Quiconque a en tête l’évangile de
dimanche dernier et entend celui de ce jour avec attention n’aura pas manqué de
remarquer une légère différence de style entre Jésus et Jean le Baptiste. Pour
ceux qui auraient eu leur mémoire balayée par le vent fort de ces derniers
jours, un petit rappel : dimanche dernier, Jean le Baptiste s’exprimait
ainsi : Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi… Lui vous
baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient dans sa main la pelle à
vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans
le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. C’était
plutôt revigorant et clair : tu te convertis ou t’es perdu, car celui que
j’annonce ne fera pas dans le détail !
Nous retrouvons Jean le Baptiste
aujourd’hui, en fâcheuse posture, puisqu’il est au fond d’une cellule : il
ne fait pas bon déplaire au pouvoir en place à son époque. Une phrase de trop,
et le voici embastillé. Il est en proie au doute, on peut le comprendre. Ce qu’il
entend de Jésus est loin de la pelle à vanner, du grand nettoyage promis ;
pas même un bon bûcher à l’horizon pour brûler toute la paille qu’il aurait dû
séparer du bon grain. Se serait-il trompé, Jean le Baptiste ? Trompé non
pas dans ce qu’il a dit, mais quant à celui qui le suivrait. Il envoie donc des
disciples s’enquérir de la réalité. Et la réalité est celle que Jésus décrit
dans la réponse à transmettre à Jean : les aveugles retrouvent la vue
et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent,
les morts ressuscitent et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. A celui
qui connaît un peu les prophètes et leur message, ces paroles sont familières ;
le fait que Jésus annonce cela non plus comme un futur, mais comme la réalité
présente signifie que le temps de Dieu est venu, que le temps de la réalisation
des promesses faites aux prophètes est là. Dieu est à l’œuvre en ce monde, en
ce temps ; les signes sont on ne peut plus clair. Voilà de quoi rassurer
Jean le Baptiste ; voilà de quoi inquiéter ses contemporains.
S’il y a bien un style différent
entre Jésus et Jean le Baptiste, la même urgence les habite : celle de la
conversion des hommes. La différence de style vient de la différence qui existe
entre les deux cousins. Bien que donné par Dieu à sa mère Elisabeth dans sa vieillesse,
Jean n’en est pas moins juste un homme. Il utilise les moyens qui sont à sa
disposition comme homme. Il avertit, il témoigne, il appelle à la conversion en
brandissant la menace d’un pire. Jésus, bien que donné par Dieu à sa mère Marie
dans sa jeunesse, n’en est pas moins Dieu. Et c’est toute la puissance de Dieu qui
se déploie en lui et à travers lui : Dieu qui guérit, Dieu qui purifie, Dieu
qui redonne vie. Les hommes auraient tort, tout comme nous aurions tort, de s’arrêter
à la différence de style. L’hommage que Jésus rend à Jean le Baptiste en
témoigne : C’est de lui [de Jean le Baptiste] qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant
toi. Il y a un lien fort entre ces deux hommes ; ce lien, c’est le service
du projet de salut de Dieu pour les hommes. Celui qui prépare la route, et
celui qui accomplit la route. L’un ne va pas sans l’autre. Si personne n’annonce,
qui sera capable de reconnaître le jour du salut ? Si personne ne met en œuvre
les promesses de Dieu, pourquoi quelqu’un devrait se fatiguer à préparer le
chemin ?
Ce qui compte donc, c’est que nous
comprenions bien ce qui se joue quand Jésus est là, présent au milieu de son
peuple. Ce qui compte, c’est que nous reconnaissions les œuvres de Jésus comme
étant les œuvres de son Père, les œuvres de Dieu lui-même. Ce qui compte, c’est
que nous nous interrogions et écoutions la réponse portée à Jean. Elle doit
nous faire comprendre qu’il n’est plus temps de tergiverser ; il n’est
plus temps de faire comme si nous ne savions pas. Les signes sont clairs ;
ils parlent d’eux-mêmes à ceux qui scrutent les Ecritures. Ce qui compte, c’est
que l’homme ne s’éloigne pas de Dieu en voyant Jésus faire : Heureux
celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! Admirable béatitude qui ne condamne pas le
doute de Jean le Baptiste ! Admirable béatitude qui invite l’homme à
reconnaître en Jésus celui qui sauve, celui qui relève, et non celui qui fait
tomber. Admirable béatitude qui nous redit que Jésus, le Messie, est bien venu
au milieu de nous et que nous pouvons le choisir et l’accueillir dans notre vie.
Nous pouvons reprendre les mots de
la prière qui nous invitait à entrer en célébration en ce troisième dimanche de
l’Avent : Aujourd’hui tu viens. Et « venir » est bien plus « qu’être
là » ! Ne sois plus cette vieille connaissance dont l’on croit tout
savoir. Viens chez nous et surprends-nous encore ! (Prière de Jean
Lievens, prêtre du diocèse de Liège). Laissons-nous surprendre par Jésus,
étonnons-nous de lui et de ses œuvres, comme Jean le Baptiste s’en est étonné. Et,
plutôt que de nous inquiéter, réjouissons-nous de sa présence au milieu de
nous. Il est venu nous sauver, et il le
fait, car tel est le projet de Dieu pour nous. Puisque, en Jésus, Dieu est bien
venu chez nous, faisons en sorte qu’il soit le bienvenu dans notre vie. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année A, éd. Les Presses d'Ile de France)
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