Et si les mages n’étaient pas
venus ? Ne vous êtes-vous jamais posés la question de savoir si cela
changerait quelque chose à l’histoire de Noël ? Nous manqueraient-ils, les
mages venus d’Orient ? Si les mages n’étaient pas venus, cela
changerait-il quelque chose à l’histoire du Salut ? Notre foi en
serait-elle affectée ? Ce sont les questions qui m’ont travaillé au moment
où il a fallu réfléchir l’homélie de ce jour. Je vous livre mes réponses.
Si les mages n’étaient pas venus,
cela changerait-il quelque chose à l’histoire de Noël ? Oui et non. Non,
parce que l’Enfant Dieu est né sans eux. Il est l’Enfant de la promesse faite à
Marie et à Joseph que Dieu leur donnerait son Fils, Jésus – Emmanuel, pour dire
son salut à son peuple, pour dire sa proximité avec son peuple. L’histoire de
Noël en elle-même, si nous la limitons à la naissance de Jésus, à une époque
donnée, dans un lieu donné, dans une famille donnée, n’a pas besoin des mages
venus d’Orient pour être une belle histoire. Des enfants qui naissent, même
pauvrement, il y en a eu avant lui ; des enfants qui naissent, même
pauvrement, il y en a encore aujourd’hui. Et malgré les difficultés que peut
engendrer la naissance d’une bouche de plus à nourrir, c’est toujours plutôt un
heureux événement, au moins pour la femme qui accouche, et pour le père, s’il
est présent. Tenir entre ses mains le fruit de ses entrailles, le fruit de son
amour, ce n’est pas rien.
En même temps, si les mages
n’étaient pas venus, cela changerait quand même tout à l’histoire de Noël. Elle
aurait un côté moins dramatique, qui est réel, même si la nuit de Noël nous
semblons tous l’oublier. Si les mages n’étaient pas venus, Hérode n’aurait pas
été informé de cette naissance et le massacre des Saints Innocents n’aurait pas
eu lieu. Ils n’en sont pas responsables, ils ne l’ont ni commandé, ni
recommandé, ce massacre. Mais leur visite au palais a éveillé la peur et la
méfiance d’Hérode, au point qu’il en fut bouleversé et tout Jérusalem avec
lui, comprenons tout ce que Jérusalem compte de gens puissants et
importants. Un temps de scrutation des Ecritures plus tard, voilà qu’Hérode, en
secret, les renvoie avec une consigne qui peut sembler normale : Quand
vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me
prosterner devant lui. Mais Hérode est un animal politique qui ne souffre
pas de concurrence. Dieu l’a bien compris, lui qui fait rentrer les mages dans leur
pays par un autre chemin.
Si les mages n’étaient pas venus, cela
changerait-il quelque chose à l’histoire du Salut ? Cela affecterait-il
notre foi ? Je crois bien que cela changerait tout, et peut-être même que
nous ne serions pas ici ce matin, ni aucun autre dimanche. Parce que cette
venue des mages venus d’Orient nous concerne, nous tout
particulièrement. Ah, nous sommes tellement habitués à être chrétiens que nous
ne nous en rendons plus compte. Mais sans les mages, comment aurions-nous su
que la foi au Dieu d’Israël nous concernait ? Comment aurions-nous su que
le Dieu qui a libéré son peuple d’Egypte, que le Dieu qui s’est donné un peuple
particulier sur une terre particulière, assez éloignée de nous, comment
aurions-nous su donc que ce Dieu s’intéressait aussi à nous qui n’étions alors
que des païens ? Comment aurions-nous su que cette naissance ne concernait
pas que Marie et Joseph ? Comment aurions-nous su que cette naissance ne
concernait pas que les pauvres de Judée, dont les bergers sont les
représentants ? Comment aurions-nous su que cette histoire allait changer
l’Histoire même des hommes, de tous les hommes, parce que désormais ils ont tous
accès au Salut que Dieu propose. Par leur venue, par leurs cadeaux, ils nous
enseignent beaucoup. Ils nous disent d’abord, par leurs dons, qui est cet
Enfant qui vient de naître pauvrement, dans une mangeoire. Avec l’or, ils nous
rappellent que cet enfant est roi ; par l’encens, ils nous disent qu’il
est Dieu ; par la myrrhe ils nous font comprendre que, tout en étant tout
cela, il n’en est pas moins totalement homme et qu’il connaîtra donc la mort et
la sépulture.
Si les mages n’étaient pas venus, comment
aurions-nous compris qu’on peut partir de très loin pour rejoindre le
Christ ? (Pape François, Admirabile Signum, 01er
déc. 2019) Ce qui compte peut-être encore plus que leur venue, c’est le chemin
qu’ils ont parcouru pour venir à Bethléem. Peut-être n’avaient-ils jamais
entendu parler du Dieu d’Abraham, mais ils se sont mis en route à la vue d’un
signe dans le ciel. Ils sont des chercheurs de Dieu et viennent nous dire qu’il
n’est jamais trop tard pour se mettre en route ; ils viennent nous dire que
nous ne sommes jamais trop éloignés de Dieu pour décider de nous mettre en
route. Avec eux, tous les peuples de la terre peuvent aider à l’accomplissement
du destin d’Israël : être la lumière vers laquelle marcheront les nations
(voir Isaïe). Nos ancêtres étaient de ces nations ; nous étions des
étrangers pour ce Dieu. Et pourtant, en envoyant son Fils dans le monde, il se
rend proche, non seulement de son peuple, mais de tous les peuples. Il se fait
proche de nous pour nous dire qu’il désire être notre Dieu à nous aussi, et
qu’il veut nous sauver, nous aussi, même si nous ne faisions pas originellement
partie du peuple élu. Désormais nous sommes intégrés à ce peuple : toutes
les nations sont associées au même héritage, écrira Paul aux
Ephésiens après la mort et la résurrection de Jésus. Les mages venus
d’Orient nous le disent dès la crèche, dès la naissance de Jésus. Notre foi
en a été affectée parce que notre foi, à nous païens Gaulois, Celtes, Germains
ou Romains, en a été rendue possible.
Au-delà du côté traditionnel et
gastronomique de la fête de l’Epiphanie, il nous faut considérer son aspect
spirituel, et son importance pour nous. Les mages venus d’Orient sont
chaque homme qui décide un jour d’aller à la rencontre de ce Dieu qui a libéré
son peuple d’Egypte il y a très longtemps ; ils sont chaque homme qui se
met en route vers ce Dieu qui s’est incarné en Jésus pour sauver tous les
hommes ; ils sont chaque homme qui découvre un signe de ce Dieu dans sa
vie et qui laisse tout pour aller à sa rencontre. Aujourd’hui, avec eux, nous
qui n’étions pas Juifs de naissance, nous sommes venus et nous sommes les
bienvenus dans cette crèche. Aujourd’hui, nous pouvons plier genou devant cette
mangeoire et reconnaître en Jésus notre Roi, notre Dieu, notre Frère en
humanité. Offrons-lui notre vie, à lui qui nous offre celle de Dieu. Amen.
(Enluminure de Frère Jacques)
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