L’actualité de cette fin de semaine est
marquée, pour moi, par cette lettre anonyme hideuse adressée à un député de la
Nation, à qui le ou les destinataires promettent la mort parce qu’il n’est pas
blanc et qu’il serait venu profiter des
avantages du pays (la France) ! Le reste de la lettre est encore plus
abject et ne mérite pas qu’on le relaie. Je découvre cela au moment où je
m’apprête à rédiger l’homélie de la fête de l’Epiphanie ; et je
m’interroge : avons-nous le droit de célébrer encore cette fête quand des
français, blancs apparemment, élevés sans doute au lait du christianisme, en
arrivent à écrire pareilles horreurs ! Avons-nous le droit de célébrer
l’Epiphanie, quand des responsables politiques, soucieux pour une fois
d’installer une crèche dans les espaces publics, en retirent toutefois Melchior
au motif qu’il est noir ?
La fête de l’Epiphanie, rappelons-le, nous
fait célébrer la révélation du Fils
unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait (oraison de la
solennité). Dieu lui-même convoque ainsi tous les peuples de la terre, quelles
que soient leurs croyances ou leurs origines, à reconnaître en l’Enfant de la
crèche le Fils qu’il a envoyé pour sauver tous les hommes qu’il a créés !
Ce faisant, c’est bien lui, Dieu, qui appelle tous les hommes à une fraternité
universelle ; c’est bien lui, Dieu, qui nous oblige à reconnaître en tout
homme un frère à accueillir, un frère à aider, un frère à aimer. Ceux que Dieu
convoque ainsi dans la maison commune de notre humanité, puis-je moi les
renvoyer au prétexte qu’ils n’ont pas la bonne couleur ? Ceux que Dieu
aime d’un amour unique, puis-je moi les haïr au prétexte qu’ils me prendraient
quelque chose qui me reviendrait de droit ? Ceux que Dieu a créés dans son
unique amour, puis-je moi les anéantir au prétexte que je ne m’en reconnais pas
le frère ? Comment puis-je seulement servir un tel Dieu qui semble faire
tout son possible pour me contrarier ? Vous comprendrez bien, sœurs et
frères en Christ, que c’est à celui qui refuse le projet d’amour de Dieu pour
tous les hommes de changer et de se convertir, et non à Dieu de changer de projet.
Vous comprendrez bien que c’est celui qui refuse ce projet d’amour qui doit
s’ouvrir aux autres, et non aux autres de se retirer de sa présence. La terre
que Dieu nous donne ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de
l’humanité. La France ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de
tous ceux et celles qui veulent vivre dans la liberté, la fraternité et
l’égalité, d’où qu’ils viennent au départ, quelles que soient leurs opinions,
leur foi ou leur non foi. Le refus de l’autre jusqu’à le menacer de mort n’est
pas une opinion. Et notre pays devrait s’en souvenir, particulièrement après
les camps de la mort que nos grands parents ont connu.
Aujourd’hui, des étrangers viennent à la
rencontre du Fils de Dieu, à l’invitation de Dieu lui-même. Aujourd’hui, nous
sommes invités par Dieu lui-même à nous reconnaître tous frères, en ce Christ
qu’il nous offre. Les lectures de cette fête nous montrent bien que ce n’est
pas une nouvelle idée de Dieu : c’est un projet ancien, c’est l’unique
projet de Dieu depuis les commencements. C’est l’unique projet de Dieu depuis
qu’il s’est choisi un peuple particulier pour être lumière pour toutes les
nations : les nations marcheront
vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore, prophétisait
Isaïe. Et Paul, approfondissant l’enseignement reçu du Christ par les Apôtres,
affirme aux Ephésiens : ce mystère,
c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au
partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile.
Puisque l’Evangile est Bonne Nouvelle, nous ne saurions accepter des propos
qui en réduisent la portée, ni des actes contraires à son enseignement.
Regardons ce que ces étrangers nous apportent au lieu de ne voir que ce qu’ils
seraient susceptibles de nous prendre. Regardons et apprécions l’or, l’encens
et la myrrhe de ces rencontres avec celui qui nous est différent mais non
indifférent, de celui qui nous est autre mais non hostile. Rejetons de notre
vie les germes d’Hérode qui ira jusqu’à massacrer les nouveau-nés d’Israël,
parce qu’incapable de s’ouvrir à la nouvelle d’un Dieu fait homme, d’un nouveau
Roi pour l’univers. Cultivons le message des anges reçu à Noël et amplifié par
cette Epiphanie : ils chantaient la gloire de Dieu et la paix pour tous
les hommes que Dieu aime !
Pouvons-nous encore célébrer l’Epiphanie
aujourd’hui, interrogeais-je en début d’homélie ? Nous le pouvons et nous
le devons, pour toujours nous souvenir de l’unique projet de Dieu et le rendre
toujours plus actuel, toujours plus réel. Ce que Dieu a accompli en Jésus
Christ, poursuivons-le et vivons-le intensément. Ainsi nous participerons à
construire ce monde où tous les hommes vivent en frères, par la grâce de Dieu
et la volonté de son peuple. Amen.
(Jérôme BOSCH, L'adoration des Mages, vers 1510)
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