Il arrive, par le plus grand des hasards
ou alors parce que Dieu a beaucoup d’humour, que les textes que nous entendons
le dimanche à la messe, rejoignent parfaitement ce que nous vivons à un moment
donné de notre histoire. Je crois que c’est le cas en ce dimanche précis de
l’année 2019 où nous sommes appelés aux urnes pour désigner, au-delà de nos
représentants au Parlement Européen, quel genre d’Europe nous voulons. Et c’est
l’extrait du livre des Actes des Apôtres qui vient justement nous provoquer sur
cette question.
Je m’explique. La question qui se pose à
la jeune communauté croyante, dont nous suivons l’évolution depuis Pâques, est
celle de son ouverture… ou non. Nous sommes après le premier voyage
missionnaire de Paul. Malgré les difficultés rencontrées, nous pouvons dire que
cette expérience fut une réussite. Des peuples étrangers sont venus à la foi au
Christ, mort et ressuscité. Et ces peuples n’étaient pas forcément juifs au
départ. Si Paul a bien pris soin de s’adresser toujours en premier à ceux issus
de sa religion, il n’a pas hésité, devant les réticences de certains
responsables juifs, à se tourner vers les païens. L’Evangile du Salut
rencontrait là un écho favorable. Les membres de la jeune communauté auraient
dû se réjouir de ce que le Christ soit de plus en plus connu. Mais non, il
s’est trouvé des esprits chagrins pour aller dire à ces peuples qu’ils ne
pouvaient pas devenir chrétiens sans avoir d’abord été circoncis, donc sans
avoir d’abord été juifs. Pas d’étrangers chez nous ; ou ils deviennent
comme nous ou ils ne seront pas des nôtres. L’assemblée de Jérusalem allait trancher
cette question. Que décidera-t-elle ? Que l’Eglise naissante doit se
recroqueviller sur elle-même, n’acceptant personne qui ne fut d’abord
juif ? Ou allait-elle donner quitus à l’Esprit Saint qui se manifestait
quand, où et comme il l’entendait ?
Il faut bien se rendre compte que ce n’est
pas là une petite histoire sans importance. Ici, à Jérusalem, dans cette
assemblée, allait se jouer l’avenir de la communauté de ceux qui reconnaissent
en Jésus leur Sauveur. Pourquoi ? Parce que si elle faisait le choix du
repliement sur ses origines, elle serait à terme condamnée à disparaître !
Et Paul, dans ses lettres, ne cache pas le danger réel pour les croyants. Si la
mort et la résurrection du Christ ne suffisent pas pour être sauvé, alors le
Christ est mort pour rien. Si l’obéissance à la Loi devait rester première,
alors connaître le Christ ne servirait à rien. Au mieux, cette bande de
chrétiens serait un courant de pensée parmi d’autres dans le judaïsme de
l’époque. Mais si la mort et la résurrection du Christ change quelque chose
dans les rapports entre l’homme et Dieu, alors la Loi devient seconde, et le
salut est bien accordé par la foi que le fidèle accorde à Jésus qu’il reconnaît
comme Messie, Christ et Sauveur. Le chemin vers le salut, pour le chrétien,
c’est le Christ. Et l’Eglise peut donc, sans danger aucun pour elle, s’ouvrir à
toutes les nations vers lesquelles le Ressuscité envoie ses disciples. Le
groupe des croyants n’existe pas pour lui-même : il existe pour et par les
hommes qui le composent ; il existe pour et par les hommes qui le
rejoignent. L’ouverture aux autres n’est pas une option ; c’est une
nécessité vitale pour être fidèles à l’ordre donné par le Christ ressuscité
lui-même : Allez, de toutes les
nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du
Saint Esprit.
La question de l’ouverture nous est posée
aujourd’hui : voulons-nous une Europe dont les peuples se replient tous
sur eux-mêmes, avec des frontières bien hautes pour éviter à d’autres de nous
envahir, ou voulons-nous une Europe de la rencontre et donc une Europe de la
Paix ? Faut-il rappeler que, pour la première fois de son histoire, ce
continent connaît 70 ans de paix, alors que quand nous vivions tous dans notre
pré carré, nous ne cession de désirer et d’envahir celui des autres ? Est-ce
cela que nous voulons pour nos vieux jours ? Est-ce cela que nous voulons
pour nos enfants ? Notre région si particulière n’a-t-elle pas assez
souffert de ces déchirements, de ces jalousies, de ces conflits ?
Mais revenons à la jeune communauté
croyante. Comment a-t-elle décidé ? La réponse est simple et
limpide : ils se sont tous réunis, ceux qui étaient pour et ceux qui
étaient contre, ils en ont discuté, ils se sont écoutés, ils ont prié et la
décision s’est imposée : L’Esprit
Saint et nous avons décidé… Ils n’ont pas mis la question sous le
tapis ; ils ne se sont pas repliés chacun dans leur camp ; ils ont
discerné, réfléchi à ce qu’était le projet de Dieu pour les hommes. Il faudrait
relire tout le chapitre 15 du livre des Actes des Apôtres pour bien comprendre.
Ils ne sont pas restés bloqués juste à leur sentiment : je like ou je ne
like pas ! J’aime ou pas ! J’aime sa tête ou je ne l’aime pas. Ils
ont écouté comment Pierre, sur l’ordre du Christ, était allé à la rencontre
d’un centurion romain, et l’avait baptisé avec toute sa famille ; ils ont
écouté Jacques qui a redis le projet de Dieu, rappelant les paroles des
prophètes de la première Alliance. Et ils sont tombés d’accord. Un long
processus, sous le signe de la Parole de Dieu.
N’avons-nous pas à faire de même
aujourd’hui ? Chrétiens, nous ne pourrons pas rester chez nous, en disant
cela ne sert à rien. Et de toute manière, untel ou unetelle va gagner. Que j’y
aille ou pas ne changera rien. Nous avons notre part à prendre dans cette
grande question de l’Europe. Mais nous ne pouvons pas le faire sur notre
sentiment, ni contre untel qui est jugé incapable chez nous. Nous avons à dire
si nous faisons le choix de la paix par l’ouverture aux autres, ou si nous
prenons le risque du repli et des conséquences que ce repli a toujours
entraîné : l’instabilité au mieux, la guerre au pire. Parce que quand les
peuples se replient, ils finissent toujours par se comparer d’abord, à envier
ce qu’à l’autre ensuite, pour finalement aller le prendre par la force. Parce
qu’il vaut mieux que cela aille le mieux possible chez nous, même si l’autre
doit s’enfoncer dans la misère. Alors que nous pourrions décider de partager !
Le Christ lui-même ne nous invite-t-il pas à l’amour inconditionnel pour
tous ? Il nous dit aujourd’hui : Si
quelqu’un m’aime, il gardera ma parole (…). Celui qui ne m’aime pas ne garde
pas mes paroles. La parole du Christ nous fait tous frères ; la parole
du Christ nous fait l’obligation d’aimer ; la parole du Christ nous fait
l’obligation d’aider le petit et le faible. Ce
que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que
vous l’avez fait.
Nous ne sommes pas moins chrétiens quand
nous votons que lorsque nous allons à la messe : les mêmes vertus sont à
mettre en œuvre dans les deux cas. Mais nous serons moins chrétiens, donc moins
humains, si, par peur, nous choisissons le repli, la fermeture à l’autre,
l’exclusion de celui qui est différent. Demandons à l’Esprit Saint de nous éclairer
encore, de nous faire comprendre toute la profondeur de la Parole de
Dieu ; qu’il nous éclaire dans nos décisions, petites ou grandes. Qu’il
nous montre où est le bien commun du plus grand nombre. Que notre conscience,
éclairée par l’Esprit Saint qui nous enseigne
tout, et nous fait souvenir de tout ce que [le Christ nous a] dit, nous
permette de faire entendre notre voix, et nous pousse à construire un monde de
paix, de liberté, d’égalité et de fraternité, pour nous et pour tous les
peuples de la terre, aujourd’hui et toujours. Amen.
(Tableau de Sieger KÖDER, La fenêtre ouverte)
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