C'est quoi, ces cadeaux offerts à Jésus ?
(Adoration des mages, Crèche de Mittelschaeffolsheim, Bas-Rhin)
Dans
une France qui perd toujours plus sa culture religieuse, j’ai fait, pour
préparer cette homélie, un petit exercice que font beaucoup de nos contemporains
quand ils sont face à une question à laquelle il leur est malaisé de répondre :
j’ai tapé dans mon moteur de recherche : quel est le sens des cadeaux
offerts à Jésus ? J’imagine bien des parents attachés par tradition à Noël
être désarçonnés par la question du petit dernier : « c’est quoi, ces
cadeaux faits à Jésus ? », faire la même démarche. Voyons donc ce que
dit internet, dieu de la connaissance et de la science absolue. Voici le
résultat de mes recherches.
La première réponse vient d’un site fait
pour des enfants de 8 à 12 ans en Suisse (Trampoline). Il reprend l’enseignement
de la tradition de l’Eglise. Je le cite : A
sa naissance, Jésus a reçu de drôles de cadeaux pour un bébé : de l’or, de la
myrrhe (une plante dont on enrobait les cadavres) et de l’encens (un parfum).
Pourtant, ses parents avaient sûrement besoin de draps et de vêtements pour
lui ! Alors pourquoi les rois mages, ces savants de l’époque qui ont fait un
grand voyage pour voir Jésus, ont-ils apporté ces trois cadeaux ? En fait, ces
cadeaux avaient une signification spéciale : L’or indiquait que Jésus était un
roi ; la myrrhe indiquait qu’il allait être mis à mort ; l’encens indiquait que
Jésus était digne d’être adoré. Et c’est ce qui est arrivé. Devenu grand, Jésus
a été appelé le « Roi des Juifs » (or). Il a été tué par les Romains (myrrhe),
et quand il est revenu à la vie, ses amis ont compris qu’il était vraiment le
Fils de Dieu (encens). Pour des parents un
peu perdus, voici au moins une réponse claire, simple, facile à comprendre pour
un enfant.
Un site
français (Tête à modeler), agréé par le journal Ouest France, excusez du peu, apporte
la précision suivante, digne d’un vrai travail de journaliste : Balthazar
offrit de l'or à Jésus, symbolisant la royauté de celui-ci. Melchior apporta
avec lui de l'encens dont on se sert pour honorer Dieu, symbolisant ainsi la
divinité du petit Jésus. Le dernier, Gaspard, quant à lui, présenta la myrrhe,
un parfum servant à embaumer les morts dans l'antiquité. La symbolique de ce
présent revêt donc deux significations : celle de l'humanité, car Jésus reste
un homme, et celle de la prophétie, indiquant la mort prochaine de ce dernier.
Il faudra quand même attendre une trentaine d’année pour que la prophétie se
réalise. Mais qu’est-ce cela au regard de l’éternité ? Nous aurons appris
deux choses que l’évangile ne dit pas : le nom des mages et qui a offert
quoi ! Si on n’en est pas sûr, cela ne fait pas de mal. La réponse a même
quelque chose de terriblement humain, personnel : les visiteurs ne sont
pas simplement des savants venus de pays lointains ; ils ont un nom, une
identité. Pour répondre à une question d’enfant, cela peut être sympathique. Mais
la réponse va encore plus loin quand on passe les publicités qui garnissent l’article.
Il dit cette chose que j’ignorais : En
offrant ces trois présents, les Rois Mages mirent Jésus à l'épreuve essayant
d'en diagnostiquer sa vraie nature. On dit alors que s'il choisit l'or, il
deviendra roi, s'il choisit l'encens, il deviendra prêtre, et s'il choisit la
myrrhe, il deviendra médecin. Les trois mages furent déconcertés à la
vue du petit Jésus choisissant les trois présents. Eh oui, Jésus échappera toujours à nos étiquettes et à
nos représentations ; il est au-delà de ce que nous pouvons imaginer de
lui. Il ne choisit pas d’être l’un ou l’autre ; il assume toutes les
conséquences de son incarnation : il est Roi, il est Dieu, il mourra un
jour. Ne réduisons pas Jésus à l’enfant de la crèche ; ne réduisons pas Jésus
à un aspect de sa personnalité au risque de ne pas comprendre ou de ne pas
entendre la totalité de son message pour l’humanité. Nous pouvons légitimement
être déconcertés par cet Enfant-Dieu venu dans le monde pour le salut de
tous les hommes. Il nous faut entendre Paul dans sa lettre aux Ephésiens :
ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au
même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus. Les
cadeaux sont importants pour ce qu’ils disent de l’Enfant ; mais le fait
que les mages viennent de loin, soient des étrangers, est pareillement
important. Cela dit quelque chose de la catholicité de la foi en Jésus Christ, Fils
de Dieu venu dans le monde, offert sur la croix par amour de toute l’humanité,
ressuscité pour conduire cette même humanité au Royaume où Dieu son Père nous
attend.
Un
dernier site consulté (Aleteia) donne une réponse davantage orientée vers les adultes
et l’approfondissement de leur foi. Il nous dit que les cadeaux faits à Jésus sont
le symbole de toute vraie prière, qui est royale au sens où, je cite, elle
célèbre les fastes de ce Dieu qui est notre roi. Elle se fait louange, gloire
rendue. La prière décentre, elle nous invite à nous occuper de Dieu
plutôt que de nous. Et nous savons bien que, dès que nous nous occupons de lui
(lui qui ne cesse de s’occuper de nous), nous nous portons mieux. L’explication
se poursuit ainsi : La prière est un encens. L’encens est un
aromate qui brûle en s’élevant vers le ciel. Notre prière se fait imploration
du soir et, si elle part en fumée, c’est droit vers le ciel, en sentant bon.
Oui, la prière est fumée : elle est une activité gratuite, improductive, qui ne
sert qu’à aimer. Elle est donc indispensable. Enfin, nous dit-on
encore, la prière est comme la myrrhe. La prière n’est pas une distraction,
une occupation innocente, une activité qui n’engage pas. Quiconque pénètre dans
les sentiers de la prière passe par une certaine mort : mort au vieil homme, à
soi-même, à ce qui ne met pas Dieu à la première place. La prière ne se
contente pas de méditer sur la Passion du Christ. Elle conduit à la vivre
soi-même. A nous de voir quel cadeau nous offrons à Jésus dans notre
prière. Ce sera tantôt l’un, tantôt l’autre. L’essentiel est de lui offrir un
cadeau.
Ce qui m’amène à une
interprétation toute personnelle de ces cadeaux. La tradition de l’Eglise,
reprise plus ou moins par les sites dont je viens de parler, rapporte les
cadeaux à Jésus en insistant sur ce qu’ils nous disent de lui. Je voudrais
donner un autre sens à ces cadeaux, un sens qui dise quelque chose de nous. Si
je me retrouve bien dans l’explication des cadeaux comme symbole de notre
prière, ces cadeaux doivent alors dire aussi quelque chose de nous qui offrons
ces cadeaux. Je verrai bien l’or comme l’offrande à Dieu de ce qui va bien dans
ma vie, grâce à lui, une action de grâce de toutes les richesses qu’il me
permet de vivre : richesse des amitiés, richesse de mes connaissances,
richesse des chances qui s’offrent à moi de progresser. Il est bon de ne pas
croire que nous nous faisons tout seul, à la seule force de nos poignets ou de
notre intelligence ; je crois que Dieu, par l’amour qu’il me porte, est
pour quelque chose dans ce que je deviens, dans ce que je vis de bien. Lui
offrir l’or de ma vie, le meilleur de ma vie, c’est lui rendre grâce de sa
présence à cette vie, lui rendre un peu de ces talents qu’il a placé en moi et
que j’essaie de faire fructifier. Mais parce que mes jours ne sont pas toujours
que des jours heureux, parce que mes jours sont quelquefois sombres et lourds,
je lui offre aussi la myrrhe de ma vie, ce qui me pousse vers la mort pour qu’il
accueille mes faiblesses, mes défauts dans ma cuirasse et les transforme ; je
lui dis ainsi que je compte sur sa miséricorde pour que de ces petites morts,
il en tire une vie plus forte, plus belle. Enfin, je lui offre l’encens de ma
vie, cette part divine qu’il a déposée en moi au jour de mon baptême pour qu’il
m’aide à en faire plus que de la fumée et qu’il m’aide à dégager cette bonne
odeur de sainteté que je suis invité à dégager. Et je ne peux que m’interroger
alors sur le peu de fois que nous utilisons l’encens. Est-ce parce que l’encens
nous gratte la gorge ? Ou est-ce que l’encens gratte autre chose dans
notre vie, et nous fait tousser quand nous est rappelé que nous portons Dieu en
nous, quand nous est rappelé que nous devons donner Dieu à voir et à sentir par
toute notre vie ? Le refus de l’encens, au motif que c’est un truc d’autrefois,
n’est-ce pas un peu le refus de grandir dans cette sainteté, cette divinité que
Dieu nous offre ? Comme l’encens peut nous gratter la gorge et nous faire
tousser, vivre de la sainteté de Dieu peut nous gratter et nous faire tousser
dans un monde à la laïcité triomphante et mal comprise, dans un monde qui met
la compétition en avant, dans un monde où certains pensent qu’il vaut mieux
écraser qu’être écrasé. Vivre selon l’Evangile n’a jamais été et ne sera jamais
facile. C’est pour cela qu’il nous faut sans cesse offrir à Dieu, dans notre
prière, l’encens de notre vie pour qu’il nous fasse sentir bon et fasse de nous
des témoins authentiques de sa gloire et de son amour pour tous les hommes.
Offrons à Dieu ces cadeaux
insolites que sont l’or, l’encens et la myrrhe. Offrons-les comme les mages
pour reconnaître qui il est. Mais offrons-les aussi comme les signes de ce que
nous vivons ou voulons vivre avec lui. Une vie bonne, libérée de la mort,
orientée vers la sainteté. Il recevra ces cadeaux et nous fera toujours plus à
son image et à sa ressemblance. Plus nous nous offrirons à lui, plus nous découvrirons
les autres chemins qu’il nous appelle à vivre pour toujours le
rencontrer mieux. Amen.