Seigneur, n’y
a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? J’ai beau tourner
et retourner cette question dans tous les sens, j’avoue que je n’en comprends
pas l’intérêt. Que veut cet homme à Jésus ? Qu’attend-t-il comme réponse ?
Et nous, quand nous entendons cette page d’évangile, qu’attendons-nous ?
Seigneur, n’y
a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Ma première
manière d’aborder cette question, c’est celle du nombre. Cet homme s’intéresse-t-il
au nombre de personnes qui seront accueillis en Paradis ? Est-ce une
manière détournée de demander combien il y a de chambres disponibles ? On
connaît des sectes qui ont défini un nombre de sauvés, s’appuyant sur le livre
de l’Apocalypse de Jean, dans lequel on parle de 144 000 sauvés ! Le
problème est que, depuis le temps qu’elles existent, elles n’ont pas encore
atteint ce chiffre. Trois possibilités : soit elles sont mauvaises en
conversion, soit elles sont mauvaises en calcul, soit les critères d’admission
sont trop élevés ! Je ne sais pas combien l’Eglise compte de saints en
tous genres, mais en 21 siècles, on devrait les avoir atteints. Jean-Paul II a
ainsi canonisé 482 saints, béatifiés plus de 1400 bienheureux en quelques 25
années. Quant au pape François, il bat déjà tous les records puisqu’il dépasse les
830 saints à lui tout seul ! Si comme cet homme qui rencontre Jésus, vous
vous intéressez au chiffre, attention, les places semblent devenir chères et
rares !
Seigneur, n’y
a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Si ce n’est pas le
nombre qui intéresse cet homme, je me demande alors, si pour lui, cette question
n’est pas un moyen détourné pour savoir si lui sera sauvé. La réponse qu’il
attend de Jésus est-ce quelque chose du genre : ne t’en fais pas mon ami, pour toi, j’ai tout prévu. Tu penses bien que
tu seras sauvé !
Reconnaissons-le : nous sommes un certain nombre à penser ainsi. Ben
quoi, je fais des efforts, je vais à la messe, je ne suis surtout pas comme mon
voisin : pourquoi ne serais-je pas sauvé ? Je vous le demande !
Non, non, il faudra bien qu’il nous ouvre : nous avons mangé et bu en sa présence. Le salut ne peut échapper à
ceux qui ont partagé sa table, n’est-ce pas ? Envisager la question ainsi
ne donne peut-être pas de bons chrétiens, mais ça donne de bons scrupuleux et
de bons politiques ! Je fais ce qu’il faut et je dois être élu ; c’est
justice ! Sauf si Dieu choisit ses
élus comme les français choisissent les leurs : là, c’est vraiment mal
barré !
Seigneur, n’y
a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Je maintiens que
cette question est sans intérêt ; elle est même dangereuse, parce qu’elle
empêche de vivre, elle paralyse. Je ne suis pas sûr que Jésus attende de nous
que nous nous transformions en scrupuleux, en zombie spirituel qui n’osent
plus, ne risquent plus, ne vivent plus. La foi est aventure, la foi est risque,
la foi est vie. Si je me laisse paralyser par l’obsession du chiffre, je vais à
ma perte. Si je cherche à me pousser du col, je vais à ma perte. Le salut est
grâce, le salut est don. Ce n’est pas une récompense à mériter, c’est un cadeau
à accueillir, à accepter. Si je refuse de vivre par peur de me perdre, si je
refuse d’oser par peur de me perdre, si je me refuse à risquer par peur de me
perdre, je suis déjà perdu. Ce ne sont pas nos échecs qui nous perdrons, mais
nos manques d’audace. Nos échecs ont cette vertu de réveiller la miséricorde de
Dieu. Là où le péché a abondé, la grâce a
surabondé. Cette affirmation n’est pas un pousse-au-crime, mais une
certitude qui doit nous empêcher de sombrer lorsque nous tombons en chemin ;
elle doit nous permettre de nous relever, et de recommencer. Il vaut mieux
entrer au Paradis en passant humblement par la porte étroite que de vouloir
forcer le passage par la grande porte et être refoulé par excès d’orgueil !
Seigneur, n’y
a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Plutôt que d’adresser
à Jésus cette demande, adressons-lui notre prière confiante : je ne sais pas
si je mérite d’être sauvé, Seigneur, mais je compte sur toi, je compte sur ton
amour pour les pécheurs pour me faire grâce malgré tout. Je ne compte ni sur
moi, ni sur mes forces, mais sur toi et sur ta grâce. Nous pouvons aussi reprendre
les mots que nous donne la liturgie avant la communion : Seigneur, je ne suis pas digne de te
recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. Comprenons bien :
et je serai sauvé. Sauvé sur une parole du Christ, ni plus, ni moins. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année C, éd. Les Presses d'Ile de France)
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