Comment bien vivre ce temps qui s’ouvre
avec ce mercredi des Cendres ? Comment comprendre ce temps qui va nous
mener à Pâques ? Il me semble important de nous poser ces questions pour
donner à notre Carême sa vraie place et sa vraie signification. Car les
souvenirs que beaucoup ont du Carême sont ceux d’un temps rude, marqué par de
trop nombreux efforts à faire ; bref, il serait la version chrétienne des
bonnes résolutions du Nouvel an, qui ne tiennent que le temps de les énoncer.
Quand vous interroger des paroissiens habituels,
les mots qui reviennent souvent, à propos du Carême, sont bien conversion,
efforts, jeûne, prière et partage. Il ne s’agit pas de les nier, mais bien de
comprendre que toutes ces choses sont de l’ordre des moyens pour un but bien
plus grand : celui d’appartenir vraiment au Christ Sauveur. Le temps du
Carême lui-même n’est qu’un moyen ; il n’est pas, et ne devrait pas être,
un but en soi. Or très souvent, dans les communautés paroissiales, nous mettons
plein d’énergie à préparer et à vivre le Carême, ce qui fait que nous arrivons
épuisés aux fêtes de Pâques, qui, hormis les jours saints, sont célébrées de
manières plus plates. Nous oublions que les fêtes de Pâques sont une longue
période qui va jusqu’à la Pentecôte, soit une période bien plus longue que le
Carême. 5 dimanches de Carême contre 7 dimanches de Pâques auxquels il faut
ajouter donc la Pentecôte et les jours saints qui permettaient le passage du
Carême à Pâques. Il n’y a pas photo : les chiffres eux-mêmes nous disent
que l’important, le but, c’est Pâques et son mystère célébré sur cinquante
jours. Le moyen d’y parvenir, c’est le Carême qui prépare nos cœurs à cette
joie plus grande que tout.
Or, il semble que, dans l’imaginaire du
moins, ce qui compte pour beaucoup, c’est ce temps du Carême, ce temps où je
vais me dépenser pour Dieu et pour les autres. Quelle communauté n’a pas établi
son plan de bataille, son projet pastoral pour ce temps que nous inaugurons ?
Cela ne me dérange pas, tant qu’il y a un plan plus grand encore pour le temps
pascal, sinon nous faisons d’un moyen, un but en soi. Et surtout, nous nous
concentrons trop sur tout ce que nous pourrions faire pour plaire à Dieu, sans
vraiment laisser à Dieu le temps de nous plaire et de nous séduire à nouveau. Ecoutez
la demande faite par Paul aux chrétiens de Corinthe ; il dit : Laissez-vous
réconcilier avec Dieu. Il ne dit pas : réconciliez-vous avec Dieu. Autrement
dit, il ne dit pas que la conversion serait de notre fait, le résultat de nos
petits efforts, de nos prières plus ou moins acharnées, de nos jeûnes plus ou
moins garnis. La conversion, c’est Dieu qui l’opère en nous, en nous
réconciliant avec lui. Il est celui qui vient vers nous ; il est celui qui
vient nous séduire à nouveau pour que nous choisissions de marcher en sa
présence. Sa parole, au long de ce Carême, va éclairer nos vies grâce à l’immense
amour qu’il a pour nous ; un amour qui ne juge pas, un amour qui ne
revendique rien, si ce n’est de pouvoir nous aimer gratuitement, à volonté. Et c’est
en nous faisant sentir son amour que Dieu nous convertit, nous gagne à son
amour. Sentant à frais nouveau combien nous sommes aimés de Dieu, nous voudrons
partager cet amour et le vivre avec d’autres. Nous comprendrons que notre vie
peut être plus grande, que notre joie peut être plus parfaite, que notre amour
peut s’appuyer sur l’amour de Dieu pour nous. Et nous comprendrons surtout que
cet amour de Dieu pour nous ne viendra pas de tout ce que nous aurons décidé de
faire pour lui, mais de la mort et de la résurrection de son Fils unique, Jésus
Christ, notre Seigneur. Les fêtes de Pâques sont ainsi bien l’horizon de notre
Carême, le but ultime. Car c’est bien le mystère de Pâques qui doit se déployer
en nous et non les moyens que nous aurons pris pour y parvenir. Le Carême, c’est
comme ce temps de marche qui nous mène au sommet de la montagne : il peut
être rude, caillouteux, déprimant. Mais c’est bien quand nous arrivons au
sommet de la montagne que nous comprenons que ce chemin n’était rien face à
beauté que nous contemplons enfin.
Laissez-vous réconcilier avec Dieu peut s’entendre
alors comme une variante de laissez-vous approcher de Dieu, laissez-vous aimer
de Dieu. Laissez son amour vous purifier, vous émonder. Ainsi, parvenus au pied
de la croix, vous ne verrez là que son amour pour vous et vous deviendrez
capables d’en témoigner, comme ont pu le faire les premières communautés
croyantes au lendemain de Pâques. Ce carême, nous devons le considérer comme un
temps de saisissement par le Christ de notre vie en vue de la mission qui
échoie à chaque baptisé : témoigner du Christ vivant, répandre cette Bonne
Nouvelle d’un Dieu qui s’est abaissé, a livré sa vie, pour que nous ayons une
vie plus grande, une joie plus grande, pour que nous puissions goûter au salut
que Dieu nous offre. Par le mystère de Pâques, Dieu veut sauver tous les hommes ;
le Carême est le moyen qu’il nous donne déjà pour ressentir les premiers effets
de cet amour ; et les moyens qu’il nous donne (jeûne, prière et charité)
lui permettront d’agir en nous et de nous réconcilier avec lui.
Ne nous trompons pas de cible, donc. Vivons
ce temps de carême avec Dieu pour qu’il puisse agir en nous. Mais vivons-le
tendus vers Pâques et la joie de son salut. Nous pourrons alors en vivre
pleinement, Dieu lui-même nous ayant libérés de nos péchés et de nos démons. C’est
la seule chose qui doit compter ! C’est la seule chose qui doit nous
préoccuper ! Bon temps de Carême, immergés dans la grâce de Dieu. Amen.
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