(en vous priant de m'excuser pour cette publication tardive)
Il y a toujours un risque avec les textes
bibliques, surtout lorsqu’ils sont sévères ; et ce risque, c’est de croire
qu’ils ne sont écrits que pour les autres. Ainsi, cette invective de Jean le
Baptiste à l’adresse des pharisiens (Engeance de vipères !) ou
encore ces images du Messie qui vient nettoyer son aire à battre le blé et
[amasser] son grain dans le grenier. Il y aurait les autres (ceux qui
seront nettoyés, autrement dit dégagés, mis dehors) et il y a nous, les bons,
les croyants, le grain que le Messie rassemblera dans son grenier. Comme
si, depuis toujours et pour toujours, le monde se divisait en deux : les
bons et les méchants, et que toute l’œuvre de Dieu consistait à séparer,
définir une fois pour toutes qui est bon et qui est méchant.
Les choses ne sont heureusement pas si
simples. Il nous faut entendre Jean le Baptiste s’adresser à nous tous et à
chacun de nous en particulier. Il nous faut l’entendre nous dire que le Messie
vient nettoyer son aire à battre le blé, c’est-à-dire notre vie, puisque
nous sommes à lui. Il vient faire de l’ordre dans notre vie, il vient lui
donner du sens et de l’unité, en en chassant ce qui est mauvais et en donnant
de la valeur à ce qui est bon. Le bon grain et la paille, ce ne sont pas
deux sortes d’hommes, mais c’est ce qui cohabite dans chaque existence humaine.
Une seule, selon notre foi, n’était que bon grain, et c’est Marie ; la
fête de l’Immaculée conception que nous célébrerons lundi, le redira avec
force. Si donc le bon grain et la paille cohabitent en notre vie, il
nous faut entendre Jean le Baptiste et le prendre au sérieux. C’est nous tous
qu’il vient secouer avec son discours pour que nous soyons prêts à accueillir
Celui qu’il annonce. C’est nous tous qu’il vient bousculer avec son style de
vie radical pour que nous « radicalisions » notre foi, non pas au
sens de la durcir ou de la fanatiser, mais de la faire revenir à ses racines,
que nous comprenions qu’elle fait partie de nous, de notre nature profonde.
Nous pourrions aussi comprendre cette radicalité au sens chimique du terme, ce
qu’on appelle un radical organique, c'est-à-dire une partie d’un composé
moléculaire qui reste inchangée dans une réaction (définition du Larousse, éd.
1993). Notre foi ne se laisserait pas influencer par l’air du temps, ne
changerait pas au gré des modes. Attachés au Christ, nous le sommes ;
attachés au Christ, nous le resterons, quand bien même le monde se détournerait
massivement de Lui.
Pour Jean le Baptiste, il semble clair que
l’homme ne peut pas jouer au culbuto, vous savez, ce petit jouet d’enfant qui
n’a pas de base fixe et qui se balance sur lui-même dès qu’on le pousse un peu.
Il penche tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en avant et tantôt en
arrière, ne semblant jamais se décider où aller et se tenir. A la moindre
agitation, le voilà qui culbute. C’est l’image de l’homme qui, à l’intérieur de
lui-même, n’est pas unifié. Le Messie vient pour lui ; il n’aura plus à
pencher tantôt vers le Mal, tantôt vers le Bien ; il n’aura plus à
hésiter : le Messie vient brûler en lui, au feu de son Esprit, la paille
de son inconsistance, de son péché. Ce que l’homme doit faire, c’est choisir
Celui qui vient ; ce que l’homme doit faire, c’est accueillir Celui qui
vient. C’est ce que nous demandions dans la prière d’ouverture de cette
messe : Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le
souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton
Fils ; mais éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à
l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie. Une autre belle image
pour dire que nous devons être unis à lui, amassés dans son grenier, parce
que nous sommes faits pour vivre avec Dieu et en Dieu, pour toujours.
A ceux qui ne savent toujours pas choisir,
à ceux chez qui le réflexe du culbuto est le plus fort, Paul rappelle alors
dans sa lettre aux Romains, qu’il existe une méthode sûre pour apprendre à
accueillir celui qui est venu et qui ne cesse de venir dans nos vies :
cette méthode, c’est la Lectio Divina, la lecture des Ecritures Saintes. Tout
ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints l’a été pour nous
instruire. Là nous pouvons lire comment Dieu fait tout pour notre salut. Là
nous pouvons trouver notre équilibre, l’équilibre de notre vie intérieure, le
sens profond des choses. Là nous comprenons que Dieu nous appelle à la
vie ; que Dieu nous donne sa Parole pour nous instruire ; que Dieu envoie
son Fils pour nous sauver. Que pourrait-il faire de plus pour nous dire son
amour ? Que devrait-il faire de plus pour nous convaincre de
l’accueillir ? Par le réconfort des Ecritures, il nous donne l’espérance
que ses promesses seront notre réalité. Dieu ne parle pas dans le désert pour
le plaisir de parler dans le désert. Quand Dieu parle dans le désert, le désert
refleurit, la vie reprend.
En ce deuxième dimanche de l’Avent,
permettons à Jean le Baptiste d’être la voix qui crie dans le désert de
notre vie ; mais permettons-lui surtout d’être la voix qui, portant la
voix de Dieu, fécondera notre désert et le rendra propre à accueillir celui qui
vient. Si le salut vient de Dieu – il n’y a pas à en douter –, sa réalisation
dépend en partie de nous, de l’accueil que nous lui réservons. Avec Jean le
Baptiste pour nous réveiller, nous devrions y parvenir. A son invitation, préparons
le chemin du Seigneur, rendons droits ses sentiers. Il pourra habiter nos
cœurs et établir sa demeure en nous. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année A, éd. Les Presses d'ile de France)
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