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samedi 5 janvier 2019

Epiphanie - 06 janvier 2019

Avons-nous le droit de célébrer l'Epiphanie ?









L’actualité de cette fin de semaine est marquée, pour moi, par cette lettre anonyme hideuse adressée à un député de la Nation, à qui le ou les destinataires promettent la mort parce qu’il n’est pas blanc et qu’il serait venu profiter des avantages du pays (la France) ! Le reste de la lettre est encore plus abject et ne mérite pas qu’on le relaie. Je découvre cela au moment où je m’apprête à rédiger l’homélie de la fête de l’Epiphanie ; et je m’interroge : avons-nous le droit de célébrer encore cette fête quand des français, blancs apparemment, élevés sans doute au lait du christianisme, en arrivent à écrire pareilles horreurs ! Avons-nous le droit de célébrer l’Epiphanie, quand des responsables politiques, soucieux pour une fois d’installer une crèche dans les espaces publics, en retirent toutefois Melchior au motif qu’il est noir ?

La fête de l’Epiphanie, rappelons-le, nous fait célébrer la révélation du Fils unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait (oraison de la solennité). Dieu lui-même convoque ainsi tous les peuples de la terre, quelles que soient leurs croyances ou leurs origines, à reconnaître en l’Enfant de la crèche le Fils qu’il a envoyé pour sauver tous les hommes qu’il a créés ! Ce faisant, c’est bien lui, Dieu, qui appelle tous les hommes à une fraternité universelle ; c’est bien lui, Dieu, qui nous oblige à reconnaître en tout homme un frère à accueillir, un frère à aider, un frère à aimer. Ceux que Dieu convoque ainsi dans la maison commune de notre humanité, puis-je moi les renvoyer au prétexte qu’ils n’ont pas la bonne couleur ? Ceux que Dieu aime d’un amour unique, puis-je moi les haïr au prétexte qu’ils me prendraient quelque chose qui me reviendrait de droit ? Ceux que Dieu a créés dans son unique amour, puis-je moi les anéantir au prétexte que je ne m’en reconnais pas le frère ? Comment puis-je seulement servir un tel Dieu qui semble faire tout son possible pour me contrarier ? Vous comprendrez bien, sœurs et frères en Christ, que c’est à celui qui refuse le projet d’amour de Dieu pour tous les hommes de changer et de se convertir, et non à Dieu de changer de projet. Vous comprendrez bien que c’est celui qui refuse ce projet d’amour qui doit s’ouvrir aux autres, et non aux autres de se retirer de sa présence. La terre que Dieu nous donne ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de l’humanité. La France ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de tous ceux et celles qui veulent vivre dans la liberté, la fraternité et l’égalité, d’où qu’ils viennent au départ, quelles que soient leurs opinions, leur foi ou leur non foi. Le refus de l’autre jusqu’à le menacer de mort n’est pas une opinion. Et notre pays devrait s’en souvenir, particulièrement après les camps de la mort que nos grands parents ont connu. 

Aujourd’hui, des étrangers viennent à la rencontre du Fils de Dieu, à l’invitation de Dieu lui-même. Aujourd’hui, nous sommes invités par Dieu lui-même à nous reconnaître tous frères, en ce Christ qu’il nous offre. Les lectures de cette fête nous montrent bien que ce n’est pas une nouvelle idée de Dieu : c’est un projet ancien, c’est l’unique projet de Dieu depuis les commencements. C’est l’unique projet de Dieu depuis qu’il s’est choisi un peuple particulier pour être lumière pour toutes les nations : les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore, prophétisait Isaïe. Et Paul, approfondissant l’enseignement reçu du Christ par les Apôtres, affirme aux Ephésiens : ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. Puisque l’Evangile est Bonne Nouvelle, nous ne saurions accepter des propos qui en réduisent la portée, ni des actes contraires à son enseignement. Regardons ce que ces étrangers nous apportent au lieu de ne voir que ce qu’ils seraient susceptibles de nous prendre. Regardons et apprécions l’or, l’encens et la myrrhe de ces rencontres avec celui qui nous est différent mais non indifférent, de celui qui nous est autre mais non hostile. Rejetons de notre vie les germes d’Hérode qui ira jusqu’à massacrer les nouveau-nés d’Israël, parce qu’incapable de s’ouvrir à la nouvelle d’un Dieu fait homme, d’un nouveau Roi pour l’univers. Cultivons le message des anges reçu à Noël et amplifié par cette Epiphanie : ils chantaient la gloire de Dieu et la paix pour tous les hommes que Dieu aime ! 

Pouvons-nous encore célébrer l’Epiphanie aujourd’hui, interrogeais-je en début d’homélie ? Nous le pouvons et nous le devons, pour toujours nous souvenir de l’unique projet de Dieu et le rendre toujours plus actuel, toujours plus réel. Ce que Dieu a accompli en Jésus Christ, poursuivons-le et vivons-le intensément. Ainsi nous participerons à construire ce monde où tous les hommes vivent en frères, par la grâce de Dieu et la volonté de son peuple. Amen.


(Jérôme BOSCH, L'adoration des Mages, vers 1510)

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