Moi, Jean, j’ai
vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes
nations, races, peuples et langues. C’est ainsi que commençait notre
deuxième lecture. A l’heure de la mondialisation, qui est encore étonné de la
multitude des peuples rassemblés ? Mais mesurons-nous bien la nouveauté
qu’a pu représenter une telle affirmation, sachant que cette foule de toutes
origines se tenait debout, devant le
Trône et devant l’Agneau, et que Jean nous décrit ainsi une vision de la
béatitude éternelle, à la fin des temps ? Pour être bien clair, ce qu’il
nous décrit, c’est toute l’humanité appelée à partager les noces de
l’Agneau ! Et dire que certains pensent encore qu’il n’y aura qu’un petit
nombre de sauvés et qu’ils sont nécessairement blancs et catholiques !
L’affirmation
que pose Jean est devenue possible quand l’Eglise naissante a compris qu’elle
devait s’ouvrir au monde. Jésus crucifié et ressuscité était d’abord à annoncer
à leurs frères issus du peuple juif, puisque c’était le peuple au sein duquel
Jésus a grandi, le peuple au sein duquel Dieu a fait entendre sa promesse d’un
Messie Sauveur. Mais que devient cette annonce lorsque l’auditoire ne veut pas
entendre ? Les Apôtres doivent-ils rentrer chez eux et attendre ?
Faut-il remballer le message sous prétexte qu’il n’intéresse pas ou qu’il
dérange ? Faut-il cacher le message parce que sa proclamation peut avoir
des conséquences lourdes et fâcheuses pour les annonceurs ? Le livre des
Actes ne cache rien des difficultés de la mission : les Juifs entraînèrent les dames influentes converties au judaïsme,
ainsi que les notables de la ville ; ils provoquèrent des poursuites
contre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire. Et encore,
là ils sont plutôt gentils ! Il suffit de lire les versets 24-26 du
chapitre 11 de la 2ème épître aux Corinthiens pour se rendre
compte des réels dangers de la mission : cinq
fois j’ai reçu les 39 coups, trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé,
trois fois j’ai fait naufrage… danger des fleuves, dangers des brigands,
dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville,
dangers dans le désert, dangers sur les mers, dangers des faux frères ! Malgré
tout cela, l’Eglise part en mission, les Apôtres se font hérauts de l’Evangile.
Pourquoi ?
La
réponse vient de Paul, appelé fort justement l’Apôtre des nations. Il dit aux
Juifs d’Antioche de Pisidie : C’est
à vous, nécessairement, qu’il fallait d’abord adresser la Parole de Dieu. Puisque
vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle,
eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. Si les
premiers destinataires du message n’en veulent pas, il en existe peut-être
d’autres qui seront tout content de pouvoir l’entendre. Si l’ouverture aux
nations semble s’être faite un peu par défaut, il faut alors réaffirmer ici que
cette ouverture est devenue constitutive de l’Eglise. Il n’y a pas d’Eglise
sans mission ; il n’y a pas d’Eglise sans ouverture au monde ; il n’y
a pas d’Eglise qui puisse vivre repliée sur elle-même, se contentant de croire
qu’elle seule sera sauvée, qu’elle seule a la vérité. Si l’Eglise n’évangélise
pas, si elle ne porte pas le souci de porter le Christ au monde, elle est
morte, vouée à disparaître à jamais. Si l’Eglise n’évangélise plus, elle cesse
d’être l’Eglise du Christ. Si la tactique missionnaire de Paul semble un peu
improvisée, elle n’en est pas moins fondamentale. L’Eglise doit être cette
lumière qui attire à Dieu et au Christ tous les hommes que Dieu aime ! Ce
n’est pas aux hommes de venir à l’Eglise pour y découvrir le salut ; c’est
à l’Eglise d’aller vers les hommes pour leur proposer le Christ comme chemin de
vie et de salut.
Le
concile Vatican II nous rappelle dans son décret Ad gentes, l’urgence de la mission. Elle passe d’abord par un art
de vivre des chrétiens qui soit conforme à leur foi. La mission ne se fait pas
à coup de baïonnette ; elle ne se paie pas de mots ; elle passe par
la charité, par le témoignage de vie et par l’annonce de Jésus mort et
ressuscité pour tous les hommes. Nous serons missionnaires par toute notre vie
ou nous ne le serons pas ! Ce n’est pas d’abord la mission de quelques
spécialistes ; c’est l’œuvre de toute l’Eglise, de chaque croyant. Par ma
manière de vivre avec mes voisins, par ma manière de conduire ma famille, je
peux ou ne peux pas donner envie d’être croyant et de suivre le Christ.
Avec
les Apôtres, nous devons nous ouvrir au monde. A la suite des Apôtres, nous
devons porter le Christ au monde, et porter les soucis du monde devant Dieu.
C’est tout le sens de la prière universelle qui suit notre proclamation de la
foi. Elle nous ouvre, et ouvre notre prière, à celles et ceux qui ne sont pas
là, à celles et ceux qui ne seront jamais là, à celles et ceux pour qui nous ne
pouvons rien, si ce n’est les confier à la tendresse du Christ et à la
miséricorde de Dieu. Lui seul saura toucher les cœurs en profondeurs, et
agrandir son Eglise jusqu’à ce qu’elle soit ce peuple nombreux et varié devant
le Trône et devant l’Agneau. Que cette eucharistie nous ouvre de plus en plus à
la dimension missionnaire de l’Eglise et fasse de nous tous de simples ouvriers dans la vigne du Seigneur.
Amen.
(Image de Jean-François KIEFFER, in Mille ilages d'Eglise, éd. Les presses l'Ile de France)
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