Que nous faut-il de plus ?
Nous avions tout : un exemple à suivre, un enseignement clair, mais cela n’a pas empêché que certains comprennent mal et commettent le mal en abusant d’un pouvoir supposé le leur. Que leur fallait-il de plus ? Ce qui est arrivé à Jacques et à Jean, n’était-ce donc pas suffisant ?
Regardons de près, surtout que pour une fois, ce n’est pas Pierre qui se prend les pieds dans le tapis. Nul ne sait, à ce stade de l’évangile de Marc, quelle mouche a piqué les fils de Zébédée pour qu’ils aient l’audace d’une telle demande : Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. Reconnaissons-le, il fallait oser ; ils savent ce qu’ils veulent et ils savent le faire savoir. Matthieu, dans son évangile, s’est montré plus prudent, lui qui attribue la demande à un réflexe de mère qui cherche à placer ses fils. Sans doute un peu trop possessive, sans doute un peu trop admirative des fruits de ses entrailles, elle a voulu leur assurer un avenir, et peut-être à elle-aussi, ses bons fils ne l’oubliant certainement pas lorsqu’ils seront là où elle les voit déjà. Dans les deux cas, que ce soit une ambition personnelle mal placée ou un désir de parents mal ajusté, la réponse est la même : Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? Jésus ne renvoie pas à sa gloire, mais à ce qui va précéder sa gloire, la coupe qu’il devra boire jusqu’à la lie, son élévation sur la croix et sa mort abjecte. A tous ceux qui veulent se pousser du col et revendiquer un quelconque pouvoir, une quelconque préséance, est rappelé que le chemin de la croix précède, voire conditionne, le chemin de la gloire. Jacques et Jean auront l’un, sans être assurés pour autant des places qu’ils revendiquaient. C’est ce qu’on appelle se faire avoir en beauté. Faut-il les plaindre ?
Je pense qu’il nous faudrait plutôt les remercier, car leur demande saugrenue nous vaut à tous un enseignement clair de la part de Jésus sur les jeux de pouvoirs. Si ces derniers ont cours auprès des puissants (ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands font sentir leur pouvoir), si donc cela est vrai pour la société civile, Jésus avertit sans ambages : Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous. Il n’y a pas à chercher quelle loi est supérieure à l’autre ; il y a à comprendre que la réalité n’est pas la même. Dans un même monde, deux manières d’exercer le pouvoir : par la force (ce que font les chefs des nations et ceux qui veulent le rester) ; par le service, ce que doivent faire tous les disciples du Christ. Le seul abus qui devrait nous faire rivaliser est l’abus d’humilité, l’abus de service. Et de ce côté-là, il n’y a vraiment aucun risque que quelqu’un abuse. Parce que celui qui sert véritablement n’abuse pas des autres ; celui qui sert véritablement ne s’impose pas aux autres ; celui qui sert véritablement, met l’autre en avant de lui ; il le respecte en toutes choses, s’oubliant lui-même dans le service à accomplir.
Pourquoi ne peut-il en être qu’ainsi dans l’Eglise ? La réponse nous vient encore de Jésus : le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. La raison à cet impératif de service n’est pas pratique ; elle n’en est pas davantage technique. Elle est théologique : Dieu agit ainsi avec nous en son Fils Jésus. Si Dieu lui-même sert l’homme au point d’offrir sa vie pour lui, comment l’homme, qui n’est pas Dieu, pourrait-il ne pas servir l’humanité ? Il est impossible de se réclamer du Serviteur parfait sans se faire serviteur à notre tour. Il aurait dû être impossible d’abuser qui que ce soit en se présentant comme serviteur du Christ Jésus. Mais peut-être avaient-ils mal compris la notion de service jusqu’au don de sa propre vie, ceux qui ont sacrifié la vie d’innocents !
Ils avaient tout pour bien
comprendre, et pourtant certains se sont fourvoyés, entrainant l’Eglise tout
entière sur la pente glissante du déni et de l’irrespect du plus petit. Nous avons
tout aujourd’hui, et bien plus encore qu’auparavant, puisque nous avons la
connaissance de l’innommable. Qu’allons-nous faire ? Allons-nous nous
réfugier derrière un « ce n’est pas moi, ce sont les autres » ? Derrière
un « Oui, mais ça, c’était avant » ? ou encore derrière un « Oui,
bon, mais ailleurs ça s’est fait aussi, et en pire » ? Ou bien
allons-nous ensemble retravailler cette théologie du service qui doit être
notre ligne de conduite et notre fierté ? Baptisés, quelle que soit notre
place dans l’Eglise, nous avons comme vocation première celle d’être serviteur
du Christ et de nos frères. Si nous désirons être saints, il ne nous faut rien
de plus que de désirer et d’être vraiment serviteurs de tous, pour un monde
meilleur, pour une Eglise toujours plus sûre. Amen.
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