Nous
reprenons, et pour quatre semaine, la lecture de la lettre aux Hébreux. Un écrit
difficile à appréhender pour beaucoup, mais qu’il ne faudrait pas pour autant
mettre de côté. Le passage que nous venons d’entendre en seconde lecture, est
tout à fait fondamental ; il nous permet de comprendre ce qui fait l’unité
de nos textes sacrés et la continuité de l’œuvre du salut entreprise par Dieu depuis
l’appel d’Abraham jusqu’à son merveilleux accomplissement en Jésus Christ.
Deux
mots caractérisent la démarche d’Abraham : la promesse et la foi. La promesse,
c’est l’engagement de Dieu envers ce vieillard qu’il appelle et met en route ;
il aura une terre, il aura une descendance innombrable. Pourtant, nous dit l’auteur
de la lettre aux Hébreux, Abraham vint
séjourner en immigré dans la Terre promise, comme en terre étrangère ; il
vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse,
car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même
est le bâtisseur et l’architecte. Bien qu’il soit arrivé au lieu promis, il
vit dans l’attente constante d’un ailleurs encore à acquérir. Ce n’est pas un
manque de foi qui l’empêche de reconnaître, dans cette terre où il arrive, la
Terre promise. Il a bien conscience d’être sur la terre que Dieu lui a promise ;
mais il sait aussi qu’elle n’est qu’une image de la vraie Terre promise qu’il
attend encore. Sa foi lui fait donc entrevoir que ce bout de terre n’est qu’un
avant-goût de la réalisation pleine et entière de la promesse faite par Dieu. C’est
bien cela qui lui permet d’offrir son fils unique en offrande à Dieu lorsque le
sacrifice d’Isaac est réclamé, parce qu’il sait, dans sa foi, que Dieu peut
tout dans cette Terre attendue, même
ressusciter les morts. Abraham montre bien ce qu’affirme l’auteur de la
lettre au début du chapitre 11 : la
foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des
réalités qu’on ne voit pas. A partir d’une promesse, Abraham s’est mis en
route ; par sa foi, il a vu ce qu’il espérait et qu’il ne verrait que
par-delà la mort (le Royaume de Dieu) ; son espérance lui a donné de vivre
comme s’il y était déjà.
Ce
sont cette même promesse et cette même foi qui traversent tous les textes
bibliques, l’Ancien et le Nouveau Testament et qui font leur unité. Abraham et
sa descendance sont bien nos pères dans la foi. Matthieu ne s’y trompe pas, lui
qui inaugure son évangile par la généalogie de Jésus, montrant bien ainsi la
continuité entre la foi d’Israël et la foi chrétienne. Cette dernière ne se
substitue pas à la première, elle la prolonge, et pour nous chrétiens, elle l’accomplit
parfaitement. En Jésus, la promesse faite à Abraham, et toutes les promesses
contenues dans le Premier Testament, sont accomplies, réalisées en ce fils
unique, mort et ressuscité. Il reste maintenant à ces promesses de se réaliser
dans nos propres vies. Avec Abraham, nous sommes héritiers des promesses ;
comme Abraham, nous avons à vivre dans la foi et l’espérance de leur
accomplissement. Certes, Jésus a déjà vaincu la mort et le péché une fois pour
toutes ; mais nous vivons dans la tension que cette réalité s’accomplisse
désormais en nous. Marqués par le péché et la mort, nous devons vivre dans la
foi (posséder cette vie éternelle que nous espérons encore) pour que parvenions,
nous aussi, au Royaume où Dieu nous attend. La victoire est à nous, en Jésus,
premier-né d’entre les morts : c’est une certitude. Mais cela ne nous
dispense pas de livrer le bon combat et participer ainsi pleinement à cette
victoire. Nous ne sommes, nous aussi, que des
étrangers et des voyageurs sur cette terre, en attendant de parvenir à la
Jérusalem nouvelle où Dieu sera tout en tous. Comme Abraham, nous avons notre
pèlerinage à accomplir sur cette terre.
Notre
foi, ce n’est pas d’abord quelques mots prononcés au cours de la messe ;
notre foi, c’est d’abord un art de vivre, tendu vers un monde toujours à
attendre, tendu vers un Christ toujours à accueillir, tendu vers des frères
toujours à servir et à aimer. Toute notre eucharistie est vécue dans cette tension :
nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus,
nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. Un jour,
nous la vivrons dans la gloire du Royaume. En attendant ce jour, vivons dans la
certitude d’être sauvés, vivons en nous revêtant chaque jour de la bonne tenue :
celle du service et l’amour de tous. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, Mille dimanches et fêtes, Année C, éd. Les Presses d'Ile de France)
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