Ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque
chose d’étrange dans ce passage d’Evangile ? Jésus, encore un parfait
étranger à ce moment-là de l’évangile de Matthieu, apprenant l’arrestation
de Jean le Baptiste, commence sa mission. Jusque-là tout va bien : des
prédicateurs, des maîtres de la Loi, cela ne manque pas en Judée, Samarie ou
Galilée. Rien de choquant ! D’autant plus que Jean le Baptiste avait
fortement marqué les esprits et pris les devants. Non, ce qui est surprenant,
c’est la suite (l’appel des premiers disciples), ou plutôt la manière dont
cette suite se passe. Parce qu’un maître qui a des disciples, ça ne manque pas
non plus en Judée, Samarie ou Galilée.
En règle générale, ce sont les disciples
qui se choisissent un maître ! Je décide l’enseignement que je désire
suivre. Les gens qui venaient au
Baptiste, ce n’est pas lui qui les a appelés ; ce sont eux qui sont venus
vers lui. Et vous trouverez cela dans toute l’Antiquité. Voyez en Grèce, les
grands philosophes ; leurs disciples sont venus à eux ! Jésus, lui,
appelle : Simon et André, Jacques et Jean, ne l’ont pas entendu
prêcher ; ils étaient chacun occupés, qui à jeter les filets dans la
mer (donc un peu loin du rivage quand même !), qui à réparer leurs
filets au retour de la pêche. Dans les deux cas, il est dit : Jésus vit
deux frères. Il ne les connaît pas, pas plus qu’eux ne le connaissent.
Pourtant, il les appelle et plus curieux encore, ceux-ci obéissent : Aussitôt,
ils le suivirent. Nous ne savons rien de ce qui a poussé Jésus choisir ces
quatre-là. Nous n’en savons pas plus sur les motivations de ces quatre pour
ainsi tout laisser et partir à la suite de cet étranger qui appelle. Mais il y
a un fait : quand Jésus appelle, les hommes se bougent. Nous pourrons
interroger les textes longtemps ; nous n’en saurons pas plus. Nous ne
saurons pas pourquoi Jésus n’en a pas appelé d’autres à ce moment précis de son
histoire ; nous ne saurons pas ce qui a déclenché l’envie de suivre Jésus
chez ceux qu’il a ainsi appelé. Nous devons nous contenter des faits et en
tirer un enseignement pour nous.
Le premier enseignement à tirer pour nous,
c’est que Jésus appelle, nous appelle. Il nous faut donc être attentifs comme
Pierre et André, comme Jacques et Jean. Jésus ne semble pas avoir de critère
particulier. Il voit, il appelle à suivre. Mais le fait qu’il appelle, par deux
fois, deux frères, est peut-être un signe de ce qu’ont à vivre ceux qu’il
appelle. Ils ont à vivre quelque chose de cette fraternité qui désormais va
au-delà des liens du sang. Peut-être ces deux fratries sont-elles pour nous un
appel à vivre entre nous, qui suivons le Christ aujourd’hui, cette fraternité
qui unissait Simon et André, ainsi que Jacques et Jean. Il nous faudra un jour
nous interroger sur les contours de cette fraternité, qui n’a rien à voir avec
le pays des bisounours. Mais c’est posé comme un jalon clair : ceux qui
suivront Jésus seront frères, différents, mais frères.
Le deuxième enseignement, c’est que nous
ne pouvons pas remettre à demain la réponse. Aussitôt, ils le suivirent.
Il y a une réelle urgence à se décider sur le champ pour celui qui appelle.
Quand l’appel est lancé, la réponse est attendue. Elle ne peut être que oui ou
non ; jamais peut-être. Et elle doit être sans regret : laissant leurs filets, laissant la barque et
leur père, ils le suivirent. Il y
a une sorte de radicalité dans cet appel, en tous les cas une urgence qui ne
souffre ni délai, ni atermoiement. C’est tout de suite qu’il nous faut
répondre. Et je dirai mieux : c’est chaque jour qu’il faut répondre à
nouveau. Chaque matin, il nous faut refaire le choix de Jésus ; chaque
matin, il nous faut refaire le choix de la fraternité. Elle peut être blessée,
la fraternité ; personne n’est parfait. Mais elle est à choisir à nouveau,
sans délai. Elle est le signe de l’attachement à Jésus.
Le troisième
enseignement, c’est la mission qu’il confie d’emblée à ceux qu’il a
appelés : être pêcheur d’hommes. Autrement dit, en entraîner d’autres à la suite de Jésus. Ceux qu’il a
appelés seront ses témoins, ses ouvriers, ses chargés de mission. Ils sont
appelés à travailler avec leur maître. Pas pour eux, pas pour lui, mais avec
lui pour les autres. C’est la mission de chaque baptisé aujourd’hui. C’est
notre mission à nous tous ici présents. Quand les cloches sonnent le
rassemblement, c’est Jésus qui renouvelle son appel à le suivre. Quand la
communauté cherche des hommes et des femmes pour une tâche particulière, c’est
Jésus qui appelle à le suivre. Quand la fraternité est blessée et qu’il faut
reconstruire, c’est Jésus qui appelle à le suivre.
Vous pouvez
penser que c’est un étrange étranger, ce Jésus qui appelle ; vous pouvez
penser que ce sont d’étranges étrangers, ces hommes qui répondent sans
réfléchir. Mais ils sont le début de ce qui est aujourd’hui notre Eglise.
Serons-nous d’étranges étrangers qui choisissent, à la suite du Christ, de
vivre la fraternité ? Ou resterons-nous d’étranges étrangers, prompts à
juger, à condamner, à dénoncer ? Le choix est nôtre : Jésus a
appelé ; il nous faut répondre. Amen.
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