Depuis
quelques années, alors qu’elles avaient presque totalement disparu,
refleurissent dans nos villes et villages les processions de la Fête Dieu, avec
leur cortège de traditions : tapis de fleurs, autels reposoirs aux
carrefours de nos cités. Certains peuvent s’en inquiéter, et pas seulement
parmi les plus laïcards. Même au sein de l’Eglise, au sein de nos communautés,
des voix s’élèvent contre ce retour à une visibilité trop marquée, singe d’une
tradition désuète selon eux. C’est un retour en arrière qui ne fait que
traduire d’autres retours plus dogmatiques, pour ne pas dire une étroitesse d’esprit.
Peut-on balayer ainsi ce que la foi veut exprimer ? Je ne le crois pas.
Cette
procession du Saint Sacrement, signe hautement chrétien, marque la proximité de
Dieu avec son peuple. C’est bien lui qui marche ainsi au milieu de nos
quartiers, rappelant sa présence au monde des hommes. Dieu n’est pas étranger à
ce que nous vivons ; il n’est pas étranger à ce qui fait nos vies. Les autels
dressés aux carrefours de nos cités marquent alors en retour l’intérêt que l’homme
peut avoir à ce que Dieu s’arrête ainsi dans sa vie. Ces rencontres sont rares
pour certains, pour ne pas dire inexistante. En ce dimanche, même si c’est de
manière rapide, voire folklorique, cette rencontre peut se faire et des hommes
et des femmes peuvent retisser les fils d’une amitié divine oubliée. C’est une
manière très forte d’évangéliser pour peu que nos stations permettent de
dépasser le folklore et osent inviter à une rencontre furtive mais vraie.
Si
nous regardons de près l’Evangile de cette fête en cette année, nous remarquons
que Jésus ne fait pas autre chose. Certes, il annonce la Parole de Dieu, des
hommes et des femmes se pressent par milliers pour l’écouter, au point d’en
oublier les choses simples comme un bon casse-croûte. Ils ont beau suivre Jésus,
se nourrir de sa Parole, cela ne remplit pas encore un ventre qui ne tarde pas
à se rappeler au bon souvenir d’un apprenti disciple tête-en-l’air. Vient le
moment où les ventres affamés parlent plus fort que Jésus, et il faudra bien s’en
occuper. Les Douze ont la solution : que Jésus renvoie cette foule trop
nombreuse. Mais Jésus ne l’entend pas
ainsi. Il est au milieu d’eux, envoyé par Dieu pour prendre soin de son peuple ;
comment pourrait-il les renvoyer simplement, sans ne rien tenter pour eux. Jésus
ne fait pas que passer dans la vie de ces foules, il veut leur faire rencontrer
quelqu’un d’autre, celui qui l’a envoyé lui-même. Il passe dans les villes et
villages non pour se faire remarquer, mais pour inviter à voir plus loin, à
entendre quelqu’un que l’on avait oublié, ou soigneusement enfermé dans le
Temple pour qu’il ne vienne pas nous déranger dans l’ordinaire d’une vie. Jésus,
par sa prédication, porte Dieu à nouveau dans nos vies, dans nos villes et
villages ; il le fait sortir de nos temples bien situés et si peu
fréquentés pour le remettre au cœur de nos vies. En cette fête du Corps et du
Sang du Christ, l’Eglise se propose de faire la même chose avec le Christ. Nous
l’avons bien rangé dans un tabernacle fermé à clé, dans une église elle-même
souvent fermée, par précaution. Vous savez, on pourrait nous le voler ! Je
me demande souvent si ce n’est pas pour ne pas risquer qu’il sorte qu’on ferme
tout ainsi à double tour. Ce serait gênant, un Dieu qui se promène dans nos
rues ; ce serait gênant que les gens se laissent interpeler et retrouvent
le chemin de l’Eglise, le chemin de la confiance en ce Dieu qui se veut proche
de nous, qui s’est fait proche de nous en Jésus. Nos processions sont comme une
nouvelle incarnation, un petit Noël pour nous rappeler que Dieu marche bien
avec nous, qu’il a souci de nous, parce qu’il nous aime infiniment. En son Fils
Jésus, mort et ressuscité, il continue d’aller à notre rencontre, livrant sa
Parole, livrant aux hommes ce Fils unique venu dans le monde pour rapprocher
les hommes de Dieu par une Alliance nouvelle.
Est-ce
vraiment vieux jeu que de vouloir que les hommes de notre temps connaissent
encore Jésus et se rapprochent de lui ? Est-ce vraiment vieux jeu que de
vouloir que les hommes puissent entendre la Parole vivante de Dieu qui peut
transformer une vie ? Est-ce tellement vieux jeu que de vouloir permettre
cette rencontre si fondamentale et si libératrice ? Ne craignons pas de
porter le Christ au monde : il ne veut que son bien et sa vie. Ne
craignons pas de porter le Christ au monde : les hommes ne peuvent qu’en
devenir meilleurs. Ne craignons pas de porter le Christ au monde : cela ne
peut que renforcer notre propre foi et notre propre amitié avec le Christ. Marchons
humblement, mais fièrement, à la suite du Christ présent dans l’Eucharistie, et
permettons une rencontre renouvelée entre Dieu et son peuple. Amen.
(Dessin extrait de la revue L'image de notre paroisse, n° 210, Juin 2004, éd. Marguerite)
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