Comment évangéliser ? Comment rendre
le Christ présent ? Comment donner envie de le suivre ? La liturgie
de ce dimanche propose des réponses qui peuvent se résumer dans l’enseignement
de Jésus à ses disciples (et non à la foule) : Vous êtes le sel de la
terre… Vous êtes la lumière du monde. Tout est dit, et en même temps tout
reste à faire. Parce qu’il n’y a pas une seule manière d’être lumière ou sel. Comment
être sel et lumière dépendra du lieu où vous êtes, du moment où vous êtes, des
personnes que vous rencontrez. C’est une question d’adaptabilité, de souplesse.
Mais si les circonstances peuvent influer sur notre manière d’être sel et lumière,
il n’en subsiste pas moins un cadre de départ.
Ce cadre, le prophète Isaïe le donnait
déjà à ses contemporains. N’oublions pas que la vocation d’Israël est d’être
lumière qui attire à Dieu toutes les nations de la terre. Ce qu’il dit à son
peuple est donc encore valable pour nous. Son enseignement est simple et
concret : il est composé de deux volets. Le premier nous tourne vers les
autres : Partage ton pain avec
celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu
verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Le second nous
tourne vers nous-même, et nous appelle à une constante conversion : Fais
disparaître de chez toi le joug (comprenons ce qui opprime l’autre), le
geste accusateur, la parole malfaisante : voilà comment ta lumière
se lèvera dans les ténèbres. Il ne s’agit pas seulement de bien agir avec
ceux qui ont moins de chance que nous ; il s’agit aussi de chasser le Mal
de notre vie, de refuser de le propager par une parole perfide ou des gestes
qui enferment. C’est certainement plus compliqué parce que cela demande un
travail sur nous-mêmes, une attention plus grande à nous-mêmes, à nos
réactions, à nos émotions. Nous sommes souvent lestes à les dénicher chez les
autres ; mais le prophète nous dit que c’est de notre vie qu’il faut
chasser gestes méchants et paroles malfaisantes. Nous ne pouvons pas être
lumière tant que nos actes et nos paroles excluront, blesseront, rejetteront,
quand bien même nous aurions été blessés. D’où l’importance du pardon à
demander et à accorder ; car personne ne peut se contenter d’un : « oh
vous savez, c’est lui ; ce n’est pas grave s’il vous a insulté ou s’il
parle mal de vous ; il est comme ça ! » Et je me rends compte
alors d’une double réalité : je m’empêche moi-même d’être lumière du
monde et sel de la terre en cédant au mal ; mais les autres
aussi peuvent m’empêcher de l’être en m’enfermant dans l’image qu’ils se font
de moi et qu’ils m’empêchent de décoller. Nous sommes responsables les uns des
autres, nous sommes collectivement responsables d’être lumière du monde et
sel de la terre.
Paul donne un autre aspect de ce cadre que
le prophète a commencé à poser : c’est l’humilité nécessaire pour
présenter Jésus Christ. C’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant,
que je me suis présenté à vous. Peut-être justement parce nous sommes
responsables les uns des autres. Je ne dois ni imposer mon Dieu, ni attendre d’être
parfait pour parler de lui ; je risquerai de n’en parler jamais. L’humilité
me permet de me situer en vérité devant Dieu et devant les autres. Je peux
alors entrer en conversation avec le monde, sans chercher à le convaincre. Témoigner
n’est pas imposer, ni vouloir à tout prix convertir. Dieu seul convertit les cœurs
par sa puissance et son Esprit. Je peux juste donner à voir ce qu’il fait déjà dans
une vie d’homme, la mienne. Et je peux voir aussi tout ce qu’il lui reste à
accomplir en moi ; d’où l’humilité nécessaire.
Nous ne pouvons pas renoncer à être lumière
du monde et sel de la terre. Il nous faut sans cesse demander la
grâce de l’être plus, de l’être mieux. Et si notre péché et nos limites obscurcissent
nos vies, souvenons-nous du pardon à célébrer. Dieu fera rejaillir la lumière
dans nos vies ; il redonnera goût à notre sel. Ne nous empêchons pas de le
redevenir ; n’empêchons pas les autres de le redevenir en les enfermant
dans leurs limites et dans leurs faiblesses. Nous nous affadirions du même
coup. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, éd. Les presses d'Ile de France)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire