Que me veux-tu,
homme de Dieu ? Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire
mourir mon fils ! C’est un double drame que vit le prophète Elie lorsqu’il
est apostrophé ainsi par la veuve de Sarepta. Drame de la perte d’un enfant qui,
même s’il n’est pas le sien, le fait compatir à la douleur de la mère et drame
de la perte du sens de Dieu, manifesté dans cette invective. Pourtant, le prophète
avait déjà montré à cette femme et à son fils le visage tendre et
miséricordieux de Dieu, qui prend soin de son peuple, soin des petits qui
attendent tout de lui. C’est bien cette veuve et son fils, chez qui le prophète
s’était arrêté pour manger en plein temps de famine, qui avaient vu leur sac de farine et leur jarre d’huile ne point
s’épuiser. Dieu récompensait ainsi l’acte miséricordieux de cette femme qui
avait accepté de partager avec le prophète le peu qui lui restait pour vivre. Est-il
possible qu’un tel Dieu, qui prend soin de récompenser un acte bon puisse aussi
punir pour une faute supposée et même pas exprimée ? Est-il possible
seulement que le Dieu dont le prophète est le porte-parole puisse ainsi faire
mourir l’innocent en compensation de quelque acte ?
Devant
la souffrance et la détresse du monde, beaucoup de nos contemporains ont condamné
et rejeté Dieu, coupable de non-intervention face à l’insupportable. Il n’est
pas question pour moi de les condamner, mais de chercher à comprendre ce qui,
dans nos enseignements et nos attitudes, a pu laisser croire à quelqu’un que Dieu
agissait envers nous comme un comptable, un juge et un bourreau. Qu’avons-nous
oublié dans notre prédication, dans nos catéchèses pour que des hommes et des
femmes du XXIème siècle pensent encore que Dieu peut se venger, que Dieu peut se
réjouir de la mort de l’innocent ou du malheur des peuples ? Qu’aurions-nous dû dire ou faire pour que Dieu
soit enfin reconnu comme le Dieu de la vie, le Dieu pour la vie ?
Il
semblerait que le prophète partage l’interrogation de cette femme. Prenant la
dépouille de l’enfant, il la porta dans
sa chambre en haut de la maison et l’étendit sur son lit. Puis il invoqua le Seigneur :
Seigneur, mon Dieu, cette veuve chez qui je loge, lui veux-tu du mal jusqu’à
faire mourir son fils ? Mais il ne se laisse pas perdre en conjecture :
par trois fois, il s’étendit sur l’enfant
en invoquant le Seigneur : Seigneur, mon Dieu, je t’en supplie, rends la
vie à cet enfant ! Je sens à la fois le désespoir du prophète devant
cette mort soudaine et la foi la plus profonde en Dieu qui peut tout, en Dieu souffle
de vie. L’enfant reprend souffle, revient à la vie. Et écoutez bien ce que dit
la mère : Maintenant, je sais que tu
es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole de Dieu est véridique. Pourtant,
le prophète n’a rien dit à ce moment-là à la femme, si ce n’est l’évidence :
Regarde, ton fils est vivant !
Il ne lui a pas fait de grand traité de théologie sur Dieu, sur son amour, sur
le sens de la souffrance ou que sais-je encore ! Il a pris part à sa souffrance
et a fait confiance à son Dieu.
Cet
épisode, doublé dans la liturgie de ce dimanche par l’évangile dans lequel Jésus
à son tour rend un fils unique à une veuve, veut renforcer en nous la certitude
que Dieu est autre que ce que nous croyons. Il ne se réjouit pas de nos
souffrances, il n’en est pas la source. Le Dieu dont le prophète Elie porte la
parole, le Dieu de Jésus Christ des siècles plus tard, le Dieu que nous
célébrons aujourd’hui en cette eucharistie, est le Dieu de la vie. La messe qui
nous rassemble en est le signe le plus flagrant. Dieu lui-même nous a accueillis
et nous a libérés de nos fautes : c’est bien le sens du rite pénitentiel à
chacun de nos rassemblements ; puis il nous livre sa parole pour que nous
puissions vivre et tenir dans ce monde qui est le nôtre, ni pire, ni plus
simple qu’autrefois ; tout à l’heure, il nous partagera le pain de l’eucharistie,
sacrement de son Fils livré sur la croix par amour pour nous. En Jésus, Dieu nous
a tout donné, y compris sa propre vie pour que plus jamais nous ne soyons
embarrassés par la mort. La vie éternelle n’est pas une promesse : elle
est réalité dans le sacrement du baptême qui nous identifie au Christ, nous
incorpore à lui au point que Paul a pu écrire : si nous mourons avec lui [le Christ], avec lui nous vivrons !
Notre vie, que nous tenons de Dieu, n’est pas faite seulement pour vivre sur
cette terre ; notre vie est faite pour aujourd’hui, pour ici-bas, et pour
demain, quand Dieu nous réunira dans la joie de son Royaume.
Dans
les nombreux courriels reçus cette semaine, s’en trouvait un qui collectionnait
des paroles d’enfants. En voici l’une d’elle dans son contexte : La
grand-mère vient de mourir et tout le monde est triste. Claire va
voir son grand-père avec un grand sourire et lui dit : " T'as
de la chance toi ! T'es si vieux que tu vas mourir bientôt et tu seras le
premier à la revoir " (Claire 5 ans) . Du haut de ces cinq ans,
Claire n’a-t-elle pas compris ce que nous avons tant de mal à concevoir, à
savoir que la vie ne finit jamais, et que la mort, si elle fait souffrir ceux
qui restent, est d’abord un passage, une ouverture sur la vie ? Olivier
Clément a écrit : L’homme est de la terre mais il est aussi du
ciel. Il pèse son poids de terre mais aussi son poids d’infini. L’homme s’ouvre
sur la vie profonde. L’homme est secrètement ouvert sur l’invisible. Des générations
l’ont su, l’ont expérimenté… Nous avons laissé dépérir nos facultés de
contemplation au profit de facultés de travail et de calcul, de maîtrise
rationnelle du monde physique… ‘Aimer quelqu’un, a écrit Gabriel Marcel, c’est
lui dire : tu ne mourras pas.’ En Jésus Christ, voilà ce que nous pouvons
dire aux hommes : la mort est vaincue, le Christ est ressuscité, mon
frère, tu es vivant – à jamais !
Voilà réaffirmé le souffle de la foi chrétienne, la
force de vie que Dieu offre à celles et à ceux qui accueillent son Fils dans
leur existence. Voilà ce qu’avait pressenti le prophète Elie ; voici ce qu’a
accompli Jésus, pour toujours. Nous ne pourrons jamais le taire. C’est la seule
chose à dire pour donner de Dieu le juste visage. Ce n’est pas une invention humaine. Ce n’est pas non
plus d’un homme que nous l’avons reçu ou appris. C’est l’Evangile révélé par Jésus Christ. Rien d’autre
ne compte ; rien d’autre n’a d’importance. Amen.
(Gustave DORE, Elie ressuscite le fils de la veuve de Sarepta)
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