Deux pour le prix d'un, vraiment ?
S’il
est une page d’évangile connue par la plupart, pour ne pas dire par tous les
chrétiens, c’est bien celle que nous venons d’entendre ce matin en réponse à la
question posée par un scribe : Quel est le premier de tous les
commandements ? Et parce que cette page est très connue, nous prenons
chaque fois le risque de ne pas vraiment l’écouter, et le risque plus grand
encore de n’en pas écouter le commentaire. Je connais, je n’ai rien à apprendre
de plus ! C’est aussi ce que je pensais en préparant cette homélie. Mais quelle
erreur de ma part !
La version que nous avons entendue est celle de Marc. Et elle possède une différence essentielle à mes yeux des versions de Matthieu et de Luc. Cette différence réside dans l’intention du scribe. Chez Matthieu et Luc, l’intention de celui (ou ceux) qui pose la question à Jésus est clairement d’embarrasser Jésus. Autrement dit, ce serait là une question piège. Parmi les six-cent-treize commandements de la Loi, quel est celui qui a la primauté sur les autres ? Quand l’homme réduit la foi à un ensemble de règles, il est presque normal qu’il s’interroge sur celui qu’il faut absolument respecter. Et selon votre sensibilité, la réponse diffèrera d’un homme à un autre. L’embarras recherché de la part des adversaires de Jésus devient évident : selon la réponse apportée, ils pourraient facilement lui dire qu’il a tout faux ! Chez Marc, il n’est pas question d’embarrasser le Maître. Au contraire, le scribe, ayant entendu la conversation de Jésus avec les Sadducéens, voyant que Jésus avait bien répondu, s’avança vers lui pour lui demander : Quel est le premier de tous les commandements ? Voilà un homme qui reconnaît la sagesse de Jésus et qui ose poser une question qui sans doute le travaille depuis un moment. Il s’adresse à Jésus, non pour l’embarrasser, mais pour trouver une réponse à son propre questionnement. Puisqu’il a bien répondu à ses interlocuteurs précédents, sans doute pourra-t-il lui répondre aussi bien. Il nous faut oser pareillement interroger Jésus sur ce qui est essentiel, ne serait-ce que pour ne pas le perdre de vue. Nous avons pu constater, en ce mois d’octobre, ce que cela donne quand on perd de vue l’essentiel. C’est toujours catastrophique ! Cela signifie aussi que c’est cet essentiel qu’il nous faut toujours retrouver en cas de crise, car là se trouve notre salut.
La réponse de Jésus sonne alors comme un deux en un : l’interlocuteur voulait un commandement, Jésus lui en donne deux. Mais peut-on vraiment réduire la réponse de Jésus à une offre commerciale : parce que c’est toi, parce que ta recherche est sincère, je t’en offre un deuxième, en cadeau ? Deux pour le prix d’un ou un avec deux faces ? Il faut nous plonger dans la Première lettre de Jean pour trouver la seule interprétation possible de la réponse de Jésus. C’est bien un seul commandement qui possède deux faces, deux mouvements. Les versets vingt et vingt-et-un du chapitre quatre de cette première lettre de l’Apôtre que Jésus aimait dit ceci : Si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’ et qu’il déteste son frère, c’est un menteur ; celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas. Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de Lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Nous ne pouvons pas séparer ce double mouvement de l’unique obligation d’aimer. Pour un chrétien qui croit que Dieu s’est fait homme en Jésus, et que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, cela est encore plus impossible que pour tout autre homme, croyant en Dieu ou non. Nul ne saurait dire : J’aime Jésus, vrai Dieu, parce qu’il nous sauve par sa mort et sa résurrection ; mais Jésus vrai homme, cela m’est impossible ! Son habitude de s’adresser à tous les hommes, même aux étrangers, même aux pires pécheurs, ses discours par lesquels il nous demande d’aimer nos ennemis, de tendre l’autre joue à celui qui nous frappe… cela est inaudible, cela est impossible à vivre ! Laissons tomber l’homme, ne prenons que le Dieu ! Ben non, pas possible. De même que tu ne peux pas séparer Dieu et l’homme en Jésus, de même tu ne peux pas séparer l’Amour que tu portes à Dieu de l’Amour que tu dois porter aussi aux hommes, à tout homme que Dieu met sur ta route. Le scribe qui interrogeait ne s’y trompe pas : Fort bien Maître, tu as dit vrai ! Comme le souligne Matthieu dans sa version, toute la Loi et les prophètes sont contenus dans ce double mouvement d’un unique Amour. Ce n’est même pas une invention de Jésus ; c’est juste la répétition du catéchisme en une réponse bien concentrée, bien calibrée. Vous pouvez relire, durant les longues soirées d’hiver qui s’installent, tout le Premier Testament pour vous en rendre compte.
En redisant à ce scribe ce qui est fondamental et incontournable, Jésus s’adresse aussi à chacun de ces disciples ; il nous adresse cette réponse aujourd’hui. A chacun de décider ce qu’il en fait ; mais pour être disciple du Christ, même et surtout en ce temps de crise à l’intérieur de l’Eglise, c’est à ce commandement à double mouvement qu’il nous faut revenir. Nous ne pourrons jamais en faire l’économie ; nous ne pourrons jamais nous en affranchir. Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. Si nous nous en tenons à cela, plus aucun abus, d’aucune sorte, ne devient possible. A ceux qui croient cela et qui cherchent à le vivre sincèrement, il est donné à entendre la parole dernière de Jésus à ce scribe : Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. Amen.
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