Il y a une chose qui étonne (encore)
beaucoup de gens : c’est que Jésus est né juif et il est mort juif alors
même qu’il a reçu le baptême. C’est évident pour moi et pour ceux qui maitrisent
un peu les concepts de notre foi ; mais cela en étonne d’autres, même chez
les chrétiens. Enfin quoi, il a bien été baptisé, non ? Ben oui, et la
fête de ce dimanche nous le rappelle. Mais le baptême qu’il a reçu est celui de
Jean le Baptiste, et il est différent du baptême chrétien. Alors oui, Jésus a
été baptisé, mais n’en est pas pour autant devenu chrétien.
En lisant attentivement l’évangile de Luc,
nous pouvons dire la même chose de tous ceux qui sont venus à lui : ils
ont été baptisés, mais n’en sont pas chrétiens pour autant. Le baptême de Jean
est un geste de conversion, un geste qui marque le désir de se tourner à
nouveau vers Dieu. C’est un geste qui venait combler la soif de Dieu d’un
peuple. Remarquez bien ce qu’écrit Luc : le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se
demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. De cette
affirmation, je déduis que ce ne sont pas quelques illuminés qui sont allés
voir le Grand illuminé pour se constituer en groupe ou en association. Non,
c’est un peuple qui se déplace parce qu’il attend quelque chose ou plutôt
quelqu’un qui peut quelque chose pour lui. Un peuple, c’est plus que trois ou
quatre, même plus que cinquante ou cent. Un peuple, c’est aussi une manière de
dire que tous ces gens sont habités par la même espérance. Il y a quelque
chose, au-delà d’une appartenance ethnique, qui les lie, un désir profond
jusqu’ici inassouvi. Il y a comme une lame de fond qui les rassemble tous
autour de Jean le Baptiste. Et tous sont travaillés par la même question :
celui-là n’est pas le Christ ? Nous parlons donc d’un peuple, qui attend,
qui cherche des réponses, qui attend quelqu’un. Le baptême de Jean est un
premier moyen pour eux d’être apaisés, rassurés : ils ne sont pas oubliés,
ils ne sont pas maudits, il leur est toujours possible de revenir vers Dieu.
Mais la réponse de Jean est limpide. Même s’il ne dit pas qu’il n’est pas le
Christ, sa réponse ne laisse pas de place à mauvaise interprétation : Il vient, celui qui est plus fort que moi. Il
faudra donc attendre encore, chercher encore, avec cette certitude que le temps
est proche de la venue de celui qu’ils espèrent.
Ce qui est surprenant, c’est que personne
ne leur dit, quand Jésus vient au milieu d’eux, pour avec eux se faire baptiser,
que c’est lui, qu’il est là, celui qu’ils ont tant attendu. Ni Jean, ni Jésus,
ni Dieu le Père : personne ne vient éclairer ce peuple en attente. La
parole venant du ciel, s’adresse à Jésus, et à lui uniquement : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi,
je trouve ma joie. Elle lui est dite, chez Luc, après son baptême, dans un
de ses moments d’intimité que Jésus cultive : un temps de prière
personnelle : après avoir été
baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit… et il y eut une voix venant
du ciel. La voix ne s’adresse pas au peuple pour lui dire : Ecoutez-le ! comme le font entendre
d’autres évangélistes. Non, chez Luc, c’est intime, parce que ce rapport avec
Dieu ne peut être qu’intime, personnel. Il faut que chacun fasse l’expérience
de Dieu dans sa vie, et pas seulement qu’il en entende parler. Souvenez-vous de
Zachée : il avait entendu parler de Jésus puisqu’il voulait le voir
absolument. Mais ce qui l’a converti, c’est bien sa rencontre personnelle avec
Jésus, quand Jésus s’est adressé à lui : aujourd’hui, il me faut aller chez toi. Il n’y a pas de miracle,
pas de grand signe : il y a une soif de Dieu, une rencontre, une
parole : et la connexion a lieu. Pour Jésus, il fallait cette parole
intime du Père pour qu’il entre dans sa mission ; là il est envoyé par
Dieu, il ne peut plus en douter si d’aventure il l’avait fait ! Jésus a
été baptisé par solidarité avec ce peuple qui cherche Dieu ; et il est
envoyé par Dieu vers ce peuple, comme son Fils bien-aimé. Tout est réuni pour
que la soif du peuple soit étanchée. Jésus a bien été baptisé mais pas pour
devenir chrétien !
Il a été baptisé donc mais il n’en est pas
chrétien pour autant ! C’est malheureusement ce que nous pouvons dire de
beaucoup aujourd’hui, et même quelquefois de nous. Ce n’est un secret pour
personne : tous ceux qui ont été baptisés, ne vivent pas en baptisés
vingt-quatre heure sur vingt-quatre.
Parce que la vie nous éloigne du Christ, parce que nos aspirations sont
autres, parce que le Mal travaille encore en nous. Si le baptême que nous
recevons nous identifie au Christ, s’il fait de nous des fils de Dieu, alors
nous devons vivre comme lui. Jamais il n’a menacé, invectivé, frappé ou
détruit ; jamais il n’a répandu la haine de ceux qui gouvernaient à son
époque. Et quand il a piqué une sainte colère, ce n’était pas pour satisfaire
une pulsion personnelle ou pour appeler à la révolte, mais pour défendre la
grandeur de Dieu, la grandeur du Temple. Défendre les petits et les pauvres,
c’est s’attaquer aux structures du péché, jamais aux personnes ! Défendre
les petits et les pauvres, si c’est bien une attitude chrétienne, ne suppose
jamais et ne permet jamais une solidarité dans le Mal.
Il a été baptisé mais il n’en est pas
devenu chrétien pour autant ! Le baptême de Jésus, même s’il n’a pas le
sens du baptême que nous avons reçu, doit nous interroger quand même sur le
sens que nous donnons à cet acte fondateur de notre vie croyante. Il nous faut
revenir à la source, à ce premier contact avec Dieu pour l’approfondir
toujours, mieux le comprendre et le rendre plus vrai, plus agissant dans notre
quotidien. Le baptême, au-delà de l’acte posé, est un art de vivre à la manière
de Jésus ; c’est une relation qui se tisse entre Dieu et nous, entre nous
et les frères qu’il nous donne. En ces jours troubles que nous connaissons
maintenant depuis deux mois, puisse l’eau de ce sacrement nous rafraîchir
l’esprit, apaiser notre soif d’un monde plus juste et nous remettre dans les
dispositions qui furent celles du Christ Jésus : une vie de bien au
service de tous. C’est la seule voie possible ; c’est la seule attitude
chrétienne à avoir. Amen.
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