dit de lui : il est la lumière qui vient dans le monde. Quelle belle image que celle-là. La lumière, c’est ce qui nous aide à voir clair autour de nous, mais aussi en nous. Après l’hiver, qui ne souhaite pas ardemment voir revenir le printemps, avec ses premiers rayons de soleil, pour que nous nous sentions revivre ? Ainsi peut être notre vie si nous venons à Jésus. Ainsi peut-être notre vie si nous nous laissons approcher de Jésus. Il vient nous donner ce qui nous manque ; il vient refaire notre vie. Il vient nous offrir la vie en donnant la sienne. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Ainsi se nomme la rose que Jésus met entre nos mains : la vie éternelle, une vie de bonheur avec lui, auprès de Dieu, dès maintenant et pour toujours. Ne croyons pas que la vie éternelle n’est que pour plus tard. Nous la possédons déjà par notre baptême, gratuitement (par grâce, comme dit saint Paul dans la deuxième lecture). Nous n’y sommes pour rien ; ce ne sont pas nos bonnes actions qui nous sauvent. C’est Dieu lui-même qui aime tellement l’homme que son amour pour nous retourne Dieu contre sa justice, comme le dit Benoît XVI dans sa première encyclique. L’amour retourne Dieu contre lui-même : il lui devient impossible de juger : il ne peut qu’aimer. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Et nos bonnes actions, lorsque nous en posons, sont le résultat de l’amour dont nous bénéficions. Lorsque notre vie est conforme à la Parole de Dieu, elle est le signe que déjà nous sommes sauvés. Voilà la Bonne Nouvelle qu’il nous faut annoncer. Voilà la rose que Dieu nous offre pour que nous nous relevions, pour que nous repartions dans la vie, plus heureux, sûrs que nous avons du prix pour quelqu’un !
En accueillant le don que Dieu nous fait en Jésus, en nous ouvrant à sa vie, nous venons à la lumière, nous sortons des ténèbres de notre péché. Le temps de Carême est ce temps où nous sommes invités à venir marcher à la lumière du Christ, sans honte et sans crainte. Il nous dit que Dieu nous aime. Notre eucharistie de ce jour nous le rappelle. Lorsque nous communierons tout à l’heure, c’est bien la vie de Jésus que nous accueillerons au cœur même de notre vie pour qu’elle nous transforme et nous rende capable de vivre comme Jésus, entièrement donné à Dieu et aux autres. N’ayons ni honte ni crainte de mendier cet amour que Dieu nous offre ; n’ayons ni honte, ni crainte de le partager largement lorsque nous le recevrons. Nous ne le perdrons pas ; nous le multiplierons et nous transformerons notre monde. Ce que Jésus fait pour nous, nous pouvons le faire pour d’autres, avec sa grâce. Devenons enfants lumière ! Qu’il en soit donc ainsi, maintenant et toujours, pour chacun de nous. Amen.
(image de Jean-Yves Decottignies, in Mille dimanches et fêtes, Année B, Les Presses d’Ile de France, p. 50)
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