Fermez
les yeux, vous ne risquez rien ; les servants ne viendront pas vous
détrousser. Fermez les yeux, je vous dirai quand viendra le moment de les
ré-ouvrir. Oubliez un instant que nous sommes en 2016 et revenez en arrière. Imaginez-vous
en l’an 30 de notre ère, sous le règne de l’empereur Tibère. Vous vivez dans la
lointaine province de Palestine. Imaginez-vous soldat, paysan, marchand,
citoyen romain ou juif vivant sous l’occupation. Qu’importe ! Maintenant,
imaginez que vous soyez à un mariage. Tout se passe bien, jusqu’au moment où
quelqu’un constate qu’il n’y a plus de vin. Rassurez-vous si c’est vous
qui avez organisé le mariage : personne n’ira le crier sur les toits. Seuls
les serviteurs sont au courant ; forcément ! Imaginez maintenant que
vous soyez l’un de ces serviteurs justement. Vous connaissez le danger qui guette
la fête et vous entendez une femme vous dire : Tout ce qu’il vous dira, faites-le ! Que décidez-vous ?
Que faites-vous ?
Première
réaction possible : que nous veut-elle ? Qui est-elle pour nous
commander ? Après tout, elle n’est qu’une invitée parmi d’autres ? Et
d’abord, comment sait-elle ? Et qui est ce « il » dont elle
parle ? Encore un invité ? Serait-il négociant en vin ? En ce
cas, nous le servirons. Sinon, à quoi bon ? La fête est fichue ; ce
sera la honte pour cette famille, pour ce jeune couple qui décidément commence
mal sa vie.
Seconde
réaction possible : celle des serviteurs de l’histoire. Vous obéissez ;
vous faites ce que cet homme, Jésus, vous dit. Vous puisez l’eau, vous en
portez au maître du repas, sans doute un peu anxieux. Et vous vous étonnez
lorsqu’il apprécie ce vin nouveau. Vous savez, vous, qu’à l’origine, ce n’est
que de l’eau. Vous savez, vous, que c’est ce Jésus qui vous a dit d’en puiser
et d’en remplir les jarres prévues pour la purification. Vous savez, mais ne
pouvez expliquer ce qui s’est passé. Comment cela se fait-il ?
Gardez
les yeux fermés encore un instant et restez encore un instant bloqué au début
de ce que nous appelons aujourd’hui l’ère chrétienne. A ce qui s’est passé, vous
n’avez pas de réponse ; vous ne savez pas qui est vraiment Jésus ;
vous ne connaissez pas sa puissance et sa relation particulière à Dieu qu’il
appellera un jour son Père. Vous ne savez pas qu’il est venu lui-même purifier
son peuple ; les vieilles jarres de la purification peuvent bien servir au
vin désormais, elles n’auront plus d’autre utilité. Vous ne savez pas encore,
bien que vous le deviniez peut-être déjà à partir de ce signe, qu’il est venu
pour donner aux hommes la joie de Dieu, la joie qui ne finit pas, dont ce vin
nouveau est le signe. Vous ne savez pas davantage que le vrai vin nouveau que Jésus
vient offrir aux hommes, c’est son propre sang, versé pour la vie du monde. Vous
savez juste ce qu’en dit Jean dans ce passage de son évangile. Jésus était un
des invités à ce repas de noces où le vin a commencé à manquer. Vous savez que
sa mère l’a interpelé ; qu’elle s’est fait remettre à sa place, mais qu’elle
ne s’est pas démontée pour autant. Vous lui avez obéi et la fête s’est
poursuivie longtemps.
Maintenant
ouvrez les yeux. Nous voici de retour en ce 17 janvier 2016. Ce premier signe
de Jésus vient de nous être relu ; mais il est relu déjà à la lumière de
Pâques. Nous savons que Jésus, ce n’est pas qu’un obscur invité parmi d’autres.
Nous savons qu’il est le Fils bien-aimé du
Père, en qui Dieu lui-même trouve sa
joie. La fête du baptême du Seigneur, célébrée dimanche dernier, nous le
rappelait. Nous savons beaucoup de chose, pour ne pas dire tout, de la vie et l’œuvre
de Jésus. Nous connaissons sa prédication et son invitation à aimer comme lui
nous aime. Mais entendons-nous encore Marie, sa Mère et notre mère, nous dire :
Faites tout ce qu’il vous dira ? Avons-nous
la disponibilité des serviteurs de jadis et leur confiance absolue ? Un
jeune prêtre interrogeait en ces termes sur son blog : Si en entrant dans
l’église, nous avions trouvé l’eau de nos bénitiers changée en vin, serions-nous
repartis pour trouver ailleurs cette eau qui purifie et que nous cherchions, ou
aurions-nous accueilli avec joie ce signe nouveau, cette invitation à ne pas nous
enfermer dans nos rites et dans nos pratiques ? Sans doute aurions-nous
pensé que le sacristain était tête en l’air ce matin, mais jamais nous n’aurions
cru que Jésus était passé par là et que son désir de nous offrir une fête qui
ne finit pas se manifestait ainsi. Nous mesurons ainsi ce qu’il faut de
confiance, de courage, et peut-être même d’inconscience, pour obéir à cette
parole : Tout ce qu’il vous dira,
faites-le ! Aucune autre parole ne nous sera donnée ; aucune
autre parole n’est utile à qui veut suivre le Christ ! Dans l’ordinaire de
notre vie, c’est la seule consigne qui peut nous mener à la joie parfaite. Nous
pouvons y donner suite parce qu’elle vient de Marie justement. Elle n’est pas n’importe
qui ; elle est la mère de Jésus. Elle est cette femme qui, la première, a fait
tout ce que Dieu attendait d’elle, depuis l’annonciation et jusqu’à la
résurrection. Elle n’a jamais fait valoir ses droits de mère ; elle s’est
toujours comprise elle-même comme le disciple de celui à qui elle a donné le
jour. En nous invitant à l’obéissance, elle ne nous invite pas à la servilité,
mais à la vraie liberté de celui qui sait en qui il met sa confiance.
Ecoutons-la
et suivons-le ! Tel semble être le mot d’ordre de ce dimanche. Ecoutons-la
et suivons-le ! Il n’y a pas d’autre chemin pour parvenir à la vraie vie ;
il n’y a pas d’autre chemin pour connaître la vraie joie ; il n’y a pas d’autre
chemin pour être véritablement disciple. Tout
ce qu’il vous dira, faites-le. Tout est là, tout est dit ; il nous
reste maintenant à le vivre. Amen.
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